Le Liban a voté aussi le 29 mai, pour les premières élections sans présence syrienne depuis trente ans. Les élections législatives ont débuté à Beyrouth, pour s'étaler durant trois semaines dans les autres circonscriptions du pays.

Mais les modalités du scrutin ont été fixées par une loi électorale adoptée en 2000 sous la tutelle de Damas. Cette loi, fermement rejetée par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir (photo), a été pensée par l'ancien chef des renseignements syriens au Liban, le général Ghazi Kanaan. Elle découpe le Liban en 14 circonscriptions élargies, dont 9 dominées par une majorité d'électeurs musulmans.

À Beyrouth, les sunnites ont le pouvoir d'élire de fait ou plutôt de désigner des députés chrétiens de leur choix. Dans le Sud et dans la Bekaa, ce pouvoir appartient aux chiites. Dans le Chouf et à Baabda Aley, c'est aux druzes (Walid Joumblat, le féodal) et aux chiites. Comme les chrétiens sont répartis dans toutes les régions car ils habitent avec les autres confessions, ils sont minoritaires dans tout le Liban, sauf la montagne chrétienne.

À Beyrouth, la liste de Saad Hariri a désigné ses représentants chrétiens. Mais les électeurs chrétiens qui se sont déplacés n'ont représenté que 10 % du total des votants (les Arméniens 0,5 %). Même les musulmans n'ont voté qu'à 40 %. L'étonnant est que le Quai d'Orsay a qualifié ces élections de très démocratiques. L'attachement de l'Élysée pour les Hariri a remplacé l'amour de la France pour les chrétiens qui la qualifient encore de "tendre mère".

La prochaine étape de l'élection se déroulera dans le Sud et la Bekaa où les chiites d'Amal (le président du Parlement en est le chef) et du Hezbollah se sont alliés avec les forces de Saad Hariri (sunnite, homme lige des Saoudiens, des Américains et protégé du Président français) pour désigner les chrétiens compatibles. De même, le Hezbollah a fait une alliance électorale avec Walid Joumblat (chef incontesté des druzes) dans la montagne du Chouf et dans la région de Baabda-Aley pour battre la liste du général Michel Aoun. Ils ont déjà choisi dans leur liste les chrétiens de leur bord et des Forces libanaises (qui se sont soulevés en 1989 contre Aoun dans une guerre entre chrétiens).

Les musulmans supposés anti-syriens se sont donc alliés avec le Hezbollah et Amal, tous deux toujours soutenus par ces mêmes Syriens. La bataille est dirigée contre les communautés chrétiennes. Dans le Sud et dans la Bekaa, ils sont assurés de gagner et les chrétiens élus seront à leur solde. Ce sera la même chose dans le Nord. La seule bataille électorale aura lieu dans la montagne chrétienne (Metn Nord et Kesrouan), entre chrétiens.

On voit que les Américains et les Français ont remplacé la dictature minoritaire syrienne étrangère, par une autre dictature majoritaire musulmane, proche de l'Arabie saoudite et de l'Iran. Les chrétiens risquent d'être réduits au statut de dhimmis, face aux forces intégristes qui ne tarderont pas à faire surface dans une pareille situation. Le pouvoir de la Syrie sur les alaouites minoritaires serait remplacé par une direction islamiste qui appuiera les sunnites du Liban.

Outre les chrétiens du Liban et la démocratie dans ce pays, l'Occident et surtout la France en feront les frais. Les Américains croient pouvoir en tirer profit. La politique de la France est incompréhensible. Ce qui lui reste d'influence au Liban et au Moyen-Orient paraît devoir être perdu à tout jamais.

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