Dans son dernier rapport, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dresse un état des lieux dramatique du don d'ovocytes en France. Chantages et pressions des spécialistes de la médecine de la reproduction sur les couples,  rémunération occulte des donneuses, complications médicales, tourisme procréatif avec la complicité des médecins français,... autant de dérives qui semblent être le lot commun d'une pratique méconnue des fécondations in vitro.

Dans le cadre d'une mission qui lui était confiée en 2010 par l'ancienne ministre de la Santé, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a conduit une étude approfondie de la pratique du don d'ovocytes en France visant à en optimiser l'efficacité.

Les termes de l'équation de départ sont connus. Les 265 dons d'ovocytes enregistrés en 2008 ne suffisent pas à couvrir une demande de plus en plus impérieuse. Selon l'Agence de la biomédecine, plus de 1600 couples étaient en attente en 2008, l'IGAS de son côté fait état d'une  demande réelle  qui pourrait concerner quelques 6000 couples, une fourchette haute qui comptabilise ceux qui s'orientent vers l'étranger en raison des délais d'attente importants dans les structures françaises. L'objectif principal de ce travail est de proposer de nouvelles perspectives pour soutenir une montée en charge ambitieuse du don d'ovocytes en recensant tous les leviers organisationnels susceptibles d'êtres mobilisés à cette fin.

Le rapport mis en ligne le 2 mars comprend deux grandes parties qui couvrent le champ d'investigation de l'IGAS relatif à cette problématique. Le premier volet dresse un état des lieux du don d'ovocytes qui mérite d'être analysé tant il soulève à lui seul de nombreuses interrogations sur le plan éthique (I). Le second explicite les mesures avancées par les inspecteurs pour amplifier la dynamique du don d'ovocytes dont nous verrons la prochaine fois qu'elles signent une nouvelle aggravation dans la désormais longue histoire de l'instrumentalisation de la procréation par la technique (II).

Une pratique qui est loin d'être anodine

L'IGAS rappelle que  le don d'ovocytes est un parcours contraignant non dénué de risques  dont les traitements préparatoires et les ponctions sous anesthésie générale  comportent des effets indésirables modérés mais aussi des complications parfois sévères pour les donneuses . Selon le rapport, le risque de survenue d'une complication modérée à sévère d'un don d'ovocytes est 30 fois supérieur à celui d'un prélèvement de plasma sanguin. La lourdeur de la procédure expliquerait que les donneuses qui l'abandonnent en cours de route ne sont pas rares.

Les inspecteurs signalent également que l'information sur les risques iatrogènes induits par cette pratique laisse à désirer. Ils font ainsi mention d'un syndrome d'hyperstimulation ovarienne grave et d'une hémorragie post ponction ayant nécessité une réanimation et une reprise chirurgicale, deux événements particulièrement inquiétants survenus en 2009 mais inexplicablement non déclarés à l'Agence de la biomédecine. La mission regrette par ailleurs que les brochures de promotion éditées par cette même agence ne fassent pas assez clairement référence à la fréquence de survenue de troubles, notamment sévères, et demande d'y remédier instamment.

L'IGAS note enfin que les contraintes et les risques du don d'ovocytes sont tels qu'ils nécessiteraient de développer le suivi des donneuses non seulement au moment de l'acte mais encore à moyen et long termes tant les données en la matière sont inexistantes.

Un don  relationnel  à l'origine de nombreuses dérives

La mission reconnaît officiellement que le don dit relationnel constitue la principale voie d'apport de gamètes féminins, confirmant une information que nous avions plusieurs fois mentionnée ici même.

Les chiffres sont sans appel. À peine 5 % des donneuses sont spontanées, les 95% restantes étant recrutées activement par les couples eux-mêmes. L'explication est simple. Pour contourner la pénurie chronique d'ovules, les centres d'assistance médicale à la procréation ont instauré un principe hautement contestable qui fonctionne ainsi : un couple qui leur amène une donneuse se voit récompenser de sa bonne volonté par le raccourcissement significatif de son propre délai d'attente. En vertu du principe d'anonymat, les ovocytes de cette donneuse ne seront pas attribués au couple recruteur mais parce qu'ils accroissent les ressources biologiques du centre lui feront gagner en contrepartie un temps non négligeable. C'est une logique du donnant-donnant.

Toutes les équipes françaises reconnaissent imposer aux couples ce qu'il faut bien appeler un chantage affectif, sans lequel, expliquent-elles aussitôt pour se dédouaner, le don d'ovocytes disparaîtrait rapidement. Or, les textes législatifs disposent sans ambiguïté que  le bénéfice d'un don de gamètes ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d'une personne ayant volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d'un couple tiers anonyme  (art. L. 1244-7 du code de la santé publique).

Pour l'IGAS, cette modalité de fonctionnement est donc tout à fait  contraire à l'esprit des textes si ce n'est à sa lettre . Le système est implacable et ne souffre pas le moindre échec. En cas d'abandon de la procédure par la donneuse, les équipes n'ont aucun état d'âme pour faire régresser le couple dans les bas-fonds de leur liste d'attente en lui faisant  perdre son effort de recrutement . Le don d'ovocytes, en dehors de toute considération éthique sur le fond quant à la légitimité de cette pratique, est de facto le seul acte remboursé par la sécurité sociale où sévit une telle discrimination entre les patients.

On se demande pourquoi une telle inégalité des personnes dans l'accès aux soins, qui plus est organisée sciemment par les médecins eux-mêmes dans la plus grande impunité, n'a-t-elle toujours pas fait l'objet d'une condamnation ferme des autorités compétentes ?

Vente d'ovules

En raison des contraintes incroyables qu'il fait peser sur les couples, le système génère par-dessus le marché des dérives scandaleuses au regard des principes bioéthique que se targue de posséder la France (respect de la dignité, gratuité, non marchandisation du corps, consentement libre,...). La mission signale ainsi que des  pressions sont parfois exercées sur des personnes en situation de subordination, contraintes à donner leurs ovules pour conserver une situation . Ou alors,  l'échange est rémunéré, en espèces ou en nature . Des couples qui se posent en solliciteurs parfois indélicats auprès de leurs proches exercent également des pressions sur leur entourage amical. La mission note que les refus bien compréhensibles auxquels ils se heurtent affectent en retour l'univers de leurs relations familiales et sociales.

Lors des débats parlementaires qui ont eu lieu sur cette question le 10 février dernier, le rapporteur du projet de loi relatif à la bioéthique Jean Leonetti, qui était informé des conclusions du rapport de l'IGAS, avait jeté un pavé dans la marre :  Ce procédé [du don d'ovocytes] est en réalité marchandisé en France. Il ne s'agit pas d'un troc, mais d'un achat, d'une vente. On achète, en France, des ovocytes de gré à gré pour passer devant les personnes inscrites sur une liste. Personne ne peut le contester. 

Le ministre de la Santé Xavier Bertrand avait alors paru particulièrement décontenancé :  Monsieur le rapporteur, vous avez utilisé un argument qui m'a troublé. Vous avez expliqué que si l'on est accompagné de quelqu'un prêt à faire un don, le délai d'attente est moins long. Là je ne suis plus du tout d'accord parce que, dans la réglementation actuelle, vous le savez bien, le bénéfice d'un don de gamètes ne peut absolument pas être subordonné à la désignation par le couple receveur d'une personne ayant accepté de procéder à un tel don.  On peut penser que le rapport que l'IGAS vient de déposer sur son bureau lui dessillera tout à fait les yeux.

En recommandant de rendre obligatoire un  entretien psychologique avec la donneuse , la mission d'inspection veut mettre en place un filtre bien modeste pour tenter d'écarter ces femmes manipulées, instrumentalisées ou rémunérées de manière occulte. Mais on peine à croire à l'efficacité de cette mesure, d'autant que l'IGAS souhaite dans le même temps que se poursuive le don relationnel  sous peine de tarir l'offre d'ovocytes . Comment comprendre une telle incohérence ? Face à la gravité des faits rapportés, la mission ne devait-elle pas plutôt rappeler tous les acteurs à l'ordre en conformité avec la loi ? Le ministre de la Santé qui a désormais la balle dans son camp ne doit-il pas prendre rapidement des mesures fortes pour remettre au pas les spécialistes de la médecine de la reproduction ?

Les praticiens français complices du tourisme procréatif

Le caractère répréhensible de leurs agissements ne s'arrête d'ailleurs pas là. La faible capacité de prise en charge des couples conduit de nombreux médecins français à les orienter d'emblée vers des cliniques privées à l'étranger (Espagne et Belgique essentiellement) dont le moins que l'on puisse dire est que l'éthique n'est pas leur priorité première.

La mission estime que ce sont près de 85 % des couples français ayant eu besoin d'un don d'ovules en 2009 qui ont été invités à se rendre dans des pays voisins, l'Espagne étant la destination principale pour quasiment 80% d'entre eux, loin devant la Belgique qui vient en seconde position. La progression de ce  tourisme reproductif  est telle que les dons d'ovocytes effectués en dehors de la France pour nos ressortissants a été multiplié par 15 en 5 ans et double chaque année.

Les établissements barcelonais font un tabac chez les Français qui représentent 10% de leur clientèle : pour des ovules de qualité biologique optimale prélevés contre rémunération chez de jeunes Espagnoles qui veulent financer leurs études ou arrondir leur fin de mois, la facturation de la fécondation in vitro sera comprise entre 5000 et 8000 euros, des prix sommes toutes acceptables pour les couples au regard du coût de l'adoption internationale. Selon le JDD qui a enquêté sur la filière espagnole,  toute l'Europe en mal de bambins vient chercher des œufs au-delà des Pyrénées .

 Recours aux soins transfrontaliers 

Les cinq plus grandes cliniques catalanes travaillent directement en français, ont embauché pour certaines d'entre elles des personnels qui ont exercé en France et ont noué des contacts étroits avec nombre de praticiens français qui n'ont pas le moindre scrupule à diriger leur patientèle vers ce secteur privé commercial florissant. Certains d'entre eux prescrivent même aux couples les ordonnances de produits de stimulation ovarienne qui seront achetés et remboursés en France avant d'être fournis à la donneuse de l'autre côté des Pyrénées. Un trafic totalement illégal qui permet toutefois de se faire accorder au final une belle ristourne sur le montant facturé.

De plus, en vertu du décret du 19 avril 2005 qui pose le principe du remboursement des dépenses de soins hors territoire national dans un État de l'Union européenne, l'assurance-maladie française prend en charge une partie des frais à la charge du couple receveur. Autant d'aspects qui expliquent selon l'IGAS la  massification du recours au don d'ovocytes à l'étranger .

L'appréciation de la situation par la mission est une fois encore ambivalente. Si elle considère que ce phénomène constitue une validation indirecte de principes non admis en France (rémunération des ovules en Espagne, choix de la donneuse en Belgique,...) ainsi qu'une  forme d'exportation vers le moins-disant éthique , l'IGAS ne le remet pas fondamentalement en cause. Bien plus, pour ne pas stigmatiser les couples et parce qu'elle estime que les pratiques des cliniques privées espagnoles et belges respectent les standards européens en matière de fécondation in vitro avec don d'ovules, les inspecteurs proposent de substituer à l'expression  tourisme procréatif , par trop péjorative, celle de  recours aux soins transfrontaliers . Pas de doute, le marché européen de la procréation a de beaux jours devant lui.

 

Prochain article :
Coup d'accélérateur en faveur du don d'ovocytes (II)

 

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