Discours d’hommage aux victimes du terrorisme : derrière l’inflation sémantique, l’impuissance politique

Source [Atlantico] A l’occasion de son discours tenu lors de l'hommage national à Arnaud Beltrame, Emmanuel Macron a évoqué "l'esprit français de résistance"... mais aussi, paradoxalement, la "résilience" de la nation. Un signe que le chef de l'Etat se débat avec son époque.

Atlantico : Dans son discours tenu lors de l'hommage national au colonel Arnaud Beltrame, Emmanuel Macron a pu faire mention de "l'esprit français de résistance", tout en convoquant les noms de Jean Moulin et de Pierre Brossolette, du Général de Gaulle, de Jeanne d'Arc, autant de noms ou de références évoquant l'occupation du pays. Comment comprendre une telle référence à l'occupation au regard du contexte actuel du pays ? 

Edouard Husson : Lors de précédents assassinats commis par des islamistes revendiqués, le président Hollande avait expliqué que le pays était en guerre. Aujourd’hui Emmanuel Macron invoque la résistance française à l’occupation anglaise durant la Guerre de 100 ans ou à l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Dans les deux cas, on se demande si les termes et les comparaisons utilisés sont appropriés. Certes, au moment des attentats de 2015, des troupes françaises étaient engagées contre des mouvements combattants se réclamant de l’islamisme au Moyen-Orient ou en Afrique; mais pouvait-on dire pour autant que le pays tout entier était en guerre?

Nous n’avons jamais eu, ces deux dernières années, l’équivalent de ce que la société française a connu durant la Guerre d’Algérie, à commencer par l’angoisse de la mobilisation dans le cadre du contingent. Ajoutons que Schengen n’a pas été suspendu, les autorités françaises n’ont pas jugé bon de reprendre, au moins provisoirement, le contrôle de nos frontières. Si, par malheur, notre pays était amené un jour à refaire la guerre, celle-ci ne pourrait reposer, en dernière instance que sur des décisions nationales (même au sein d’une coalition). De façon curieuse, depuis 2015 on a fait beaucoup d’honneur à des petits malfrats transformés en tueurs en série, en leur prêtant le rang d’un adversaire  militaire. Emmanuel Macron a dénoncé, hier, la lâcheté des tueurs; mais pourquoi, alors, leur accorder le rang d’un ennemi militaire? Un militaire ça se bat contre d’autres militaires - à la rigueur contre des mouvements de franc-tireurs organisés. On peut adresser le même genre de critique à l’évocation, aujourd’hui, de Jeanne d’Arc ou Jean Moulin. Le pays est-il occupé par une puissance étrangère? On comprend bien la classification des terroristes comme nihilistes mais où est l’armée d’occupation, où sont les agents de la Gestapo? Sans compter que la comparaison implicite, par référence à Jeanne, entre les Anglais du XIVè siècle et les islamistes d’aujourd’hui est curieuse.

Comment interpréter l'intention politique de telles références ? 

Je ne sais pas si on peut parler d’intention. Certes, Emmanuel Macron est dans le rôle du Président lorsqu’il en appelle au rassemblement de la nation. Il a donné, aussi, une leçon d’esprit républicain. En particulier, proposer aux jeunes gens tentés par la violence ou le fanatisme pour donner un sens à leur morne existence, de prendre en exemple le sacrifice du Colonel Beltrame est, de mon point de vue le bon passage du discours. Mais ensuite ce qui frappe c’est de voir l’orateur se débattre avec son époque. Avez-vous remarqué ce qui est presque un lapsus? Au milieu d’un éloge de la résistance, il  évoque la “résilience” de la nation! Mais la mentalité du résistant et celle du “résilient” sont antinomiques!  Notre pays n’a plus connu la guerre depuis un demi-siècle; nos dirigeants ont supprimé le service militaire; notre souveraineté a été en grande partie abolie par des transferts à l’Union Européenne. L’Education Nationale a très largement refoulé toute référence à la nation dans les programmes. Et tout d’un coup on assiste au retour du refoulé. Il y a une surabondance de références guerrières et nationales dans le discours du président de la République. Cet homme si maître de lui habituellement a du mal à cacher son émotion à deux reprises durant le discours. Et l’esprit de la résistance française durant Seconde Guerre mondiale est convoqué avec fracas. Curieusement, le président ne cesse de faire référence au comportement “militaire” du Colonel Beltrame; mais ce n’est pas la première qualification qui vient à l’esprit: je n’ai aucune idée sur les convictions religieuses de ce héros mais son geste est imprégné d’esprit chrétien. Un militaire perd la vie en combattant; si l’on tient absolument à puiser dans le référentiel de la Seconde Guerre mondiale,  on a là un geste qui ressemble plutôt à celui du Père Kolbe à Auschwitz, se substituant à un père de famille promis à la mort par les gardes du camp. Il n’y a pas de hiérarchie des types de sacrifices. Mais je ne suis pas sûr que l’on ait pris toute la mesure du décalage entre la forme de commémoration choisie et la forme d’héroïsme du Colonel Beltrame. Quand bien même, laïcité oblige, on ne voudrait pas faire référence à l’héritage chrétien du pays, qui continue à déterminer bien des comportements, il aurait été préférable de mettre le don de soi en avant, plutôt que l’éthique du combattant. Et puis la commémoration n’aurait-elle pas dû se dérouler sur le territoire où  se sont déroulés ces tragiques événements? Ne s’agit-il pas de rassurer tous ces territoires français ravagés ou meurtris par la mondialisation, par des guerres qui ne sont pas les nôtres, par des décisions prises loin de chez nous - même quand des dirigeants français y sont associés?

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