Le rapport annuel de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) qui vient d'être rendu public préconise une dépénalisation du clonage embryonnaire [1]. C'est en fait une de ses revendications récurrentes qui figurait déjà en bonne place dans les recommandations de son précédent rapport du 6 décembre 2006 [2].

 

En quoi consiste le clonage embryonnaire ? Il s'agit de retirer le noyau d'une cellule adulte pour le transférer dans un ovocyte que l'on a débarrassé au préalable de son matériel génétique. On déclenche alors artificiellement la formation de l'embryon qui sera le clone de la personne qui a donné le génome. Raison invoquée à l'époque pour soutenir cette technique : obtenir des cellules souches immuno-compatibles pour une thérapie cellulaire individualisée.
Des échecs constants
Or cette justification est tombée sans coup férir au cours des derniers mois. Personne n'a pu à ce jour cultiver des lignées cellulaires humaines avec cette méthode comme le rappelle l'Agence de biomédecine elle-même dans le rapport qu'elle vient de rendre de son côté [3]. Les Anglais qui planchent sur le sujet depuis huit ans n'ont pas avancé d'un pouce. On se souvient du scandale causé en 2005 par le Coréen Hwang Woo-Suk qui avait annoncé avoir produit des embryons humains clonés et en avoir extrait des cellules souches embryonnaires alors que tous les résultats se sont avérés par la suite être des faux. Même si l'on faisait l'hypothèse improbable que des scientifiques y parviennent un jour, ces cellules endosseraient ipso facto les inconvénients de toutes les cellules embryonnaires humaines : leur instabilité génétique et leur propension à former des tumeurs.
Ironie du sort, c'est une équipe qui a reçu le soutien de l'AFM via les dons du Téléthon qui en a trouvé l'explication biologique [4]. Elle a identifié la région du génome qui conduit à cette instabilité cellulaire : un fragment du chromosome 20 anormalement amplifié que l'on retrouve également dans de nombreux cancers du sein, de la vessie, du foie, du poumon ou de la peau. Autant dire que les chercheurs ne sont pas au bout de leur peine s'ils veulent parvenir à mettre sous silence ces altérations génétiques.
Mais surtout, la proposition de l'Opecst fait fi de la découverte révolutionnaire des cellules reprogrammées iPS. Le jugement de l'Agence de biomédecine est sans appel : L'argument initial de compatibilité immunologique des lignées obtenues avec le patient est très fragilisé par l'alternative qu'offre la possibilité de reprogrammer des cellules somatiques [5]. Revenant au désormais célèbre professeur japonais Yamanaka, cette méthode qui ne présente aucun dilemme éthique repose sur la reprogrammation de cellules adultes en cellules souches pluripotentes dites induites (iPS) qui ont le même profil biocellulaire que des cellules embryonnaires [6].
C'est cette trouvaille exceptionnelle qui a amené plusieurs chercheurs de renommée internationale à renoncer à leurs travaux sur le clonage. Au premier chef, l'Ecossais Ian Wilmut, bien connu pour avoir été le premier à cloner un mammifère, la célèbre brebis Dolly.
C'est au cours d'une conférence de presse qui a fait le tour du monde qu'il a déclaré vouloir abandonner toute expérimentation sur le clonage alors même qu'il avait reçu les agréments nécessaires de la part des autorités britanniques. L'autre savant qui l'a suivi n'est autre que l'Américain James Thomson, celui-là même qui a découvert les cellules souches embryonnaires en 1998. Depuis le mois de juin, c'est d'ailleurs à une avalanche de publications sur les cellules iPS que nous assistons comme nous l'avions précédemment évoqué, et qui permet d'imaginer une amélioration toujours plus poussée de cette technique afin de la rendre facilement utilisable scientifiquement et plus tard médicalement [7].
Honnêteté scientifique
Difficile dans ce contexte de comprendre la décision de l'Opecst. Est-ce pour étudier in vitro les pathologies humaines en obtenant des embryons clones de malades ? Comme le laisserait suggérer cette remarque d'Axel Kahn concernant le fait que l'étude du développement humain aux premiers âges de la vie fait partie d'une recherche biologique et médicale totalement légitime [8 ? L'argument n'est pas défendable s'il devait venir sur le devant de la scène. D'une part car il est pour le moins contestable de laisser se développer des embryons pour le simple bénéfice de la recherche. D'autre part parce qu'il n'est plus nécessaire de disposer d'embryons malades pour travailler sur les mécanismes pathologiques à l'échelon cellulaire.
Les dernières études de l'Institut des cellules souches de Harvard ont prouvé que les chercheurs étaient capables de créer via la technique de Yamanaka de précieux outils cellulaires modélisant un large panel de maladies humaines. De simples cellules de peau suffisent. Notre travail n'est que le début d'une entreprise qui permettra d'étudier des milliers de maladies dans des boites de Petri , confiait cet été l'auteur d'une de ces publications [9].
À ce titre, nous réclamons que soit instauré un climat d'honnêteté scientifique dans les débats à venir sans lequel toute réflexion bioéthique serait par avance biaisée. N'est-ce pas en raison d'informations tronquées, notamment sur d'illusoires perspectives thérapeutiques, que le législateur a été sommé d'autoriser la recherche sur les embryons humains en 2004 ? Nous faisons ainsi nôtres l'appel du CCNE dans le mémoire que les sages viennent de publier pour préparer la prochaine révision :

Les États généraux doivent impérativement être l'occasion de donner à tous une information, plurielle et critique, sur les questions scientifiques qui sont au cœur de la révision de la loi de bioéthique. Le CCNE reconnaissait dès 1995 que la fiabilité et la loyauté des ces informations scientifiques deviennent de réels enjeux sociaux [10].

Un procédé anti-éthique et illégal
Sur le plan proprement juridique et éthique, le législateur a toujours refusé la création d'embryon in vitro à des fins de recherche qui signerait une réification sans retour de la vie humaine conçue. Le Parlement n'a d'ailleurs pas lésiné en précisant dans le Code pénal que le fait de procéder à la conception in vitro ou à la constitution par clonage d'embryons humains à des fins industrielles, de recherche ou thérapeutiques, est puni de 7 ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende [11] . N'est-ce pas étrange de se permettre de faire l'apologie d'une pratique aussi fermement condamnée !
Le clonage scientifique est d'autre part contraire à l'article 18-2 de la Convention européenne d'Oviedo du 19 novembre 1996 qui dispose que la constitution d'embryons humains aux fins de recherche est interdite . Son protocole additionnel entériné le 6 novembre 1997 précise de surcroît qu' est interdite toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort . Ce texte conventionnel est très clair même si comme toujours les États peuvent se ménager une marge d'interprétation tels les Pays-Bas qui ont déclaré à l'occasion de sa signature qu'ils entendaient les termes être humain comme s'appliquant à une personne déjà née. Position difficilement recevable.
D'ailleurs, l'Opecst a toujours manifesté une certaine gêne à l'encontre de ce texte européen : il ne cache pas qu'il existe un problème posé par la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et de la biomédecine , notamment en raison du second alinéa de l'article 18 . Autoriser le clonage et ratifier la Convention d'Oviedo apparaissent comme antithétiques à moins d'user de pirouettes sémantiques. On comprend mieux pourquoi la France n'a toujours pas signé solennellement ce document [12]. Nous pensons que ce serait un point important qui devrait figurer en bonne place dans les futures discussions des Etats généraux.
Le camouflage des mots
Dernière remarque, l'Opecst a toujours été partisan d'un changement de terminologie. L'organisme parlementaire propose d'employer l'expression de transposition nucléaire en lieu et place de celle de clonage scientifique. Nous récusons fermement ce procédé qui consiste à manipuler la réalité des faits en fonction des buts que l'on veut poursuivre. Inventer un nouveau lexique pour mieux asservir les consciences et camoufler les concepts n'est pas acceptable dans une démocratie.
Données de la science, réflexion morale, considérations juridiques, tout milite en faveur d'un maintien rigoureux de la pénalisation du clonage embryonnaire. Nous souhaitons ainsi que le législateur ne remette pas en cause le dispositif existant et tienne bon devant des revendications qui relèvent plus du dogmatisme que de la bonne science et qui entameraient de manière inacceptable le principe de dignité humaine.
* Sandrine de Montgolfier est maître de conférence de l'université Paris XII, responsable du département biotechnologie de l'IUFM de Créteil.
* Pierre-Olivier Arduin est directeur de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

 

 

[1] Rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, Évaluation de l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique , 20 novembre 2008 : http://www.senat.fr/opecst/rapports.html
[2] Alain Claeys, Les recherches sur le fonctionnement des cellules humaines, Opecst, Assemblée nationale, Rapport n. 3498, 6 décembre 2006, p. 154.
[3] Agence de biomédecine, Bilan d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, p. 76 : Aucune lignée de cellules souches embryonnaires n'a été obtenue par cette technique dans les pays où elle peut être pratiquée , www.agence-biomedecine.fr.
[4] Lefort N, Feyeux M and al., Human embryonic stem cells reveal recurrent genomic instability , Nature biotechnology, 24 novembre 2008.
[5] Agence de biomédecine, op.cit.
[6] Yamanaka and al., "Induction of Pluripotent Stem Cells from Adult Human Fibroblasts by Defined Factors", Cell, novembre 2007.
[7] Liberté politique.com, Décryptage, Pas de trêve estivale pour les cellules souches , 10 septembre 2008.
[8] Rapport de l'Opecst, Compte rendu des auditions, 20/11/2008, www.senat.fr/opecst/rapports.html, p. 29.
[9] G. Daley and al., Disease specific induced pluripotent stem cell , Cell, 6 août 2008.
[10] CCNE, Questionnement pour les Etats généraux de la bioéthique, 9 octobre 2008, p. 3.
[11] Articles 511-17, 511-18 et 18-1 du Code pénal.
[12] Le rapport de l'Opecst propose tout de même que le Parlement ratifie la Convention d'Oviedo (p. 215) : nous ne pouvons qu'appuyer cette position à condition que la lecture qui sera faite de l'article 18-2 ne légitime pas la production d'embryon pour la recherche.

 

 

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