De l'utilité de participer aux états-généraux de la bioéthique

source[Salon Beige]Un lecteur du Salon beige m'a demandé ce que je pensais de la mobilisation de nombreux catholiques sympathisants de LMPT pour les états généraux de la bioéthique, ajoutant qu'il estimait que les jeux étaient faits, que la loi était déjà prête et que, par conséquent, ces "débats" ne servaient à rien.

C'est aussi mon avis. Je doute fort que les états généraux soient l'occasion d'écouter la sagesse populaire. D'ailleurs, le nom lui-même est éloquent pour tous ceux qui ont lu Augustin Cochin et François Furet, puisqu'il renvoie évidemment à la première assemblée de 1789. Or, à cette époque, sans qu'il y ait eu le moindre besoin de bourrer les urnes ou de truquer les élections (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y eut aucune fraude!), la révolution était faite dès le mois de mai 1789. Le système même de désignation des élus donnait une sur-représentation  aux plus asociaux du royaume (et aux plus anti-catholiques qui étaient souvent les mêmes): avocats sans cause, prêtres sans vocation ou écrivaillons ratés qui trouvèrent dans le théâtre des événements à venir une occasion inespérée de briller - mais au prix de la tranquillité et souvent de la vie de leurs concitoyens. Et, de toute évidence, ils étaient à des années-lumière de représenter le pays, viscéralement catholique et royaliste (se souvient-on qu'il fallut cacher le roi et souvent rouler de nuit sur le chemin de retour de Varenne car les Français acclamaient encore leur roi, prétendument traître à la patrie?).

En un mot comme un cent, ce n'est pas parce que l'on fait des "états généraux citoyens" (selon le jargon en vigueur qui doit ignorer l'adjectif civique) que l'on écoutera le peuple. En général, ce genre de fumisteries est précisément fait pour enfumer le peuple, non pour lui donner la parole.

Pour autant, est-il inutile de se mobiliser pour ces états généraux? Certainement pas. Et, personnellement, je ne saurais trop vous encourager à participer.

Cela permettra beaucoup de choses.

D'abord, se rendre compte par soi-même des trucages (car, je le disais, même si les trucages ne sont pas nécessaires, ils peuvent fort bien être utilisés). Ainsi m'a-t-on déjà rapporté plusieurs cas de réunions qui étaient soi-disant combles dès leur annonce et leur mise en ligne. Je ne vois qu'une seule interprétation possible de ce surprenant engouement: les "bien-pensants" ont fait leur salle et ne voulaient certainement pas y convier des "indésirables" comme nous; avec les invitations et les cooptations, la salle était pleine, inutile donc de s'embarrasser avec des personnes inconnues et donc nécessairement suspectes.

Ensuite, voir comment la gauche libertaire s'y prend - et apprendre d'elle. Nous commémorons cette année la funeste révolution de mai 68: c'est peut-être une bonne occasion de rappeler qu'avec un tout petit peu de préparation, trois ou quatre personnes bien décidées et bien formées, réparties adroitement dans un amphi, peuvent tenir sous leur coupe mille naïfs qui croient alors être seuls à penser ce qu'ils pensent. N'oublions jamais ce que nous ont magnifiquement montré les cortèges des grandes manifestations depuis 2012: "ils" voudraient que nous nous croyions seuls et isolés. Nous sommes légions, déterminés… et la jeunesse est de notre côté, tandis que l'oligarchie libertaire a sans doute le pouvoir, mais elle est vieillissante et sur son déclin.

Participer massivement à ces états généraux est aussi une bonne occasion de "tester" nos arguments. Ce n'est pas parce que nous avons raison que nous pouvons nécessairement convaincre: il faut que nos arguments soient bons. Voyons ceux qui font mouche sur les adversaires; voyons aussi ceux qui touchent les braves gens qui n'ont pas d'idée précise sur les sujets débattus (il y en a beaucoup).

Et participer est aussi une excellente occasion de se compter et de commencer à mettre en place un rapport de force. Il suffit de regarder un peu les réseaux sociaux ou d'écouter ce que disent les journalistes de la "große presse" ou les parlementaires: ils "pétochent". Pardon de cette trivialité, mais c'est la réalité. Partout, on s'interroge sur "ce que va faire la Manif pour tous". Partout, on se demande si les "cathos" ne vont pas "pourrir les débats". (Evidemment, personne ne se demande si ce n'est pas un peu une façon de pourrir les débats que d'inviter comme "expert" un militant LGBT!)

Comme au moment de la présidentielle, nos questions sont au coeur du débat. Encore une fois, cela ne suffit pas à gagner (nous ne l'avons que trop bien vu au printemps 2017!). Mais c'est un atout important.

Bien sûr que ces débats sont biaisés, bien sûr que la microscopique minorité de fanatiques de l'euthanasie et d'hurluberlus LGBT est sur-représentée parmi les prétendus "experts" qui enseignent au bon peuple la voie du "Progrès" aussi sacré que majusculaire.

Mais bien sûr aussi que cela enquiquine fort le CCNE et le gouvernement que 60 à 80% des salles soient hostiles à l'euthanasie, à la PMA sans père et à la vente d'enfants.

Et puis surtout, le principal intérêt de ces états généraux est de nous organiser localement et de préparer l'étape ultérieure de la mobilisation. Car que se passera-t-il quand il sera clair que le gouvernement n'a tenu aucun compte des remarques de prudence et de sagesse qui viennent de tant de secteurs de la société? Eh bien, nous irons à l'affrontement politique, naturellement. Dans la rue et ailleurs. Faites juste une règle de trois élémentaire en rapprochant 3 chiffres: à la Marche pour la vie 2012, nous étions environ 10 000. Un an plus tard, pour la première grande Manif pour tous nationale, nous étions environ un million. Cette année, nous étions 40 000 à la Marche pour la vie, plus déterminés et plus dynamiques qu'il y a 6 ans - avec, en particulier, un record historique de 1000 bénévoles magnifiques, courageux et bien formés. Après un an de débats bioéthiques, après des mois de mépris gouvernemental pour la dignité de la femme, pour la dignité de toute vie humaine de sa conception à sa mort naturelle, pour le simple débat démocratique, combien croyez-vous que nous serons?

Bien sûr, je ne parierais pas (pas tout de suite…) sur les 4 millions que donnerait la règle de trois que j'évoquais. Mais ce qui compte, c'est que le gouvernement, en ce moment même, fait le même calcul que moi. Et M. Macron est en train de se dire que finir comme le peu regretté Hollande n'est pas forcément son rêve de carrière.

Alors, pour ce qui me concerne, je ne saurais trop conseiller une mobilisation aussi large que possible pour les états généraux. Nous ferons peut-être changer d'avis quelques indécis. Et ce sera loin d'être inutile. D'autant que ces indécis, une fois convaincus, seront peut-être les cadres pro-vie de demain. Mais, surtout, nous préparerons la suite qui sera autrement plus importante que des débats dont les conclusions sont sans doute déjà sur le bureau du ministre.

Si avec nos modestes moyens, nous voyons des dizaines de groupes locaux se former, des dizaines de prêtres se mobiliser, des milliers de catholiques s'engager dans ces débats, avec la même abnégation et le même enthousiasme qu'en 2012 (bien loin de la résignation et de la morosité que l'on nous annonce encore dans les sondages et que je craignais, pour ma part, jusqu'à la fin de l'année 2017), nécessairement le pouvoir le voit aussi. Et il commence à paniquer. Et, pour nous, la partie commence à devenir intéressante…

Guillaume de Thieulloy, directeur du Salon beige