Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) remis au ministre de la Santé le 2 février dernier livre un constat accablant sur la faillite du modèle contraceptif français. Les auteurs y préconisent pourtant la fuite en avant avec une série de recommandations totalement décalées avec leurs propres conclusions. C'est dans ce contexte que Roselyne Bachelot a saisi l'opportunité de la Journée internationale de la femme pour annoncer une augmentation spectaculaire de la rémunération de l'IVG.

Le constat de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) est sans appel : le taux d'IVG ne diminue pas et reste à un niveau important [1] plaçant la France parmi les pays de l'Union européenne qui ont les taux de recours à l'IVG les plus élevés . Fatalistes, les inspecteurs admettent que l'avortement constitue désormais une une composante structurelle de la vie sexuelle et reproductive des Françaises. Un chiffre le montre : 40% des femmes auront recours à l'IVG dans leur vie [2].
Dans le même temps, l'IGAS ne cache pas que la France bat tous les records de couverture contraceptive, constituée à 80% par des méthodes qualifiées d'ultra performantes comme la pilule ou le stérilet. À peine 3,2 % des femmes déclarent ne pas utiliser de méthodes contraceptives alors qu'elles ont une activité sexuelle et ne souhaitent pas être enceintes, situation sans équivalent à l'étranger selon le rapport. La conclusion tombe comme un couperet et mérite d'être applaudie dans sa formulation inédite :

Force est de constater que la diffusion massive de moyens contraceptifs d'un haut niveau d'efficacité théorique n'a pas fait diminuer le nombre d'IVG [...]. Plus que jamais l'idée que la diffusion de la contraception dite moderne devrait permettre une maîtrise parfaite de la fécondité apparaît comme une illusion.

Avortement et contraception
Pourquoi le nombre d'avortements ne fléchit-il pas d'un pouce malgré une médicalisation à outrance de la contraception ? L'explication avancée par les inspecteurs et reprise en boucle par les médias a sidéré les pouvoirs publics : 72% des avortements sont pratiqués chez des femmes qui étaient sous contraception (dont 42% sous pilule et dispositif intra-utérin).
Une étude récente vient d'ailleurs de prouver que 92% des utilisatrices de contraception orale avaient oublié de prendre leur pilule entre 1 et 5 fois dans les 6 mois précédents [3]. Quant à la contraception d'urgence, son échec est également patent :

Si le recours à la pilule du lendemain a augmenté de plus de 70% entre 2000 et 2005, le nombre d'IVG pratiquées est demeuré stable. On constate même une tendance à l'augmentation de leur nombre chez les jeunes, qui sont pourtant les premières utilisatrices.

Un simple calcul établit qu'une Française doit ingérer plus de 8000 comprimés hormonaux tout au long de sa vie féconde. Pour la première fois, les rédacteurs du texte évoquent la lassitude des femmes devant la difficulté d'effectuer un parcours sans faute et reconnaissent à demi-mot l'ambivalence psychologique de certaines d'entre elles dont le désir inconscient de donner la vie semble bousculer l'imperium contraceptif [4]. Pour les auteurs du rapport, l'avortement n'est pas un phénomène résiduel destiné à disparaître par la mise en œuvre de mesures adéquates .
Un totalitarisme sanitaire reproductif
Après un tel constat d'impuissance, nous étions en droit d'attendre de l'IGAS une réflexion qui investigue en profondeur les raisons de l'échec du modèle français de prévention des grossesses non désirées selon l'expression consacrée, notamment en explorant les rapports qui se jouent entre attitudes contraceptive et abortive. Avec au bout la proposition de mesures d'alternatives à l'IVG en rupture avec celles qui ont désormais fait la preuve de leur inefficacité. N'est-ce pas ce qu'ont signifié avec force les Françaises dans le sondage IFOP commandité par l'Alliance pour les droits de la Vie ?
Mais non, l'IGAS choisit la fuite en avant en listant une série de mesures qui, mises bout à bout, confirment l'aveuglement de nos élites sur cette question. Les pouvoirs publics voudraient instaurer un totalitarisme sanitaire reproductif qu'ils ne s'y prendraient pas autrement.
En premier lieu, les auteurs rendent hommage aux différents volets concernant la prescription et la délivrance de la contraception prévus par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires , dite loi HPST. Afin de multiplier le nombre de professionnels de santé prescripteurs, la compétence générale de délivrance sur ordonnance des contraceptifs est étendue aujourd'hui aux sages-femmes. Toujours dans l'optique de démédicaliser la distribution de ces produits, les infirmières et les pharmaciens d'officine auront pouvoir de renouveler les ordonnances périmées pour six mois. Le ministre de la Santé s'est engagée à ce que l'État publie rapidement les décrets d'application de la loi HPST.
On se souvient également que la disposition votée par le Parlement concernant l'ouverture d'une expérimentation de délivrance directe de la contraception oestro-progestative par les pharmaciens sur le modèle britannique avait été annulée pour vice de forme par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 2009. L'IGAS estime qu'il n'existe sur le fond aucun obstacle à ce que cette idée soit reprise rapidement dans un autre véhicule législatif. Dans cette formule, il n'y aurait plus besoin ni de médecin ni de sage-femme.
Montrant implicitement du doigt les femmes qui ne parviennent pas à gérer la prise quotidienne de leur pilule comme il conviendrait, le rapport préconise deux mesures draconiennes pour éliminer définitivement ces problèmes d'observance. D'une part privilégier les implants hormonaux sous-cutanés et surtout le stérilet, en particulier chez les femmes jeunes, deux méthodes non utilisatrices-dépendantes selon le jargon officiel. Évidemment, rien n'est dit sur le caractère abortif précoce du dispositif intra-utérin. D'autre part, les auteurs rappellent que la stérilisation est injustement sous-utilisée en comparaison des pays anglo-saxons. Du fait de son efficacité radicale, ils demandent donc que les pouvoir publics s'attachent à en accroître la notoriété par tous les moyens légaux.
La loi de l'urgence
Le rapport cible particulièrement les jeunes en proposant d'assurer un accès gratuit et confidentiel à la contraception pour l'ensemble des moins de 18 ans. Le ministre de la Santé a repris telle quelle cette mesure dans les annonces qu'elle a faites lors de la Journée internationale des femmes le 8 mars. Pour l'IGAS, le principe de gratuité pourrait même être étendu aux plus de 18 ans dépourvus de couverture sociale autonome.
Les professionnels de santé ne sont pas oubliés, l'accent étant mis sur l'organisation de formations initiales et continues à la fois théoriques et pratiques uniquement axées sur cette question. Les rapporteurs proposent en outre que la consultation médicale à visée contraceptive soit clairement identifiée et donne lieu à une reconnaissance financière accrue.
La contraception d'urgence est l'autre grande thématique de la réflexion de l'Inspection générale des affaires sociales. Alors que la quasi-totalité des praticiens l'ignorent, le rapport rappelle que le stérilet bénéficie de l'autorisation de mise sur le marché comme contraceptif d'urgence s'il est placé dans les 72 heures suivant un rapport sexuel non protégé. Opérant la destruction d'un embryon éventuellement conçu et offrant par la suite une couverture contraceptive très efficace pour une longue période, le stérilet fait ainsi coup double. Les auteurs encouragent donc l'utilisation du dispositif intra-utérin en première intention chez les jeunes filles et les femmes nullipares.
En ce qui concerne la pilule du lendemain, le rapport admet qu'il n'y a eu aucun effet repérable sur la baisse escomptée du nombre d'IVG alors que les meilleurs études prévoyaient dans les années quatre-vingt-dix une diminution de moitié (Trussel et al., 1992). Peu importe, l'IGAS ne veut pas se laisser vaincre par les faits. Selon le slogan L'urgence, ça se prévoit , elle propose que la pilule du lendemain soit systématiquement prescrite en complément d'une contraception orale de manière à ce que les femmes aient toujours sur elles un comprimé au cas où . Les inspecteurs épinglent également les circulaires jugées trop timorées produites en interne par l'Éducation nationale, accusée de ne pas apprécier à leur juste valeur les nouvelles compétences dévolues aux infirmières scolaires en matière de délivrance de contraception d'urgence.
Plus 50 % pour l'IVG
C'est dans ce contexte qu'est survenue cette semaine l'annonce par le ministre de la Santé d'une augmentation de 50% du forfait IVG, qui passera de 383 à 625 euros dès cette année [5]. Cette mesure n'est pas une surprise, elle figurait elle aussi en bonne place dans le rapport de l'IGAS (voir ici les réactions). Les pouvoirs publics craignent en effet par-dessus tout de ne pas parvenir à remplacer la génération militante de médecins qui assuraient jusqu'à présent la pratique de l'IVG au quotidien et qui atteignent l'âge du départ à la retraite .
Comment une Sécurité sociale ultra déficitaire, pénalisant les plus pauvres en déremboursant certains médicaments, va-t-elle pouvoir couvrir une pareille augmentation des dépenses [6] ?
Après une première revalorisation de 20% en 2008, une nouvelle hausse intervenue en 2009 (arrêté du 4 août 2009), Roselyne Bachelot avait promis de marquer les esprits pour séduire les jeunes médecins. Ainsi que les cliniques privées qui se sont progressivement désengagées d'un secteur jugé trop peu porteur en termes d'image et de rémunération. Dans le même ordre d'idée, on peut craindre une nouvelle offensive parlementaire dans les toutes prochaines semaines pour faire des sages-femmes les prochaines exécutrices de l'IVG médicamenteuse, voire chirurgicale.
Comment ne pas déplorer que nos responsables s'enferrent dans des solutions en complet décalage avec le constat d'échec qu'ils reconnaissent eux-mêmes ? Comment expliquer une telle incohérence dans les propositions de l'IGAS ? C'est que les auteurs omettent d'explorer le lien anthropologique qui relie les mentalités contraceptive et abortive et refusent de répondre sur le fond à la question qu'ils ont eux-mêmes formulée : Pourquoi la diffusion massive de méthodes contraceptives sensées être très efficaces n'a aucun effet sur le nombre d'IVG ?
Dans son encyclique prophétique Evangelium vitae dont nous allons fêter le 25 mars le quinzième anniversaire, Jean Paul II a mis en évidence les ponts qui relient culture contraceptive et culture abortive. Il est fréquemment affirmé que la contraception, rendue sûre et accessible à tous, est le remède le plus efficace contre l'avortement. Le raisonnement est spécieux disait le pape, car

les contre-valeurs présentes dans la mentalité contraceptive – bien différentes de l'exercice responsable de la paternité et de la maternité réalisé dans le respect de la pleine vérité de l'acte conjugal – sont telles qu'elles rendent précisément plus forte la tentation de l'avortement, face à la conception éventuelle d'une vie non désirée [...] La vie qui pourrait naître de la relation sexuelle devient ainsi l'ennemi à éviter absolument, et l'avortement devient l'unique réponse possible et la solution en cas d'échec de la contraception (n. 13).

L'enfant à naître, lorsqu'il vient contrecarrer nos projets, est en effet de moins en moins toléré depuis la pratique massive des méthodes contraceptives. Alors que moins de 30% des grossesses sont imprévues aujourd'hui (contre plus de la moitié en 1975), le taux de recours à l'IVG explose. Ainsi, sur 10 conceptions non désirées, 4 se terminaient par une IVG en 1980, ce sont désormais plus de 6 qui se concluent par un avortement. Le choix de recourir à l'IVG se fait d'autant plus impérieux que la grossesse n'est pas programmée. Les chercheurs en sciences humaines n'hésitent pas à parler de norme abortive contraignante, alimentant la propension quasi irrésistible à demander l'IVG comme rattrapage contraceptif dans l'éventualité d'une grossesse non calculée.
Une idéologie du mépris de la vie
Tout se passe comme si l'avortement avait besoin d'un terreau culturel contraceptif pour croître, IVG et contraception étant les deux dimensions d'un même refus de l'enfant non planifié. En promouvant la diffusion tous azimuts de contraceptifs et abortifs précoces et en augmentant de 50% le forfait IVG, les pouvoirs publics sont parfaitement cohérents avec cette idéologie du mépris de la vie humaine.
Mgr Suaudeau, directeur scientifique de l'Académie pontificale pour la Vie, en a démonté avec précision les rouages lors de sa conférence à Toulon en janvier dernier :

Si les avortements persistent de façon inquiétante dans des pays où les contraceptifs sont entrés dans les mœurs depuis près de trente ans, c'est que l'avortement s'est banalisé en se plaçant dans le prolongement de la contraception. Le fait que la plupart des avortements, dans ces pays développés, se voient aujourd'hui chez des femmes qui utilisent régulièrement un moyen contraceptif prouve qu'il n'y a pas opposition entre les deux, mais coexistence, et même continuité.

On a désormais recours à l'avortement comme à un moyen de contraception "extraordinaire" lorsque le premier moyen, "ordinaire", a failli. C'est la même femme, avec la même mentalité contraceptive, qui pratiquera un jour la contraception chimique et le lendemain l'avortement [...].
Contraception et avortement sont en fait étroitement liés. Ils le sont dans leur réalité biologique, avec le développement d'une contraception toujours plus abortive. Ils le sont dans la mentalité qui les présuppose. L'avortement refuse directement l'enfant, et le détruit. La contraception refuse aussi l'enfant, et utilise tous les moyens à sa disposition contre la venue de cet enfant.
L'enfant, dans les deux cas, est l'ennemi. Il devient un produit accidentel d'une activité génitale que l'on a réduit au rang du seul divertissement, de la futilité irresponsable, dans une conception dévoyée de la sexualité humaine. Le "sexe" a priorité sur l'enfant. Lorsque l'enfant arrive, en dépit de la contraception, il n'est plus accepté, comme jadis, mais rejeté et avorté. C'est pourquoi il était logique qu'on libéralise l'avortement après avoir mis la contraception à la portée de tous, afin de pourvoir aux défaillances prévisibles de cette contraception [7].

Sur ce sujet, voir aussi :
Tugdual Derville : Avortement, il faut regarder la réalité en face, Décryptage, 5 mars 2010

[1] Sauf mention contraire, toutes les citations sont extraites des deux rapports publiés par l'Inspection générale des affaires sociales sous la signature de Claire Aubin et Danièle Jourdain Menninger, Evaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des IVG suite à la loi du 4 juillet 2001 et La prévention des grossesses non désirées : contraception et contraception d'urgence, La documentation française, février 2010.
[2] Nathalie Bajos, Sexualité, contraception, prévention et rapports de genre in La santé des femmes en France, Drees, Etudes et Statistiques, La documentation française, 2009. Après enquête auprès de nombreux services de gynécologie-obstétrique, l'IGAS conclut que l'avortement n'est pas l'exclusivité d'une population à risques qui y aurait recours de façon répétée (même si l'on ne doit pas exclure que c'est effectivement le cas de certaines femmes et que ce phénomène d'IVG récurrentes mériterait d'être exploré précisément).
[3] Prévention des grossesses non désirées dans trois départements, Rhône, Seine Saint-Denis, Somme, FNORS, juin 2004. Phénomène confirmé dans l'équipe de E. Aubeny, M. Mulher, J.C. Colau et al., "The Coraliance study : non-compliant behaviour. Results after a 6-month follow-up of patients on oral contraceptives", The European Journal of Contraception and Reproductive Health care, 2004, 9, n. 4, p. 267-277.
[4] Pierre-Olivier Arduin, L'échec du modèle français , La Nef, mars 2010, p. 13.
[5] Charlotte Menegaux, Les centres d'IVG vont être mieux rémunérés , Le Figaro, 9 mars 2010.
[6] On sait qu'une bataille sans merci est livrée en ce moment au Sénat américain pour exclure le financement fédéral de l'avortement de la réforme de la santé. Allons-nous accepter passivement que nos impôts rémunèrent encore et encore des pratiques qui heurtent notre conscience ? À noter que le député UMP Christian Vanneste est l'un des rares parlementaires à ne pas voter certaines lois générales comme le budget seulement parce qu'elles comprennent un volet finançant l'IVG.
[7] Mgr Jacques Suaudeau, L'avortement aujourd'hui. Panorama et possibilités de réduction , Conférence donnée dans le cadre du colloque IVG : rouvrir le débat ? sous la présidence de Mgr Dominique Rey, diocèse de Fréjus-Toulon, 9 janvier 2010.

 

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