C'est le nouveau mot d'ordre, qui va régler tous nos problèmes. Ce n'est plus le "enrichissez-vous" de Guizot, mais c'est le "consommez" de Raffarin. Il le décline sur tous les tons.

Le déblocage de la participation, c'est pour favoriser la consommation. La hausse des salaires des fonctionnaires, c'est pareil. La future baisse des impôts, ce sera pour le même motif. L'épargne, voilà l'ennemi. Nous voici, une nouvelle fois, dans la grande tradition keynésienne. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, notre situation économique ne va pas s'améliorer pour autant. Au contraire.

Favoriser la consommation

Le Premier ministre a raison sur un point : son inquiétude est légitime. Car la situation de l'économie française est mauvaise. La conjoncture économique est morose. On sait que le chômage, déjà fort élevé, avait été sous-estimé et qu'il dépasse désormais les 10% de la population active, tandis que les créations d'emplois sont réduites au minimum. Le commerce extérieur se dégrade fortement, ce qui n'est pas en soi dramatique - il n'y a plus de conséquences monétaires - mais qui est un signe de perte de compétitivité de nos exportations. Selon la dernière note trimestrielle présentée par l'Insee, la croissance est de plus en plus faible. Après une hausse de 0,8 % au quatrième trimestre 2004, le produit intérieur brut (PIB) ne progresserait plus que de 0,6 % au premier trimestre 2005 et de 0,3 % au second trimestre.

Il faut donc faire quelque chose. Nicolas Sarkozy avait déjà ouvert la voie lors de son bref passage à Bercy : il avait pris des mesures de déblocage de l'épargne salariale (7 milliards d'euros) et favorisé les donations entre grands-parents et petits-enfants (5,4 milliards), parce qu'on pensait que les grands-parents épargnaient et les petits-enfants allaient consommer. Voilà la voie tracée : favoriser la consommation, réduire l'épargne.

Jean-Pierre Raffarin, par ministres interposés (Gaymard puis Breton) suit le même chemin que Sarkozy : favoriser la consommation. C'est dans cet esprit qu'il faut lire les mesures annoncées de déblocage de la participation : les sommes versées par les entreprises au titre de la participation ne devront plus être bloquées pendant cinq ans, comme c'était le cas jusqu'à maintenant. Elles seront immédiatement disponibles et cela s'appliquera aux sommes versées en 2005 au titre des bénéfices 2004. Pour quoi faire ? J.-P. Raffarin est clair : "Pour recycler des profits vers la consommation." Et les entreprises pourront y ajouter une prime exceptionnelle d'intéressement plafonnée à 15%.

Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas

Mais il y a aussi les hausses des traitements des fonctionnaires : aux 1 % déjà promis, s'ajoute une hausse supplémentaire de 0,8 %, ce qui, paraît-il, était impossible deux mois plus tôt. Mais il s'agit, encore une fois, de relancer la consommation, cette fois des salariés de la fonction publique. Consommez, vous dis-je ! Et le secteur privé serait bien inspiré de prendre exemple sur la fonction publique, en accordant lui aussi des hausses de salaires.

Et ce n'est pas tout. Il y a aussi les futures baisses d'impôt. Elles sont déjà annoncées pour l'an prochain. Le Premier ministre en a parlé dans un entretien au Progrès de Lyon : la baisse des impôts va reprendre "en veillant à ce qu'elle soit juste et avec l'objectif de soutenir la consommation pour qu'elle demeure un moteur de la croissance". Consommez, nous dit-il. Tant de cohérence dans la politique nous laisse pantois. Voilà le cap clairement fixé.

Est-ce le bon ? On peut en douter. Le cas des traitements de la fonction publique est le plus clair : pour financer la hausse accordée, il faudra prélever plus d'impôts sur le secteur privé, provoquant un " effet d'éviction " : les dépenses publiques supplémentaires (en traitements) vont évincer des dépenses privées qui ne pourront avoir lieu, faute de revenu (prélevé en impôts). C'était déjà le " ce qui se voit " et le " ce qui ne se voit pas " de Bastiat. Mais notre Premier ministre ignore Bastiat. Il connaît Keynes, cela lui suffit.

C'est l'épargne qui est mauvaise pour l'économie !

Mais il s'agit aussi de transformer les profits en consommation. Sans cette distribution supplémentaire, ces profits auraient-ils été perdus ? Ils auraient soit été distribués en dividendes (favorisant la consommation des épargnants), soit été laissés dans l'entreprise pour être investis (autofinancement). Mais il faut être social-démocrate comme Helmut Schmidt pour savoir que "les profits d'aujourd'hui font les investissements de demain et les investissements de demain les emplois d'après-demain". M. Raffarin lui, n'a pas le temps d'attendre après-demain. Il faut donc consommer de suite.

De même, en privilégiant l'impact de la baisse des impôts sur la consommation immédiate, M. Raffarin ignore la courbe de Laffer et le fait que c'est le taux de l'impôt qu'il faut baisser pour jouer sur les comportements micro-économiques, ceux des entrepreneurs, des salariés, des investisseurs, des épargnants, bref de tous ceux qui jouent un rôle dans le développement de l'offre. Mais là encore, pourquoi attendre bêtement que l'offre se développe. Ne vaut-il pas mieux consommer de suite.

Mais consommer quoi ? Ce qui est disponible et bon marché. C'est-à-dire les produits étrangers, puisque nos entreprises n'ont pas les moyens de produire et sont empêchées d'être compétitives par le poids des charges et des impôts. Comme à chaque fois (et en particulier comme en 1981), la relance par la consommation va relancer l'économie allemande. Les chanceliers allemands n'ont jamais manqué de nous remercier de cette excellente politique - excellente pour eux.

En réalité, cela part aussi d'un autre préjugé, lui aussi keynésien (et malthusien) : l'épargne est mauvaise pour l'économie. Mais l'épargne n'est pas la thésaurisation. Elle sert à d'autres, qui s'en servent pour investir et développer l'offre. Et l'épargne à long terme est bien utile lorsque le système de financement des retraites est à la dérive. Vouloir à tout prix réduire l'épargne pour favoriser la consommation immédiate, c'est une politique à courte vue, qui ne marche pas et qui sacrifie l'avenir. Mais M. Raffarin est pressé ; il n'a pas le temps de s'occuper de l'avenir. Il n'a pas le temps d'attendre que l'investissement produise ses effets et que l'offre se développe. Il a des échéances électorales à respecter. Referendum oblige. Et cela passe avant tout. Consommez ! L'État s'occupe du reste.

*Professeur à l'université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III), président de l'Association française des économistes catholiques.

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