Comment la réforme de l'état a désarmé l'état ?

[Source : Liberté Politique]

Attentats, désordres : comment la réforme de l'état a désarmé l'état ?

Parmi les nombreux facteurs de tension qui pèsent  aujourd'hui sur  l'opinion française, il faut faire un sort à part aux  actes terroristes de 1995 et au  désordre qui entoure les manifestations contre la loi Travail.

Même si les menaces terroristes ont aussi  d'autres causes, il n'est pas inutile de les mettre en relation avec la réforme des services de  renseignement qui a été opérée en 2008.

Il y avait jusque  là deux services de renseignement intérieur  ( outre   la gendarmerie  qui a toujours fait du   renseignement sans avoir de service dédié): la Direction  de la sécurité du territoire  ( contre-espionnage) et les Renseignements  généraux ( renseignement politique et social  pour le compte du gouvernement ). Tous les deux dépendaient de la Direction générale de la police nationale.

Ils ont été fusionnés pour ne plus  former qu'un seul service, la Direction centrale  du renseignement intérieur (DCRI), laquelle a été en 2014 séparée de la Direction de la police nationale, prenant le nom de Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ? L'antiterrorisme lui est rattaché.

 

Une fusion contestable

La   fusion de 2008  s'est avérée catastrophique pour chacun des services, comme d'ailleurs presque toutes les fusions de services  administratifs.

La DST fonctionnait bien: grâce à elle, les attentats  terroristes avaient été prévenus et évités  sur le territoire métropolitain entre 1996 et 2012. Corps de  fonctionnaires de qualité, suffisamment réduit pour que ses agents  se connaissent et coopèrent  efficacement, ils n'avait pas besoin d'être réformé, sinon à la marge,  si le génie national ne s'attachait presque systématiquement  à  réformer ce qui marche bien  tout en délaissant  le reste. Les intéressés ont mal pris la fusion avec  le corps des Renseignements  généraux dont ils n'avaient que faire et dont la  culture était différente. Sans doute la menace  terroriste s'est elle aggravée au cours des années 2010 : le nombre de suspects à suivre ne se compte  plus en centaines mais en milliers. Mais beaucoup pensent  que les attentats du  7   janvier et du 13 novembre 2015  auraient été prévenus si la DST n'avait été mise sens dessus-dessous  par la réforme, aggravée par une réduction d'effectifs.

Les Renseignements généraux ne faisaient pas que du renseignement politique.  Ils   n'en  faisaient même parfois  qu' accessoirement, les préfets étant généralement  mieux informés qu'eux grâce à leurs contacts politiques et mondains;  ils faisaient  en revanche du renseignement social, se  rendant dans les usines, connaissant les dirigeants syndicaux, servant non seulement d'informateurs mais de relais, voire de  médiateurs; ils pouvaient voir venir la montée du mécontentement, en informer l'autorité, faire passer des messages, négocier des compromis sur le déroulé d'une  manifestation, prévenir les débordements.  Réorientés vers la lutte  antiterroriste qui n'était pas dans leur culture, ils n'assurent  plus guère  cette fonction  éminemment utile  d'huilage  social.

On peut légitimement  penser que les incidents  d'Air France auraient  été évités si les Renseignements généraux avaient été  présents dans le conflit. Il  est aussi vraisemblable qu’avec l'ancien système,  les luttes sociales ne se seraient pas envenimées autant qu'elles l'ont fait depuis quelques semaines. Est-ce la CGT qui a changé ou les relais de l'Etat sur le terrain social  qui se sont  affaiblis ?  On peut en débattre.

L'application de schémas mécaniques

Il ne faut pas jeter la pierre  à Nicolas Sarkozy qui a opéré la réforme de 2011. Il n'a fait qu'appliquer le schéma a priori  prescrit  par la  loi organique sur les lois des  finances du 1er août 2001 qui prévoyait  pour l'ensemble de l'État la fusion de tous les services ayant à peu  près les mêmes fonctions. A peu près, pour l'œil distant des financiers de Bercy ou pour les journalistes mais pas exactement pour les agents concernés. Ces schémas technocratiques   n'intégraient ni les différences subtiles  de méthode, ni les chocs de culture prévisibles;  dans bien des  domaines (Pole emploi, services locaux de l'État), les fusions ont désorganisé de manière durable  des services qui marchaient.  Des   réformes mal acceptées et mal comprises entraînent une démoralisation du personnel et donc une baisse d'efficacité qui n'est pas le moindre de leurs effets fâcheux.  

Mais, dira-t-on, ne faut-il pas faire économies ?  Certes,  mais la fusion n'est pas nécessairement  la meilleure voie  pour cela : des fonctions communes peuvent été mutualisées  sans aller jusqu' à la fusion; il est possible de réduire les   effectifs d'un service  sans qu'il soit  nécessaire de le fusionner avec un autre. Surtout si on s'évertue en parallèle à simplifier  les procédures, ce qui n'a guère été le cas  depuis 2000.

Il est probable  que lorsqu'on fera le  bilan des  réformes administratives  des années  2000, supposées  introduire     les "méthodes managériales" dans l'administration, particulièrement en matière de sécurité, on  prendra la mesure du  désastre.