La bataille des mémoires ne date pas d'aujourd'hui. L'histoire a toujours été un enjeu politique et idéologique, une arme redoutable pour la propagande. Elle fut également, en tout temps, un moyen d'identification personnelle et collective, l'individu et la société ayant le plus grand besoin d'établir une relation entre leur présent et leur passé, la mémoire consistant en une reconstruction perpétuelle de soi.
Un philosophe aussi avisé et présent aux requêtes de son temps que Paul Ricœur l'avait bien compris, qui n'a cessé, sa vie durant, de revenir sur le sujet. La question de l'histoire est de nature philosophique, et on jurait bien l'y noyer dans les joutes actuelles.
Le recours à une mythique objectivité qui tiendrait aux seules méthodes d'investigation du passé cache le plus souvent des intérêts qui ne s'avouent pas directement ou qui s'avouent brutalement comme volonté d'appropriation et de domination. Peu de gens s'interrogent sur la nécessité de prendre quelque distance par rapport aux batailles engagées.
Prenons l'exemple de la mémoire coloniale qui alimente en ce moment nombre de publics militants, de livres et de débats télévisés qui peuvent tourner au pugilat. On s'indigne d'une loi récente votée par la majorité de droite et qui impose une "vision positive de la colonisation" dans les manuels scolaires. Nul doute que dans cette joute, l'histoire se trouve instrumentalisée par les uns et les autres, et que ceux qui s'indignent vertueusement contre une "loi scélérate" ne cherchent qu'à imposer leurs propres diktats historiques. La brutalité des arguments échangés en constitue la preuve. Nous nous retrouvons dans un cadre d'analyse du type "nationaliste historique" qui assène la vérité d'une lutte politique selon un schéma que l'éclipse du marxisme n'a nullement fait disparaître.
On en dirait autant de certaines controverses sur les thèmes de la laïcité et de la religion.
Certains échos parvenus du colloque de Blois à l'enseigne des Rendez-vous de l'histoire laissant penser à la continuation d'une lutte multiséculaire à propos de la fonction des religions et du christianisme dans la société. Entendre une "historienne" asséner que "le passage du panthéisme au monothéisme a été un grand recul pour la tolérance" laisse planer plus qu'un doute sur l'orientation du débat.
Certes, il y eut d'autres interventions plus sensées et équilibrées. Mais l'emballement présent de la bataille des mémoires n'est pas un bon signe pour les intérêts supérieurs de la culture et de la cité.
Ne serait-il pas possible entre universitaires de bonne volonté d'établir une sorte d'armistice propice à une réflexion sur le rôle possible de l'histoire comme sagesse ? Henri-Irénée Marrou, il y a un demi-siècle plaidait déjà contre l'instrumentalisation du savoir et au service d'une conversion culturelle où l'étude du passé deviendrait "une pédagogie, le terrain d'exercice et l'instrument de notre liberté".
*Editorial à paraître dans le prochain n° de France catholique
http://leclerc.gerard.free.fr/
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