Source [Le Point] Cet article datant de 2012 préfigure le scénario qui a suivi le vote de la loi Taubira
Deux personnes de même sexe vont pouvoir adopter. Une réforme vertigineuse.
Le fléchissement est infime, mais la courbe s'est tout de même inversée. Avant l'élection de François Hollande, 58 % des Français approuvaient l'adoption par des couples homosexuels, ils sont aujourd'hui, selon les derniers sondages, 52 % à y être hostiles. Bien plus que le "mariage pour tous", qui, en dehors des mises en garde religieuses, ne semble plus rencontrer d'opposition majeure, c'est bien la filiation homosexuelle qui suscite, à l'approche de la présentation du projet de loi en conseil des ministres - le 31 octobre -, un raidissement de l'opinion et des débats médiatiques passionnels. Il y a d'ailleurs quelque trouble à constater à quel point nos "psys" font, au nom des mêmes grands principes, des diagnostics absolument contradictoires... Un point semble cependant s'être éclairci dans l'opinion. L'argument phare des militants inventeurs de l'"homoparentalité" est depuis des années le même : les familles homoparentales existent déjà, une loi ne ferait que leur donner un cadre nécessaire. Or on comprend désormais qu'entre ces situations éducatives "de fait" et la reconnaissance, dans le Code civil, qu'un enfant puisse être issu de deux hommes ou de deux femmes, un pas anthropologique va être franchi. Et puis, les grands absents du débat sont enfin, depuis quelques jours, en train de faire entendre leur voix : associations d'adoptés, psychiatres spécialistes de l'adoption, professionnels d'un domaine, l'adoption internationale, qui connaît depuis des années une crise dont on parle bien peu. Pierre Lévy-Soussan, psychiatre et psychanalyste (1), reçoit depuis douze ans, dans son cabinet parisien, des parents adoptifs exsangues, laminés par cet angélisme contemporain qui voudrait que l'amour suffise à faire une famille. Il est un des plus éminents spécialistes de la question et, comme la plupart de ses collègues, n'a pas été entendu par le gouvernement. Interview.
Le Point : Les professionnels de l'adoption, dont vous êtes, ont-ils été consultés pour l'élaboration de ce projet de loi ?
Pierre Lévy-Soussan : Non, pas du tout, et c'est très regrettable. Depuis quelques années, un tabou a été levé dans notre domaine : on ose enfin dire aujourd'hui que l'adoption ne marche pas à tous les coups, qu'elle est une filiation à risque. On ose dire, surtout, que ce risque ne vient pas forcément de l'enfant et de son passé traumatique mais aussi des adoptants eux-mêmes, d'innombrables études le démontrent. Nous aurions donc eu pas mal de choses à apporter au débat...
Vous pensez que les couples homosexuels feront partie de ces adoptants "à risque", qu'ils sont moins aptes que les autres à apporter amour et cadre éducatif ?
Mais pas du tout ! Ce ne sont pas leurs capacités à aimer et à éduquer que je mets en doute. Mais l'adoption n'est pas un engagement à élever un enfant, ni même un engagement à l'aimer... L'adoption, c'est se transformer en "vrai" père, en "vraie" mère, c'est permettre à l'enfant venu d'ailleurs de s'originer psychiquement du couple. Même s'il sait que ses parents adoptifs ne sont pas ses parents biologiques, l'enfant doit pouvoir imaginer qu'il "aurait pu" en être issu, il doit pouvoir fantasmer une scène de naissance possible, encore faut-il qu'elle soit crédible. Or un couple de même sexe, ce ne sera jamais un engendrement "crédible". Sur l'acte civil d'un adopté, on dit que l'enfant est "né" de M. et Mme Untel. Les Romains appelaient cela une "fiction juridique", à laquelle ils ont aussi mis des limites en se demandant s'ils autoriseraient l'adoption d'un enfant plus âgé que le parent. Et ils ont répondu non, car la fiction juridique n'aurait alors plus été "crédible".
Mais alors, comment justifier que les adoptions par les célibataires soient autorisées ? Ce n'est pas une "fiction" crédible non plus...
Ayons d'abord le courage de dire qu'elles sont beaucoup plus difficiles, plus conflictuelles, je vois d'ailleurs dans ma consultation bien plus de célibataires que de couples. Mais, si ces adoptions peuvent malgré tout fonctionner, c'est grâce à la place vacante laissée à l'"autre" sexe, que l'enfant pourra fantasmatiquement imaginer. Je vois souvent des célibataires homosexuelles dans mon cabinet, elles viennent avec l'enfant, et parfois avec leur compagne, cela ne pose pas de problème. Mais justement, c'est une compagne, ce n'est pas une seconde mère, l'enfant le sait, et cela change tout. La loi n'a pas comblé la place du père sur le plan filiatif, elle n'a pas empêché que l'enfant élabore psychiquement un engendrement par la différence des sexes : on n'a pas fait comme s'il pouvait être issu de deux femmes, voire de deux hommes...
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