[Source : Atlantico]
La déclaration de François Fillon sur le climat de quasi-guerre civile en a choqué plus d'un. Pourtant, la montée des violences et la fragilisation d'un certain nombre de garde-fous n'assurent guère des lendemains chantant en cette période électorale.
La déclaration de François Fillon condamnant le "climat de quasi-guerre civile" actuel a entraîné une vague de critiques de la part de la gauche, accusant le candidat des Républicains d'attiser les tensions à des vues électoralistes. Mais au delà de cette querelle politique, les gardes-fous qui tenaient ensemble une société plurielle ne sont-ils pas de plus en plus fragiles (principes républicains, pacte social, crise identitaire, prospérité, sécurité, sécurité de l'emploi, de la santé, perspectives d'amélioration, rayonnement international) ?
Michel Fize : Je crois qu'il faut rappeler qu'il existe un profond désarroi et une colère plus ou moins forte aujourd'hui chez les Français. Et ce compte tenu d'un climat économique, social et désormais politique pour le moins dégradé qui n'est pas rassurant quant aux perspectives d'avenir. On a un peu le sentiment d'une perte de crédibilité d'abord de toutes les instances qui nous gouvernement traditionnellement que cela soient l'instance judiciaire, l'instance politique ou les instances représentatives sociales qu'elles soient politiques ou syndicales. Et cet espèce de terreau social éclaté voire pulvérisé qui fait que des actions parfois violentes vont se multiplier. Cela manifeste ce désarroi profond, un brouillage des repères, qui entraîne un éloignement de l'idée d'interdit qui est antinomique du principe de « bon plaisir » que notre société porte très largement aujourd'hui. Cette prise de distance se traduit par des actions qui peuvent apparaître comme des actions de désordres, des actions illégales pour un certain nombre d'entre elles. Ces actions sont mues par cette forte poussée de désarroi et de colère : encore une fois, je n'excuse pas bien entendu, pour prendre les devants de la critique qu'on adresse généralement au sociologue mais j'essaye de comprendre et d'expliquer.
Laurent Chalard : Si les propos de François Fillon sont effectivement excessifs, répondant à des fins électoralistes, comme ce fut le cas aussi concernant les propos d’Emmanuel Macron sur la colonisation en Algérie, il n’en demeure pas moins que les récentes évolutions de la société française dans plusieurs domaines, témoignent d’une fragmentation de plus en plus importante entre différentes « communautés » (au sens large, pas uniquement « culturel »), qui partagent de moins en moins de valeurs en commun les unes avec les autres.
Les oppositions sur le plan économique, entre gagnants et perdants de la mondialisation, sur le plan territorial, entre grandes métropoles dynamiques et France Périphérique déclinante, sur le plan de l’emploi, entre fonctionnaires considérés comme privilégiés et les travailleurs du secteur privé exposés à la rude concurrence imposée par la mondialisation, sur le plan générationnel, entre retraités attachés au maintien de leur pension de retraites à un niveau élevé et des jeunes actifs qui vivent moins bien que leurs aînés, sur le plan culturel, entre d’un côté une partie de la communauté d’origine maghrébine tentée par les sirènes de l’islamisme radical et de l’autre une partie des jeunes d’origine européenne qui se radicalisent de plus en plus dans le cadre de mouvements identitaires xénophobes, conduisent au fur-et-à-mesure-du-temps à saper le principe de la République Une et Indivisible, d’autant que l’Etat ne semble plus en mesure d’exercer pleinement ses pouvoirs régaliens.
Si les dirigeants français demeurent dans le déni de ce délitement du fait national, il suffit de lire la presse étrangère, qui ne peut-être, dans sa totalité, jugée comme francophobe, pour comprendre que notre pays ne va pas bien et que son évolution interne inquiète le reste du monde.
Quels sont pour vous les signaux les plus marquants d'une montée réelle de la violence dans notre société ?
Laurent Chalard : Tout d’abord, le premier signal qui témoigne d’une montée réelle de la « violence », entendue au sens large (physique et psychologique), est la montée de la violence dans le système scolaire, pour laquelle il apparaît difficile de disposer de statistiques fiables, puisque l’éduction Nationale pratique la « politique de l’autruche » en la matière. Cependant, il suffit de regarder le pourcentage d’absentéisme des enseignants dans certains quartiers populaires pour se rendre compte qu’il existe un réel problème. Cette violence s’exerce autant entre élèves que des élèves vis-à-vis des enseignants, y compris à l’université.
Un deuxième signal concerne le maintien d’une violence quotidienne, qui débouche sporadiquement sur des émeutes plus ou moins importantes, dans les quartiers populaires. Elle n’est pas nouvelle, mais sa pérennisation sous-entend que dans un certain nombre de territoires de la République, la violence nihiliste, dans le sens qu’il s’agit d’une rage destructrice sans réelles revendications derrière, semble être devenue la norme au moindre problème entre les habitants et les représentants de l’Etat. Or, lorsque des individus sont accoutumés à la violence depuis leur enfance, les risques de dérives ultraviolentes à l’âge adulte augmentent.
Un troisième signal est le regain de la violence des mouvements d’extrême-gauche, qui s’ils sont très minoritaires en nombre, n’en demeurent pas moins très actifs dans les manifestations qui débouchent sur des destructions et des troubles à l’ordre public. Ils sont particulièrement présents dans l’ouest du pays, où l’opposition à l’aéroport Notre-Dame-des-Landes perdure malgré le résultat d’un référendum, c’est-à-dire que les manifestants refusent le verdict des urnes...
Enfin, un quatrième signal concerne une violence moins souvent perçue comme telle, qui est celle s’exerçant dans le monde du travail, consécutive du chômage de masse, qui met en concurrence les individus les uns avec les autres, à l’origine d’une multiplication des violences d’ordre psychologique entre les travailleurs.