Enfin ! Quand on a lu la toute récente Instruction de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements " sur certaines choses à observer et à éviter ", on se dit que bien des malheurs eussent été évités, si on avait rappelé plus tôt ces " choses ".

Non pas qu’elles n’aient pas été dites et même écrites en toute lettre dans des instructions très officielles, mais où personne n’allait les lire. Aujourd’hui on nous explique en 186 articles, tout ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter, pour que la célébration de l’Eucharistie retrouve sa dignité dans l’Église latine. Mais ce texte aura-t-il plus de succès que les précédents ? Tant de déformations passées en habitudes pourront–elles être déracinées par l’effet d’un document, même revêtu de l’approbation du pape ?

Deux raisons permettent de l’espérer : d’abord la génération des soixante-huitards touche à sa fin, les prêtres et les militants laïcs qui ont vécu Vatican II comme une rupture exaltante avec l’Église d’avant le Concile, s’ils gardent encore en maints endroits le pouvoir, ont perdu l’influence et une grande partie de leurs convictions, les générations qui les suivent ne comprennent plus grand-chose aux débats des années soixante-dix et se demandent pourquoi le progrès a consisté à brader tant de richesses qu’on envie chez les autres (orthodoxes, juifs, etc.). Mais les plus jeunes n’ont connu qu’une liturgie si squelettique qu’ils se représentent mal comment il pourrait en être autrement. Espérons que ce texte leur donnera le courage de plonger dans les sources liturgiques (les textes en vigueur, mais aussi ce qui les a préparés et qui souvent indispensable pour en comprendre l’enjeu).

L’autre raison qui peut nous laisser espérer que ce texte ne sera pas un coup d’épée dans l’eau est le ton adopté et le moment choisi. L’Instruction est clairement référée à l’encyclique du pape Ecclesia vivit de Eucharistia et on y sent la même volonté à la fois ferme et sereine d’aller de l’avant, sans plus s‘embarrasser des précautions jadis nécessaires sur ces sujets.

Réformer la réforme. Le préfet de la congrégation concernée, le cardinal Arinze, que ses origines africaines protègent contre les accusations de collusion avec la réaction, a clairement affirmé, dès son entrée en charge, la volonté de réformer la réforme liturgique, selon la formule d’un autre cardinal de curie, Josef Ratzinger. Il s’y emploie méthodiquement en poussant à la refonte des traductions liturgiques, et aujourd’hui en épinglant les abus les plus saillants en matières de célébration eucharistique.

Il y a une grande différence entre le discours trop souvent employé jusqu’ici, qui déplore des erreurs et des comportements malheureux, mais ensuite se résigne et va se coucher, et l’intention qui inspire ce texte, où on nous dit clairement que dans certains secteurs de l’Église, ça ne va du tout et qu’on ne peut pas laisser les choses ainsi sous peine de voir se perdre l’essence de la foi catholique.

L’encouragement donné à tout fidèle catholique " qui a le droit de se plaindre d’un abus liturgique auprès de l’évêque diocésain, ou encore auprès du Siège apostolique (lequel demandera des comptes à l’évêque diocésain) " (§184) est une nouveauté qu’il faut saluer. La résignation était jusqu’ici de mise et rares étaient les fidèles qui voyaient leurs plaintes en ce domaine aboutir.

On peut même se demander si une partie du malheur n’est pas venue de l’incroyable passivité des catholiques, tellement habitués à suivre leur clergé, par vertu ou par faiblesse, qu’ils se sont pliés à toutes les pitoyables fantaisies qu’on leur a fait avaler depuis quarante ans. À part la frange intégriste, installée dans son refus global de la réforme, on n’a guère vu ce réflexe de santé qui aurait consisté à refuser poliment mais fermement de collaborer à la désorganisation du rite romain. Ceux qui le feront seront désormais armés et assurés d’être soutenus.

Néanmoins, nous aurions tort de tout attendre d’un texte, même de cette qualité. L’argument qui restera entre les mains de ceux qui veulent garder leurs habitudes sera qu’on ne peut pas faire autrement, que les gens ne comprendraient pas que l’on fasse machine arrière, qu’on risque de décourager les rares bonnes volontés qui restent (et de fait avec cela il en restera de moins en moins !), etc.

Il importe que tous les croyants qui ne désespèrent de l’avenir de l’Église et de la beauté de sa liturgie se regroupent là où il est possible d’œuvrer pour des célébrations dignes et respectueuses du sacré. Au lieu de s’épuiser en combats stériles, qu’ils cherchent le lieu, abbaye, paroisse ou sanctuaire, où ils pourront vivre leur vie spirituelle et nourrir leur foi et qu’ils le fassent rayonner. En espérant qu’un jour ceci puisse rejaillir sur toute l’Église.

Le père Michel Gitton, recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins, vient de publier Initiation à la liturgie, Ad Solem, 2004. Cette analyse sera publiée par l’hebdomadaire France catholique.

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