Source [Le Figaro] De nombreux intellectuels et militants proches des nouveaux combats de la gauche identitaire promeuvent la non-mixité comme un outil de lutte.
La présidente de l’Unef, Mélanie Luce, n’avait sans doute pas imaginé que sa défense des «réunions non mixtes», à l’antenne d’Europe 1, mercredi, susciterait une telle polémique. Et pour cause: l’organisation de réunions, ateliers, forums… réservés à certains groupes qui s’estiment victimes de discriminations est en réalité une pratique ancienne et assez habituelle au sein de la gauche militante, en particulier parmi les syndicats étudiants.
Elle s’inscrit dans un concept plus large, théorisé aux États-Unis au moment de la conquête des droits civiques et repris à leur compte par les militants LGBT et ceux du mouvement de libération des femmes: le «safe space», en français «espace sûr», ou «espace positif». Le principe? Lorsqu’un groupe d’individus s’estime victime de discriminations «systémiques» subies en raison de l’une de ses caractéristiques identitaires (sexe, couleur de peau, orientation sexuelle…), il se regroupe dans de tels espaces afin que ses membres puissent partager au sujet de leur expérience de marginalisation en demeurant à l’abri d’éventuels harcèlements ou témoignages de haine. Le principe de ces safe spaces, qui se traduisent par des événements organisés en «non-mixité», c’est-à-dire interdits (aux hommes, aux Blancs, aux hétérosexuels…), bien que répandu, est néanmoins contesté depuis ses débuts.
Historiquement, la non-mixité raciale est rattachée aux groupuscules les plus violents du combat pour les droits civiques aux États-Unis. Bien sûr, cette mobilisation réunissait le plus souvent une immense majorité de Noirs ; et ce sont notamment les Black Panthers, fondés en 1966, qui sont parmi les premiers à passer de la non-mixité de fait à la non-mixité revendiquée comme arme politique. Partisans d’une autodéfense communautaire armée, les Black Panthers assument d’être un rassemblement de Noirs mobilisés pour les intérêts des Noirs. On est loin des débuts plus conciliants de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People, fondée en 1909), dont 53 des 60 membres fondateurs étaient… des Blancs.
La mixité au sein du combat pour l’obtention des droits civiques a toujours été un sujet polémique au long de l’histoire du mouvement - certains militants doutant même des motivations de leurs alliés blancs, qui pouvaient être taxées de paternalisme ou d’hypocrisie. Surtout, le cœur de ce débat s’articule autour d’une question centrale: faut-il être soi-même victime de discriminations pour pouvoir légitimement les dénoncer dans l’espace public? Telle n’était pas en tout cas la position de militants antiracistes célèbres, tel Frantz Fanon, qui interpellait dans ses écrits les Noirs comme les Blancs, les invitant à s’unir dans une lutte fraternelle pour l’égalité et la justice: «Je veux vraiment amener mon frère, Noir ou Blanc, à secouer le plus énergiquement la lamentable livrée édifiée par des siècles d’incompréhension» (Peau noire, masques blancs, 1952).
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