Article rédigé par François Martin, le 10 août 2012
La situation en Syrie nous inquiète tous. Par-delà notre intérêt et nos connaissances dans les questions arabes ou proche-orientales, nous sentons bien que cette guerre dépasse largement le cadre local, et que s’y inscrivent des visées géopolitiques très importantes. Nous sentons bien qu’en ce moment, il se « passe quelque chose », et que la chute possible, sinon probable, de Bachar El Assad, n’est pas seulement la punition attendue d’un dictateur, mais qu’elle peut avoir des conséquences incalculables pour la méditerranée, mais aussi pour le monde, et donc pour nous.
Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE [1], nous le rappelle, et nous en détaille les enjeux, dans un article que nous publions en trois parties, ainsi que dans une magistrale conférence faite en 2010. Dans cette dernière, dès cette époque, il prédit ce qui va se produire. Il démontre qu’il existe une stratégie politique, impulsée par certains pays, pour faire passer sous leur coupe, d’abord les pays musulmans, puis ensuite les autres. Il explique, preuves à l’appui, le pourquoi (le pouvoir et l’argent) et le comment (la surenchère religieuse) de la démarche de conquête et de domination imaginée par ces pays, au premier rang desquels se trouvent l’Arabie Saoudite et le Qatar.
Dans une interview télévisée récente, le géopolitologue Pascal Boniface, créateur et dirigeant de l’IRIS, faisait valoir à ce sujet que tous les pays ont, peu ou prou, une stratégie d’influence, et c’est vrai. Pour autant, il nous appartient de mesurer le danger relatif à cette influence, si la configuration politique peut potentiellement évoluer vers des formes graves, et si les acteurs de ces stratégies peuvent être contrecarrés.
Dans le cas présent, on se rend bien compte que la « configuration des planètes » est très mauvaise. Tous les régimes dictatoriaux du pourtour méditerranéens sont déjà tombés, ou en passe de l’être, sous la coupe d’intérêts islamistes, Frères Musulmans ou salafistes, supplétifs des intérêts des « parrains » de la péninsule arabique, comme l’explique Alain Chouet. Même si le pouvoir n’est nulle part totalement entre leurs mains [2], il n’en reste pas moins que la bataille politique fait rage partout, et qu’il est possible qu’ils puissent rapidement crier victoire dans tous ces pays [3].
Qu’en sera-t-il ce jour-là ? Nous le savons déjà, puisque nous connaissons parfaitement leurs méthodes : noyautage des régions pauvres et des banlieues, prise de contrôle des mosquées à la place de la hiérarchie religieuse traditionnelle, pressions et intimidations morales et physiques des intellectuels et des artistes, imposition de comportements conformes à la charia, la loi religieuse [4], en d’autres termes, mise en place progressive, à la place de dictatures anciennes plus ou moins violentes, de sociétés totalitaires, c’est-à-dire telles que la masse entière de la population sera contrôlée et réprimée, interdite de pensée ou de comportement déviant. On en connaît d’ailleurs le modèle, la société saoudienne, l’un des régimes les plus répressifs et les plus affreux de la planète.
Est-ce que cela ne nous rappelle rien ? Dans notre passé récent, nous avons déjà vu se mettre en place ce type de configuration politique, dans l’Allemagne hitlérienne par exemple, ou dans le système soviétique. Ce que nous voyons se développer sous nos yeux, c’est un processus analogue [5].
Bien sûr, nous n’en sommes pas encore là. Aujourd’hui, il n’est sans doute pas si difficile de s’opposer aux vues des islamistes. Les « grands » pays que nous sommes restent encore, malgré leurs difficultés, les plus puissants et les plus influents du monde. Nous disposons de la force économique, militaire et diplomatique. Mais que se passera-t-il demain, si nous laissons faire ? Lorsque l’Allemagne envahit la Tchécoslovaquie en septembre 1938, après les accords de Munich, le processus totalitaire devient irréversible. Mais il fait suite à de nombreuses années de cécité et de complaisance, et Hitler reconnaîtra lui-même que, lorsque deux ans plus tôt, il avait remilitarisé la Ruhr, il avait pris un risque énorme, et qu’il avait pu alors mesurer la faiblesse occidentale, à un moment où il aurait pu facilement être arrêté [6].
Aujourd’hui, on peut faire un parallèle saisissant, avec les mêmes ingrédients : ahurissante naïveté des intellectuels, qui autrefois vantaient, au nom de la justice, le régime soviétique, ou la force d’Hitler, rempart contre le bolchévisme, et qui aujourd’hui, prennent fait et cause pour les révolutionnaires soi-disant démocrates, détruisant ainsi le faible rempart que les dictatures maintiennent encore contre l’islamisme. Complaisance coupable des médias et des politiques, gauche et droite confondues, qui pensent qu’en flattant le peuple au nom des droits de l’homme, ils en tireront quelques bénéfices, politiques ou économiques. Lâcheté, trop souvent, des opinions elles-mêmes, qui ne croient pas un mot de ce qui se dit, mais font semblant de croire, par commodité.
En voyant la situation syrienne empirer de jour en jour, et les journaux en rajouter sans cesse contre Assad, ou en visionnant la conférence d’Alain Chouet, dans laquelle les sénateurs experts des questions internationales expriment leur « intérêt pour cette conférence originale », sans jamais oser dire à quel point ils sont préoccupés par un danger que par ailleurs ils connaissent parfaitement, on ne peut pas ne pas penser à la célèbre scène de Daladier et Chamberlain descendant de l’avion de Munich au Bourget, acclamés par la foule et la presse, qui titre « La paix ! », alors que Chamberlain s’exclame « Le führer est un homme sur qui l’on peut compter » et que Daladier murmure dans sa moustache « Ah les cons ! S’ils savaient ce qui les attend ».
Pire encore que l’impuissance, ce qui nous frappe, c’est ce sentiment d’un drame moral qui se joue, d’une logique d’autodestruction que décideurs et spectateurs mettent eux-mêmes en place, alors qu’ils analysent parfaitement, en leur for intérieur, ce qui se passe, mais que par ailleurs, ils sont incapables d’en arrêter le processus, parce qu’incapables de se dire la vérité. « Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre », disait Churchill.
Il est encore temps d’agir. Souhaitons pour la paix du monde que Bachar ne tombe pas. Et que la grande lumière de la Vierge, qui s’allume bientôt, dans quelques jours, nous pousse à voir en face la vérité, et suscite en nous quelques hommes forts et lucides, quelques Churchill.
François Martin
[1] Un homme dont on ne peut donc minimiser ni la compétence ni l’engagement. Cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Chouet
[2] Il ne l’est en effet ni au Maroc, où le Roi reste pour le moment le maître du jeu politique, ni en Tunisie, où la véritable élection aura lieu au printemps prochain, lorsque sera promulguée la future constitution, ni en Libye, où les Frères Musulmans ont perdu la première manche, ni en Egypte, où ils se trouvent au centre d’un invraisemblable embrouillamini politique, Cf http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Revolutions-arabes-zones-grises, ni en Syrie, où la bataille pour le contrôle du pays se déroule sous nos yeux.
[3] Danger d’autant plus grand si l’on considère l’activisme et les moyens financiers gigantesques dont disposent leurs commanditaires. Si le pétrole, qui valait 25 USD le baril en 2003, vaut aujourd’hui près de 100 USD le baril, le coût d’extraction, lui n’a pas varié, et ne dépasse pas 3 ou 4 dollars…
[4] Cf par exemple la Tunisie : http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Tunisie-le-navire-prend-l-eau-mais-ne-coule-pas-encore
[5] Et par rapport aux idéologies anciennes, nous savons aussi que le totalitarisme islamiste disposera le moment venu, lorsqu’il décidera de s’attaquer frontalement à nous, d’un atout considérable : le communautarisme que nous laissons, année après année et complaisamment, s’installer.