[Source: Familles Chrétiennes]
EXCLUSIF MAG - Saluée par les instances nationales de l’Enseignement catholique, l’autonomie promise par la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, n’est pas au rendez-vous de la réforme du collège.
À quelques mois de son entrée en vigueur en septembre 2016, les chefs d’établissements découvrent concrètement les conséquences d’une réforme qui va changer le visage du collège. Outre la suppression de nombreuses options de langues anciennes, classes bilangues et autres sections européennes, l’introduction des EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires) et d’heures consacrées à l’accompagnement personnalisé (AP) dans le socle des enseignements obligatoires fait mécaniquement diminuer les heures d’enseignement dans les disciplines classiques. Tous les niveaux (de la sixième à la troisième) vont changer d’un coup : du jamais vu. Chacun fait ses calculs, en cherchant à sauver ses dispositifs pédagogiques et les postes de ses enseignants d’anglais renforcé, d’allemand ou de langues anciennes. Et tous se plaignent que l’autonomie tant espérée ne soit pas au rendez-vous…
Directeur du collège Sainte-Marie à Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais), José Bonte s’arrache les cheveux pour sauver les postes de ses enseignants et garder la spécificité de son collège de neuf cents élèves, connu pour ses parcours personnalisés d’excellence et de soutien. « Nous n’avons plus le droit d’offrir plus de 26 heures de cours hebdomadaires à nos élèves, déplore-t-il. Avant, je pouvais faire davantage en fonction de ma dotation horaire. Nous ne pouvons plus proposer l’allemand à nos sixièmes, nous perdons des heures d’anglais renforcé et de DP 3 (Découverte professionnelle). » Dans ce collège où il y a beaucoup de latinistes, seule cette discipline a pu être sauvée, parce que le directeur, comme son équipe d’enseignants, y sont très attachés.
« On perd notre spécificité »
José Bonte dénonce une réforme « purement idéologique », pensée pour « uniformiser les parcours et niveler par le bas » : « Quand on est contre l’excellence par principe, c’est de l’idéologie, pas de la pédagogie. On nous a vendu de l’autonomie et de l’accompagnement, mais cette façon de présenter la réforme est erronée, car ces heures sont prises sur celles de l’enseignement disciplinaire que nous avions avant. Même pour la création des EPI, l’autonomie est de façade. »
« C’est dramatique pour nos collèges de l’Enseignement catholique, qui sont en train de perdre leur spécificité.“Ouvert à tous”, poursuit-il, cela veut dire que nous accueillons au sein d’un même collège les élèves les plus fragiles et ceux qui en ont sous la pédale, en nous adaptant à leurs besoins. Les premiers ont besoin de plus d’heures de soutien et de méthodologie, les seconds de pouvoir aller plus loin dans les apprentissages, sinon ils s’ennuient. Imposer une seconde langue en cinquième à des élèves déjà en difficulté dans les matières de base ne fera que les plomber davantage. »
Comme beaucoup, il est d’accord pour réformer le collège, mais en adaptant les parcours à la diversité des élèves avec trois ou quatre heures d’enseignement adapté autour d’un tronc commun où sont enseignés les fondamentaux.
Professeur de lettres classiques depuis vingt-cinq ans dans le privé, en poste au collège Sainte-Marie, Isabelle Dignocourt a écrit une lettre à la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem. Elle y crie son incompréhension face à une réforme qui privera les élèves les moins favorisés de l’ascenseur social dont elle-même, petite-fille de femme de ménage, a bénéficié grâce à l’école : « Vous allez tuer tous les parcours d’exception qu’offrait l’école de la République au nom d’une égalité égalitariste, écrit-elle, ce parcours-là, qui au moins en partie a été le vôtre, vous avez décidé de le rendre impossible. »
Isabelle Dignocourt est mortifiée de constater que l’Enseignement catholique aura également les mains liées. « Les textes sont très complexes et ont été lus trop vite. Les 20 % d’autonomie ont été présentés comme une carotte, mais c’est un leurre, car tout est très cadenassé et on n’aura ni l’autonomie, ni les moyens. Moi-même, au début, j’ai failli tomber dans le panneau. Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est que nos instances continuent à soutenir la réforme aujourd’hui. C’est sans doute difficile d’admettre qu’on s’est trompé. »
Pour la première fois, des profs du privé ont fait grève et manifesté avec ceux du public, mais la majorité est restée en retrait de la contestation. « C’est à cause de notre espèce d’être profond qui respecte les règles et fait confiance ; nous avons du mal à assumer la contestation » ; « Nous nous retrouvons dans l’obligation de fonctionner exactement de la même manière que dans le public. » Les nouveaux programmes la laissent bouche bée : « La conjugaison formelle n’apparaît plus, on nous dit par exemple que “la sensation” du passé simple suffit, on assiste à des présentations d’EPI ineptes comme “ Le régime alimentaire d’Emma Bovary est-il responsable de sa dépression ?” »…
Alors pourquoi l’Enseignement catholique a-t-il soutenu la réforme ? Isabelle Dignocourt suggère une explication : « La facilité avec laquelle la réforme des rythmes scolaires n’a pas été appliquée dans les écoles primaires de l’Enseignement catholique a pu laisser croire qu’il en serait de même pour celle du collège. Le sentiment diffus qu’on s’en sortira toujours a fait qu’on découvre seulement maintenant ce qui va nous arriver. La prise de conscience n’en est que plus douloureuse. »
Elle constate une forte pression au niveau du rectorat qui « fait très peur », car lors des réunions d’information sur la réforme, certains émissaires se permettent de proférer des menaces sur les contrats d’associations des collèges qui n’appliqueraient pas la réforme à la lettre. À une question sur l’autonomie dont disposerait l’Enseignement catholique, une de ses collègues du privé s’est entendue répondre : « Le recteur a été catégorique : le privé sera inspecté dès la rentrée. L’établissement qui n’appliquera pas la réforme perdra son contrat d’association immédiatement et si c’est le prof, eh bien, la note, le rapport, vous connaissez… » Ambiance…
Dans une note du 8 décembre 2015, la Direction générale de l’Enseignement scolaire stipule qu’il est interdit de « recréer des enseignements qui existaient auparavant, en s’appuyant sur la marge d’autonomie pédagogique » dont disposent les établissements. Il rappelle « le caractère obligatoire des enseignements complémentaires (AP et EPI) ». Concernant l’Enseignement privé sous contrat, il précise que « le même cadre réglementaire s’applique en ce qui concerne les enseignements, les horaires et l’utilisation de la marge horaire » et que « le non-respect de ces règles par un établissement privé pourrait être regardé comme une atteinte portée aux obligations qui résultent du contrat souscrit avec l’État et dès lors à sa possible résiliation ».
Des heures hors contrat peuvent-elles faire basculer une classe en hors-contrat ? Tant qu’ils assurent les heures d’enseignement obligatoires (les fameuses 26 heures), les collèges peuvent ajouter toutes celles qu’ils souhaitent en hors-contrat (c’est-à-dire non payé par l’État). La question est davantage d’ordre moral : après que l’Enseignement catholique a officiellement soutenu la réforme, que ses collèges se mettent à faire payer leurs classes bilangues en hors-contrat aurait un effet dévastateur dans l’opinion.
Double discours sur le hors-contrat
« C’est paradoxal, parce que des recteurs d’académie répondent à mes collègues de l’Enseignement catholique qui se plaignent de perdre leurs bilangues qu’ils n’ont qu’à “faire du hors-contrat pour ces filières” », s’étonne Dominique Béranger, directeur de l’ensemble scolaire Sainte-Catherine-de-Sienne à Aix-en-Provence. Son collège a perdu ses heures de latin obligatoires à partir de la cinquième (en passant de neuf à cinq heures), mais gardé ses sections européennes qui ont toujours été en hors contrat, financées par une contribution familiale.
« Nous avons conservé notre enveloppe horaire, mais nous avons moins de marge pour accompagner nos projets, car il faut intégrer les EPI dans cette enveloppe. Finalement, nous perdons en autonomie », confie-t-il. Sur le plan pédagogique, l’interdisciplinarité remise au goût du jour par les EPI l’intéresse, mais il déplore l’absence totale d’accompagnement pour une réforme de cette ampleur : « Les enseignants n’auront pas le temps de refaire tous leurs cours, sur tous les niveaux en même temps, et de monter ces projets. Cela n’a pas été pensé par la réforme. » Il doit « faire du bricolage » pour sauvegarder le temps plein de ses enseignants, en attribuant les heures d’accompagnement pédagogiques et d’EPI pour boucher les trous…
Directeur de l’ensemble scolaire de l’Immaculée-Conception à Pau (deux mille quatre cents élèves, un collège, un lycée général et un lycée des métiers), Christian Espeso se bat pour maintenir plusieurs dispositifs (sections européennes, découverte des professions…) dans le respect de la loi, en hors-contrat, sans participation des familles. « Je suis hostile à cette réforme sur le fond comme sur la forme, précise-t-il. Notre histoire éducative, c’est tout sauf l’uniformisation qu’on nous impose aujourd’hui. Prétendre donner à tous les élèves la même chose, c’est profondément méconnaître notre métier », dit-il en citant le bienheureux Nicolas Barré : « Que chacun grandisse selon son génie propre », « Ne cherchez pas de cerises sur un prunier ».
« L’égalitarisme de cette réforme, reprend-il, va renforcer cruellement les inégalités existantes en fonction de l’origine sociale des familles, de celles qui auront fait des études et des autres. Nous avons tous abandonné les IDD, “ancêtres” des EPI, pour les remplacer par les cours dont les jeunes avaient besoin, car ça ne marchait ni pour les moins scolaires, ni pour les plus avancés. Les nouveaux programmes revoient toutes les exigences à la baisse, des pans entiers du savoir sont laissés à la discrétion des enseignants. »
« Cette liberté-là ne m’intéresse pas, affirme encore Christian Espeso. Après les attentats, on a d’autant plus besoin de transmettre certains contenus, et les mêmes contenus, à tous les jeunes de ce pays. Les élèves ne s’ennuient pas si on ne renonce pas à enseigner. Ils aiment l’exigence, et nous n’avons pas le droit d’amocher leurs intelligences en supprimant les dispositifs qui tordaient le cou au formalisme du collège unique. C’est l’exigence adaptée à ce que chacun peut faire qui chassera l’ennui, notre capacité à les pousser vers l’effort gratuit et désintéressé en nous disant que les élèves peuvent trouver du plaisir dans le travail ! » Il sait que c’est aussi la conviction de nombreux collègues de l’Enseignement public.
Sur le terrain, une multitude de nouveaux collectifs d’enseignants ont vu le jour, comme « Arrête ton char ! », le collectif Condorcet, ou « Défendons sans maugréer les langues anciennes », rejoignant une longue liste allant de « Sauver les lettres » à SOS Éducation, en passant par l’association Sel (Sauvegarde des enseignements littéraires) ou le Grip – Slecc, qui militent pour des programmes plus exigeants. Pour la première fois, certains émergent au sein des enseignants de l’Enseignement catholique, jusque-là resté en marge du combat pédagogique pour la défense des savoirs. Autre fait nouveau, ils parviennent de plus en plus à fédérer des sensibilités politiques de bords opposés et surtout, les profs du public et du privé.
Clotilde Hamon