Nos coups de coeur
Mémoire et Identité
lu par Pierre-Olivier Arduin
Un " testament politique et spirituel ", c'est ainsi que l'éditeur français de Mémoire et identité présente le dernier livre personnel de Jean-Paul II.
Pario d'autres, un aspect tout à fait passionnant de ce livre mérite d'être mis en lumière, notamment dans les deux premiers chapitres, et qui lui ont valu les critiques acerbes de nombreux médias européens.
Pour Jean-Paul II, l'histoire du XXe siècle est marquée par une bataille d'idées européennes aux multiples courants, qui convergent depuis les Lumières vers une sorte de "dévastation des consciences".
"Au cours des années, écrit le pape, s'est forgée en moi la conviction que les idéologies du mal sont profondément enracinées dans l'histoire de la pensée philosophique européenne." Pour évaluer la "culture dominante" de l'Europe, le pape évoque le mouvement d'immanentisme radical qui chasse peu à peu toute référence à Dieu pour aboutir au rejet de toute métaphysique et au relativisme exacerbé sur le plan éthique. Pour Jean-Paul II, ce déclin intellectuel trouve sa source chez Descartes qui "s'occupe des êtres en tant que contenus de la conscience, et non en tant qu'existants en dehors d'elle", détruisant toute la philosophie réaliste de l'être construite par Aristote et saint Thomas d'Aquin.
L'être pensant qu'est devenu l'homme prend la place de l'être pleinement subsistant qu'est Dieu, alors que jusqu'alors il n'était qu'être participant recevant son soutien du Créateur. En rejetant Dieu en tant que Créateur, on a détruit "la source de détermination de ce qui est bien et mal" et rendu possible les idéologies du mal que sont le nazisme et le marxisme et leur cortège d'exterminations.
Mais Jean-Paul II ne considère pas les deux grands totalitarismes comme une sorte d'horrible parenthèse. Il s'agit bien de paroxysmes maléfiques surgis du processus de sécularisation continu depuis Descartes. Et si les nationaux-socialistes, ceux-là mêmes qui ont perpétré l'extermination des Juifs, sont arrivés au pouvoir dans l'Allemagne de 1933 par des voies démocratiques, le mal est toujours présent. C'est pourquoi le Pape – et c'est ce qui fait hurler les grands prêtres de la pensée unique horizontale – rappelle qu'aujourd'hui "demeure toutefois l'extermination légale des êtres humains conçus et non encore nés. Il s'agit encore une fois d'une extermination décidée par des Parlements élus démocratiquement".
Le mal moderne n'est pas simplement réductible aux grandes idéologies du XXe siècle, mais se trouve dans le sécularisme, qui est lui-même à l'origine de l'hitlérisme, du communisme et de formes nouvelles et non moins dangereuses de totalitarisme dans nos sociétés démocratiques occidentales.
Jean-Paul II évoque l'avortement, mais il ajoute aussi : "D'autres formes de violation de la loi de Dieu ne manquent pas non plus. Je pense par exemple aux fortes pressions du Parlement européen pour que soient reconnues les unions homosexuelles comme une forme alternative de famille, à laquelle reviendrait aussi le droit d'adopter. On peut et même on doit se poser la question de savoir s'il ne s'agit pas, ici encore, d'une nouvelle "idéologie du mal", peut-être plus insidieuse et plus occulte..."
Le Saint-Père témoigne d'une liberté intellectuelle étonnante à l'égard de la pensée moderne. Sa critique est aussi un appel à la vigilance et la résistance.
Appel à la résistance de la raison, tout d'abord, pour contourner la rupture cartésienne en renouant avec le réalisme de l'Aquinate et la démarche phénoménologique : "Si nous voulons parler de manière sensée du bien et du mal, nous devons revenir à saint Thomas d'Aquin, c'est-à-dire à la philosophie de l'être. Grâce, par exemple à la méthode de la phénoménologie, on peut examiner les expériences comme celles de la moralité, de la religion ou de l'être-homme, en en tirant un enrichissement significatif pour nos connaissances. On ne peut cependant oublier que toutes ces analyses présupposent implicitement la réalité de l'être-homme, à savoir qu'il existe un être créé, et aussi un être absolu."
Appel à la résistance de la foi, aussi, pour redonner toute sa place à Dieu dans la cité des hommes. Sortir d'une certaine torpeur spirituelle, notamment au niveau de l'Europe, apparaît comme une urgence pour le Pape qui rajoute : "Je pense que, justement de ce point de vue, une grande confrontation spirituelle est en cours ; de son résultat dépendra le visage de l'Europe qui est en cours de formation en ce commencement de millénaire."
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