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Les racines chrétiennes de l'Europe
Les Racines chrétiennes de l'Europe : Conversion et liberté dans les royaumes barbares Ve-VIIIe siècles
Lu par Luc Pinson
POURQUOI l'Europe est-elle devenue chrétienne ? Voilà une question qui n'a pas été posée lors du dernier débat européen.
" Nous ne pouvons imposer une religion, parce que personne ne peut être obligé à croire contre son gré". En s'adressant ainsi aux Juifs de Gênes, le roi ostrogoth Théodoric le Grand (v. 453-526) se faisait-il le défenseur de la liberté de conscience ? C'est à cette question difficile que s'attaque courageusement Bruno Dumézil dans un livre, issu de sa thèse, qui impressionne par son ampleur et son érudition. Né en 1976, il est maître de conférence en histoire médiévale à l'université de Paris-X. Ancien élève de l'Ecole normale supérieure et agrégé d'histoire, il a publié plusieurs articles sur les phénomènes religieux dans l'Europe du premier millénaire.
Une évangélisation pacifique des populations a bien évidemment existé. Mais très tôt la force publique vint s'ajouter ou se substituer au pouvoir de conviction des prédicateurs. Malgré la qualité de leur appareil législatif et administratif, les empereurs romains ne parvinrent cependant jamais à convertir l'ensemble de leurs sujets. Lorsque le dernier d'entre eux fut déposé en 476, l'Occident passa définitivement sous la domination de rois germaniques, dont à cette date aucun n'était catholique.
Les politiques civiles de coercition religieuse disparurent et l'on put même douter que le christianisme survive à l'anéantissement de l'Empire. Pourtant, trois siècles plus tard, l'Europe ne connaissait plus qu'une seule religion, le christianisme dans sa variante catholique, non pas arienne. Pour les contemporains, le phénomène parut mystérieux, car il était paradoxal. Les peuples barbares, vainqueurs de la puissance romaine, avaient accepté de se soumettre à la religion des vaincus. De façon plus extraordinaire encore, des évêques isolés et des législateurs d'Etats embryonnaires étaient parvenus à réaliser ce que Rome n'avait pas même rêvé d'accomplir. Comparer l'ampleur des réalisations à la modestie des moyens ne peut qu'amener à réviser l'idée que le christianisme a été imposé par la force. A moins que notre définition de la contrainte religieuse se révèle imparfaite face aux mentalités de ces siècles obscurs ...
Dans un âge d'inquiétude, la participation collective à des rituels d'unanimité où la reconnaissance de signes surnaturels ont pu fléchir les consciences, sans pour autant les violer. Des facteurs sociaux, économiques, culturels et intellectuels se sont superposés, comme autant de facteurs qui amenèrent les individus au baptême (l'attitude changeante des monarques barbares envers les juifs fournit aussi quelques intéressants points de comparaison). " Le retour du roi ", pour reprendre l'expression de l'auteur, consacre le princeps comme premier acteur de la conversion, comme au temps de l'Empire romain, et au détriment du pouvoir épiscopal.
Etendue dans l'espace à toute l'Europe occidentale sur pas moins de trois siècles, cette enquête rigoureuse et nuancée restitue ainsi le passage de l'Occident au christianisme dans toute sa complexité. En multipliant les angles de vue, elle propose une nouvelle approche du concept de liberté religieuse en un temps où convaincre et contraindre ne constituaient pas nécessairement des démarches opposées. Ce livre fera date (près de 300 pages de notes). Mais puisque l'islam s'est étendu par la force et la contrainte et rarement par la conviction, comment l'Europe va-t-elle réagir ?
L. P.
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