Parvenus au pied du mur électoral, les catholiques auront à poser un choix difficile. Voter est même un acte qui mobilise la conscience de chacun à la mesure de la complexité de la réalité politique. Voter est un acte exigeant.
Car l’acte électoral, s’il doit évidemment s’opérer en conscience et en vue du bien commun de notre société, s’inscrit dans une triple contingence :
- celle des circonstances qui déterminent les problèmes immédiats à traiter : aujourd’hui, la crise économique et financière impose son calendrier et ses exigences qui sont celles du redressement des finances publiques et plus largement de la sortie d’une économie d’endettement généralisé ;
- celle du possible : l’élection n’est pas le lieu du moralisme, mais celui de l’exercice de la vertu de prudence qui dispose à discerner ici et maintenant le chemin concret pour progresser vers le bien commun, avec les moyens dont on dispose ; or ces moyens sont d’autant plus limités que la crise réduit drastiquement les marges de manœuvre et que notre pays s’inscrit dans des ensembles européens et mondiaux contraignants ;
- celle de l’offre politique : elle n’est jamais satisfaisante ; mais c’est à l’intérieur de cette offre et non dans un idéal abstrait que le choix va devoir s’opérer, au-delà de toute frustration.
Sans négliger les autres, je veux me concentrer ici sur cette contingence de l’offre, pour esquisser la problématique qui se présente à trois mois du scrutin présidentiel. Comment en effet articuler l’évolution récente des catholiques pratiquants et la façon habituelle d’appréhender les termes du choix électoral. C’est ici que se résout le paradoxe apparent relevé plus haut : dans le lien qui se noue entre les valeurs essentielles et le comportement de l’élu porté à la magistrature suprême.
Évanescence des programmes et thèmes de campagne
Selon un récent sondage[1], 56% des Français détermineraient leur vote en fonction des programmes des candidats. Jusqu’où cette affirmation, apparemment évidente, est-elle vraie ?
Qu’on me permette de souligner d’abord une double asymétrie :
- le Président sortant est aussi jugé sur son bilan, donc sur son passé, même si les circonstances ont joué contre lui à son corps défendant ;
- quant aux propositions, si les challengers ont l’avantage de pouvoir annoncer du « neuf », le sortant se verra toujours objecter de n’avoir pas réalisé plus tôt les siennes.
Plus encore, il faut insister sur la brièveté de la durée de vie des programmes annoncés : on en a maints exemples. La question est de savoir pourquoi. En général, une élection présidentielle se noue sur un seul thème qui cristallise les positions et mobilise les électeurs, et qui relègue au second plan le catalogue de mesures que les candidats élaborent pour séduire tout un chacun[2] : on se souvient de la « fracture sociale » (Jacques Chirac en 1995), ou de la « rupture avec mais 1968 » (Nicolas Sarkozy en 2007). Mais ce thème directeur n’est souvent décliné qu’en termes de communication, sans être adossé aux mesures concrètes qui le traduiraient. La raison en est que la déclinaison peut être complexe, difficile et dangereuse en termes électoraux ; elle est donc renvoyée à plus tard. Avec le temps de la mise en œuvre vient celui des difficultés et de l’enlisement. D’où l’impression fréquente et juste qu’ont les électeurs d’avoir été floués.
S’y ajoute l’imprévu : en 2007, nul n’avait anticipé la crise actuelle. Qui peut dire aujourd’hui si les bouleversements actuels du monde arabe et la crise iranienne ne vont pas mettre par terre tous les projets et nous obliger à revoir toutes nos postures diplomatiques et militaires ?
Présentement, la crise économique et financière s’impose comme thème directeur ; encore faudrait-il que les candidats s’en saisissent, l’assument et le déclinent de façon crédible. Par contre, aucun ne semble anticiper d’éventuelles crises internationales majeures et y préparer les Français.
Qu’il s’agisse d’exprimer l’axe d’une stratégie pour redresser notre pays, qu’il s’agisse de faire face à l’imprévu d’un monde en crise, ou qu’il s’agisse de gager le respect des valeurs essentielles, la question de la personne, celle qui a fait bouger une partie significative des catholiques pratiquants au cours des derniers mois, devient cruciale.
Un être de chair et de sang
En élisant un président de la République, nous votons pour un homme ou une femme de chair et de sang qui détiendra un pouvoir considérable, à qui nous devrons le respect et l’obéissance dus au détenteur légitime de l’autorité politique. C’est pourquoi la personne du candidat, ses qualités et ses défauts, la cohérence de sa vie et de ses engagements, sa compétence et son aptitude à la fonction, sont des critères au moins aussi importants que son parti et son programme.
Le chef d’un État moderne est doté de pouvoirs immenses dans tous les domaines : politique et juridique, économique et fiscal, international et militaire. Leur ampleur devrait exiger de ceux qui accèdent à la magistrature suprême des qualités humaines hors du commun. Le temps est révolu où la référence à une norme transcendante, que l’on recevait et d’où émanaient les critères du bien et du juste, suffisait à canaliser l’exercice du pouvoir. Aujourd’hui, son absence rend plus impérieuse encore la considération des qualités de la personne. Or, non seulement la société ne sécrète plus « naturellement » les cadres moraux et politiques qui y suppléeraient, mais la mécanique électorale présidentielle fonctionne à rebours : elle oblige le candidat à déployer des qualités qui sont antinomiques de celles de l’exercice du pouvoir. Une campagne réussie exige ambition, activisme, extraversion totale de soi, abus de communication, voire démagogie ; la fonction présidentielle appelle retenue, prudence, mesure et sagesse.
L’énumération des qualités attendues de l’homme politique nous met sur la piste d’une exigence de cohérence personnelle qui comporte plusieurs articulations.
La première concerne les convictions personnelles. Il ne s’agit pas ici des convictions politiques, mais de celles, plus profondes, sur lesquelles le candidat a bâti sa vie, des valeurs qui animent ses pensées et ses actes. Or la plupart des candidats, au nom de la neutralité laïque, prétendent cloisonner les différents aspects de leur personnalité ; ils appellent cela « faire la différence entre l’éthique de conviction (pour leur vie privée) et l’éthique de responsabilité (pour leur vie publique) ». Mais s’il y a trop d’écart entre les deux, laquelle l’emportera quand l’élu sera livré aux tentations du pouvoir ? Il y a fort à parier que ce ne sera ni l’une ni l’autre, mais l’intérêt du moment : qui a deux morales n’en a aucune. Quelques affaires récentes ayant touché des personnalités en vue et susceptibles d’accéder la fonction présidentielle sont là pour nous le rappeler.
Moins qu’une rectitude absolue des mœurs et convictions, qui serait irréaliste, on est quand même en droit d’attendre leur relative cohérence. Cette cohérence interne constitue pour l’électeur le gage que la recherche du bien commun et l’esprit de service auxquels l’élu doit s’attacher ne seront ni contrariés par d’autres ressorts ni cantonnés à la façade.
Liée aux convictions personnelles est sa façon d’être. Toute autorité exerce un rayonnement, et l’exerce d’abord par son comportement. C’est vrai des parents dans une famille, du patron dans une entreprise et de l’élu dans la vie politique. Plus la fonction est élevée, plus l’exemplarité est forte. Faut-il, pour s’en convaincre, comparer les comportements personnels des six présidents successifs de la Ve République ? Tous les aspects de leurs vies, même les plus intimes, ont fini par marquer le fonctionnement de l’État.
Et l’expérience dira-t-on ? La maîtrise de l’art difficile de gouverner ? C’est-à-dire l’aptitude à recueillir sans a priori idéologique les éléments d’une décision, à les peser dans la balance de la justice et du bien commun, à décider en fonction d’une hiérarchie honnête de valeurs et d’objectifs, à rassembler et faire converger les décisions et les actes de ses collaborateurs et, de proche en proche, de tous les citoyens, à agir enfin avec réalisme selon la vertu de prudence, vertu propre du gouvernant qui n’est pas pusillanimité mais sagesse et pondération. Ce n’est pas trop demander à un candidat que d’avoir démontré, à une échelle plus modeste sans doute mais de façon effective et probante, qu’il possède ces qualités ; du moins qu’il en possède assez, à un degré assez élevé.
Et aussi qu’il a acquis une stature suffisante pour représenter avec autorité et dignité la France dans le concert des nations, la faire respecter, et l’engager dans les grandes affaires, jusques et y compris l’emploi de ses armées.
N’omettons pas enfin l’examen des entourages et des rapports que le candidat entretient avec eux. Nul ne gouverne seul. Encore faut-il être capable de bien choisir qui vous conseille et d’écouter ce que l’on vous dit.
Ceci n’est le profil ni d’un amateur, ni d’un idéologue, ni d’un candidat de simple témoignage. Ce ne doit pas davantage être le profil d’un archétype idéal mais inexistant. Quel sera donc le degré d’approximation, le « meilleur possible », qui permettra de résoudre l’équation ?
L’élection présidentielle désigne une personne. La question à laquelle il faut répondre ultimement est la suivante : quel est celui ou celle qui, dans les circonstances présentes, sera le plus apte à gouverner la France, de manière juste et prudente ? Le 22 avril prochain, nous mettrons dans l’urne un bulletin qui portera seulement un nom.
Lire le début de l'analyse de François de Lacoste Lareymondie : 2% décisif
[1] Sondage réalisé par CSA pour « Terrafemina » publié le 25 janvier.
[2] Ce qui ne signifie pas qu’il faille les négliger car ces mesures sont parfois importantes ou graves, notamment lorsqu’elles touchent aux fondements de la société. Nous y veillerons dans les analyses que nous publierons. Mais en général, elles ne décident pas de l’élection.
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