Dans le Figaro (2 septembre), l'essayiste s'interroge sur les raisons d'une intervention militaire en Syrie. On cherche, on ne trouve pas, sinon la volonté morale de donner une leçon : c'est la diplomatie des droits de l'homme. Or la diplomatie des principes va toujours à la radicalisation, contre l'effet recherché.
Les intérêts qui entraînèrent la Première Guerre mondiale étaient à peu près clairs : la volonté d’hégémonie européenne et maritime pour l’Allemagne, le souci d’y faire barrage pour l’Angleterre, la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine pour la France, la fuite en avant d’empires en crise, pour l’Autriche et la Russie.
Ceux qui ont déclenché la Seconde Guerre mondiale sont encore plus clairs : l’ambition d’un empire mondial pour l’Allemagne et le Japon, le souci légitime de se défendre une fois attaqués pour la Pologne, la France, le Royaume-Uni, l’URSS et enfin les États-Unis. Seule l’Italie de Mussolini, pas vraiment guerrière, mais aveuglée par un mimétisme stupide, fut irrationnelle.
Si la crise internationale relative à la Syrie devait gravement dégénérer à la suite des interventions projetées actuellement par les puissances occidentales, on chercherait en vain quels intérêts majeurs auront motivé leur terrible prise de risque, spécialement celle de la France, dans cette affaire.
Le pétrole ? Il n’y en a guère en Syrie.
Nos intérêts historiques ? Il s’agissait surtout de protéger les chrétiens : ils conduiraient donc à soutenir le régime d’Assad qui le fait mieux que quiconque.
Défendre Israël ? Mais il est de notoriété publique que ses dirigeants sont divisés sur la question syrienne : une partie d’entre eux ne souhaite pas voir, si Assad était renversé, les islamistes, voire les Turcs, à 100 km de Jérusalem. On les comprend. La Syrie a-t-elle d’ailleurs jamais menacé Israël depuis quarante ans qu’elle est dirigée par la famille Assad ?
Détruire le Hezbollah, allié de l’Iran et menace pour Israël ? Mais l’extension de la guerre à toute la Syrie, et sans doute au-delà, n’est-elle pas un détour totalement disproportionné à un tel objectif ?
Briser l’arc chiite qui enveloppe aujourd’hui le Proche-Orient, du Liban à l’Iran ? Mais cet arc n’existerait pas si la guerre d’Irak n’y avait établi un pouvoir chiite : il n’y avait pas assez de think tanks outre-Atlantique pour prévoir que la règle majoritaire appliquée à ce pays conduirait à ce résultat ? Avons-nous d’ailleurs à épouser les intérêts sunnites ?
Contenir la Russie ? Mais elle aussi se trouve sur la défensive. Après la chute de l’URSS, elle a dû renoncer à la plupart de ses positions en Europe et dans le monde : Angola, Mozambique, Somalie, Yémen etc. Géographiquement proche, elle redoute légitimement l‘extension de l’islamisme (et, pour cela, soutient l’intervention des Etats-Unis en Afghanistan), et a marqué clairement une ligne rouge en Syrie : elle ne tolèrera pas sans réagir le renversement du régime d’Assad . Un avertissement clair qu’il est très inquiétant qu’on ne l’entende pas.
Les dangers de la diplomatie des droits de l’homme
Faute d’intérêt clair et proportionné au risque, il ne reste aucun autre motif pour expliquer l’escalade à laquelle se livrent aujourd’hui les Occidentaux que le souci des droits d’homme : la rhétorique médiatique (relayée en France par le Parti socialiste) assimile jour après jour Assad à Hitler. Mais le rapprochement est absurde.
Hitler voulait conquérir le monde. Assad ne veut conquérir rien du tout, seulement qu’on le laisse en paix : il a eu autrefois la velléité d’absorber le Liban, contre nos intérêts pour le coup, mais c’est fini et nous ne lui en avons pas trop voulu ; il fut l’hôte d’honneur du défilé du 14 juillet 2008. Hitler avait entrepris d’éliminer physiquement les minorités, principalement la juive, en Europe mais en Syrie, c’est au contraire le régime Assad qui, depuis quarante ans, protège, mieux que tout autre, ses minorités et ce sont ses opposants, au moins les plus radicaux, qui veulent les éliminer.
Le régime d’Assad est loin d’être idéal ; confronté à une guerre civile appuyée de l‘extérieur, il a recours à des moyens atroces pour se défendre (sans que l’on soit sûr que la responsabilité de l’utilisation de gaz toxiques lui incombe). Ses adversaires aussi. Mais il n’était à la base qu’une dictature militaire classique , comme l’Occident en a toléré pendant des années un peu partout dans le monde et en a même mis en place en Amérique latine il n’y a pas si longtemps. C’est le même type de régime que beaucoup sont soulagés, depuis quelques jours, les illusions du « printemps arabe » retombées, de voir revenir en Egypte !
Il est sans doute intrinsèque à la diplomatie des droits de l’homme, parce qu’elle est hystérique et immature, de se fonder sur une analyse biaisée des réalités qu’elle se propose de corriger. Mais même si cette analyse n‘était pas biaisée, cette diplomatie demeure erronée dans son principe. Une diplomatie mûre doit être une diplomatie guidée par nos seuls intérêts. La récente intervention au Mali entrait dans ce cadre. Cette diplomatie qui a l’air égoïste est en fait la seule morale. D’abord parce que c’est pour qu’ils défendent nos intérêts que nous avons élu nos dirigeants. Ensuite parce qu’elle est le meilleur moyen de limiter les risques : on trouve toujours des compromis à partir de intérêts bien compris, jamais à partir des principes et des idéologies.
Sous les apparences de la supériorité morale, la diplomatie des principes conduit tout droit à la perdition. « Qui veut faire l’ange fait la bête. »
S’engager dans une affaire aussi grave que la guerre, spécialement dans un terrain aussi miné que le Proche-Orient sans pouvoir se prévaloir d’un intérêt clair est le signe d’un grave dérèglement des esprits. Jupiter dementat quos vult perdere.
R. H.