L'abbaye de Saint-Maur fondée au VIe siècle au Thoureil, petit village des bords de Loire situé entre Angers et Saumur, va revivre. Le Conseil général de Maine-et-Loire, propriétaire des lieux, cède le monument à une communauté religieuse, pour un loyer symbolique d'un euro par an.
En contrepartie d'un bail de 70 ans, les moines s'engagent à prendre eux-mêmes en charge les travaux de restauration, estimés pour une première tranche à près de 500.000 euros.
La décision du Conseil général de lui redonner une vocation confessionnelle, contestée par l'opposition socialiste du département qui souhaitait une exploitation touristique du site, met fin à une longue incertitude. Au départ des pères augustins de l'Assomption en 1994, l'abbaye avait été rachetée à la hâte par le Conseil général, sollicité à l'époque par la Fondation des orphelins apprentis d'Auteuil, qui souhaitait y implanter une centre de formation. Faute de fonds nécessaires à la restauration, la fondation avait dû renoncer à son projet, laissant la collectivité avec un monument coûteux en frais d'entretien. Depuis, plusieurs autres projets avaient été soumis au département : un complexe hôtelier de luxe, une fondation privée artistique, une Maison de la Loire, un musée de l'art religieux... Mais le coût des travaux de rénovation de l'abbaye - plus de 2,3 millions d'euros - avait constitué à chaque fois un écueil pour les candidats.
Il faut se réjouir de type de démarche, qui tout en demeurant peu fréquent, commence à être accepté ; c'est le cas par exemple au Mont Saint-Michel, à la Chartreuse de La Verne avec les sœurs de Bethléem ou l'abbaye du Thoronet. À cela deux raisons.
La première provient de l'impécuniosité des collectivités publiques (État, départements, communes). La plupart de ces bâtiments anciens se trouvent dans leur patrimoine. Beaucoup ont été transformés en lieux publics ou en locaux administratifs : on ne compte plus les évêchés, séminaires, et monastères qui servent, ou servaient de préfectures, bureaux, casernes, prisons, etc., notamment ceux qui ont été directement récupérés à la Révolution. Ceux qui sont devenus des musées le resteront de façon sans doute définitive.
Mais pour les autres, les limites de ces reconversions sont apparues depuis une trentaine d'années : la nécessité de les moderniser et de les mettre aux normes, notamment pour recevoir du public, s'oppose aux contraintes nées du classement en Monument historique qui est le lot de beaucoup et de leur restauration qui tend, de plus en plus, à les restituer en leur état d'origine ; notamment lorsqu'il s'agit de bâtiments à vocation très typée comme les monastères.
Pendant un temps, les collectivités ont imaginé tourner la difficulté en les transformant en centres de séminaires ou de rencontres, en pôles d'animation culturelle, ou autres concepts aussi flous : elles ont dû déchanter d'une part en constatant que les besoins en la matière ne sont pas aussi vastes qu'elles l'imaginaient ; d'autre part parce qu'on ne crée pas ce genre d'établissement de toute pièce, en pleine nature, sans un environnement adéquat (grande ville attractive ou région à fort rayonnement, symbolique élevée qui attire du monde, parc hôtelier adéquat à proximité), et enfin parce que cela est très onéreux tant en investissement compte tenu des contraintes rappelées ci-dessus qu'en entretien, alors que leurs moyens financiers sont de plus en plus serrés. D'où une impasse et un risque d'abandon qui heurte les nombreux adeptes de la préservation du patrimoine tout autant que les populations locales attachées à leurs monuments.
En second lieu et parallèlement, l'attitude envers les communautés religieuses a évolué. Notamment en ce qui concerne les communautés contemplatives ou mixtes (type Saint-Jean ou Jérusalem). L'anticléricalisme primaire du XVIIIe, du XIXe et du début du XXe siècle a disparu, sauf dans quelques cercles qui se révèlent assez restreints même s'ils sont encore actifs et dotés de réels pouvoirs.
À l'inverse, ces communautés se trouvent aujourd'hui en phase avec certaines aspirations modernes de retour à une vie plus simple et proche de la nature, de silence et de méditation, d'accueil et d'écoute qui, indépendamment de toute dimension strictement religieuse et sans chercher à donner à mon propos une trop grande portée, sont devenues des valeurs positives.
Par ailleurs, ces communautés, à la différence des collectivités publiques, peuvent mobiliser des dons pour construire ou restaurer un monastère de façon relativement importante, pas uniquement de la part de fidèles ou d'amis spirituels, mais aussi de personnes qui souhaitent consacrer une partie de leurs fortune à un œuvre à forte dimension patrimoniale ou symbolique qu'elles sont assurées de voir bien conduite et, a priori, sans risque de détournement. De plus, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, du côté de l'administration on s'est aperçu que les charges d'entretien étaient beaucoup mieux assumées par de telles communautés, non parce qu'elles sont riches (bien au contraire), mais tout simplement parce que l'occupation permanente en est la meilleure garantie et qu'elles font vivre ces bâtiments conformément à leur vocation d'origine sans les transformer abusivement et coûteusement : constatation qui rejoint le souci du retour aux sources.
Enfin, du côté des communautés religieuses on a assisté à une évolution des mentalités : certaines ont commencé à admettre qu'elles pouvaient ne pas être propriétaires de leurs monastères pourvu qu'elles puissent en disposer pendant une longue période qui justifie les investissement importants qu'elles y engagent. C'est ainsi qu'elles ont accepté de recourir aux ressources du droit jusqu'à présent peu usitées, comme le bail à construction, le bail emphytéotique et autres formules d'occupation de longue durée qui, aux yeux des collectivités publiques, présentent l'avantage de ne pas les obliger à se désaisir de la propriété et les autorisent même à contribuer pour une part aux travaux de restauration.
Bien entendu, les manifestations pratiques de ces évolutions sont encore peu nombreuses ; mais elles commencent à être connues de sorte que les inhibitions de principe se lèvent être progressivement. À chaque fois cependant, un tel aboutissement nécessite une conjonction de facteurs qui demeure rare et passe par un très long parcours d'obstacles dont le franchissement suppose la présence de personnalités pour porter le projet.
À l'abbaye de Saint-Maur, les travaux commenceront en 2004, les premiers religieux arriveront en 2005. Selon la volonté de l'évêque d'Angers, outre sa vocation de prière et de retraite, ce lieu pourrait devenir un véritable centre intellectuel et religieux, ouvert au public. La laïcité n'est plus ce qu'elle était...
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