" C'est une maison bleue / Adossée a la colline./ On y vient à pied./ Ceux qui vivent là / Ont jeté la clé... " On y vient à pied, comme l'Empereur à Canossa, les pieds nus dans la neige et le froid.
Quand à la clé, si elle a été jetée, elle n'est pas perdue pour tout le monde et servira le moment voulu. Pour les non-"gaullistes", il s'agira plutôt de savoir s'ils auront droit alors à un double de la clé de service...
C'est ce qu'ont dû penser les "libéraux" ce samedi 21 septembre lorsqu'ils furent sommés de se réjouir de " porter leur audace réformatrice " au sein de la maison commune, qu'elle soit in fine bleue ou tricolore... par un Madelin qui semblait avoir l'esprit ailleurs, et pressé d'en finir.
On ne pouvait pas penser, en l'écoutant soupirer entre deux phrases, et en se rappelant le plaisir qu'il avait pris à présenter aux téléspectateurs sa nouvelle compagne en avril dernier, que sa chanson à lui, ces derniers temps semblerait plutôt celle de Brassens :
" Mais de l'UMP, moi voyez vous,
moi j'men fous...
j'ai rendez-vous avec vous... "
Le grand courant " réformateur, imaginatif, libéral et moderne, " prôné par Alain Madelin samedi sera-t-il possible au sein de la maison commune UMP ? Il y a à cela deux types d'obstacles. Sur le fond, et sur la forme.
Sur le fond d'abord.
Il importe de le dire, et Jacques Chirac l'a dit aux libéraux — l'a fait lire samedi — au Théâtre de l'Empire par Jean-Pierre Raffarin : " J'ai besoin de votre audace " pour rassurer le patronat et les professions libérales qui piaffent d'impatience devant la lenteur des réformes promises.
Mais il importe de ne pas le laisser faire. Alain Madelin a déjà payé en 1997 sa charge contre les fonctionnaires. Ses troupes sont impatientes d'en découdre sur ce plan. Mais se sont-ils demandé, comme les dirigeants anglais qui veulent interdire la chasse au renard dans les campagnes, ce que vont faire demain les gens qui en vivaient ? Et puis c'est une pente dangereuse : s'il y a un million de fonctionnaires de trop sur cinq , combien d'élus y a-t-il en trop sur 500.000 ? La réforme de l'État est en route. Elle commencera par toucher aux différents niveaux de représentation. Légèrement, certes, mais le mouvement est lancé... Or on ne peut pas s'attaquer à tout en même temps. Alain Juppé l'a appris aussi à ses dépens. Le "mi chèvre - mi vache" est, si je ne m'abuse, un fromage poitevin. Qu'on se le dise... Ainsi sera probablement la réforme de l'État voulue par Raffarin.
L'audace doit donc se placer dans l'annonce et dans l'avenir. Pas dans les faits et le présent. Il faut donc tenir les libéraux en lisière.
Sur la forme ensuite.
Là encore le Premier ministre s'est situé samedi de manière très précise pour qui sait lire entre les lignes. Il a dit : " Je ne défends pas un clan, " et aussi : " Les ministres doivent être exemplaires dans l'exercice et la pratique de l'union. C'est une question de confiance, je ne transigerai pas sur ce point ". Et encore : " Les ministres ne doivent pas constituer de courants ". Il y veillera " avec la plus grande fermeté ".
Il s'agit donc d'une position de principe formelle.
Dès lors trois questions se posent.
Première question : D'autres que les ministres peuvent-ils constituer des courants ? J.-P. Raffarin y a implicitement répondu. IL a admis samedi à l'Empire qu'Alain Madelin " fonde son mouvement ", d'autant qu'" il y défendra des idées qui même à Démocratie libérale sont parfois considérées comme choquantes ". Tout est dit en ces quelques mots sans doute soigneusement pesés et qui nous renvoient aux questions de fond sus évoquées. Madelin peut faire ses "cercles libéraux", c'est sans danger. Primo parce qu'il n'est pas ministre, secundo parce que seule une partie de ses troupes le suivra, et elle sera minoritaire pour ne pas dire embryonnaire si on se réfère au "lâchage" de la quasi totalité des élus DL au moment de la présidentielle. Pour ces deux raisons, le Premier ministre tolérera mais ne couvrira pas ce "clan" là dont il trouve les options libérales excessives. Ni lui ni les cinq ministres ex-DL de son gouvernement. Il y veillera. Alain Madelin a-t-il senti la réticence de J.-P. Raffarin ou avait-il déjà jeté le gant ? Il n'a en tout cas pas dit, samedi, qu'il dirigerait lui même ce courant. Il le " soutiendra et l'encouragera ".
Deuxième question : qui d'autre que Madelin pourrait créer le courant libéral ? François d'Aubert — qui n'est pas ministre et sur lequel ne pèse donc pas d'interdit — le pourrait utilement, car il est un membre fondateur et influent de l'UMP. De plus ses opinions semblent un peu en retrait de celles de Madelin sur le libéralisme. Lui seul sans doute donc, aujourd'hui, pourrait assumer la tâche délicate de poser les fondements d'un courant libéral.
Troisième question : quand cela sera-t-il possible ? Ennemi de la précipitation, Jean-Pierre Raffarin penche pour le solution de "mouvements" internes qui seraient consacrés lors du second congrès, fin 2003... Cela laisse le temps aux réseaux de se (re)constituer, chez les libéraux comme chez les souverainistes, et si vraiment les statuts prévoient l'intervention des militants dans la désignation des instances dirigeantes, de les faire reposer non, comme cela risquerait d'être le cas aujourd'hui, sur les ambitions personnelles mais sur la réalité d'idées et de cultures politiques divergentes qui ont de tous temps partagé la droite comme elles partagent la gauche.
Quatrième question : les ex RPR, largement majoritaires, laisseront-ils faire ? On pourra déjà se faire une idée de la suite après le congrès du 17 novembre. Si les militants y ont eu leur place, s'ils ont pu choisir librement des représentants fédéraux entre des candidats ex-UDF, ex-DL et ex-RPR, alors tout sera possible, y compris l'union ET la diversité.
Si au contraire ils sont simplement appelés à reconduire les équipes qui étaient déjà en place du temps du RPR dans les fédérations, alors on pourra tout craindre : que les "cercles" et autres clubs créés à la marge de l'Union ne se constituent à leur tour en partis ; et que l'UDF et le MPF soient les premiers bénéficiaires de cette fuite des élus et des militants, qu'a terme l'Union ne sera qu' une machine électorale vidée de la plus grande part de sa substance idéologique...
Il semble que ce soit le sens de la petite note critique lancée par François d'Aubert samedi au milieu d'un concert de louanges pour la nouvelle Union. Telle une bonne fée penchée sur le berceau du prince nouveau né il lança un voeu : " Que l'UMP soit un nouveau parti politique et pas le clone agrandi de telle ou telle formation... "
A-t-il aussi la baguette magique ?