[Source: Kernews]
Jean-Paul Gourévitch : « On est victime d’une désinformation et cela concerne aussi bien des émissions de télévision produites par des chaînes publiques, que des statistiques données par des établissements publics. »
OUVRAGE: Etude n°34 "Les migrations méditerranéennes en 2015"
Contribuables Associés vient de publier sa 34e étude qui est consacrée aux migrations méditerranéennes en 2015. Jean-Paul Gourévitch, consultant international sur l’Afrique et les migrations, dresse un panorama complet des flux migratoires en 2015. Il apparaît que le coût des migrations irrégulières en 2015 pour la France s’élève à 1,38 milliard d’euros. Or, avec une gestion plus rigoureuse des flux migratoires et une simple application de la loi, la France aurait pu économiser 764 millions d’euros l’an dernier. Par ailleurs, la demande d’asile est en augmentation continue en France depuis 2008, alors que 96% des déboutés du droit d’asile restent en France.
Kernews : Vous avez publié plusieurs études sur le coût de l’immigration en France, mais cette année vous vous êtes particulièrement intéressé à la question de l’immigration irrégulière à travers ces travaux sur les migrations méditerranéennes en 2015. Comment peut-on calculer ce coût puisque, par définition, ces migrants sont des clandestins ?
Jean-Paul Gourévitch : Dans mon livre « Les migrations pour les Nuls », qui était sorti fin 2014, j’avais fait un travail de synthèse sur l’ensemble des migrations, mais ce travail s’arrêtait fin 2014 et il fallait tenir compte de l’immigration méditerranéenne en 2015. Pour essayer de calculer le coût de ces migrants irréguliers, j’ai fait trois hypothèses. La première porte sur les engagements de François Hollande sur l’accueil de 30 000 migrants supplémentaires en deux ans. Son ministre des Finances a dit que cela coûterait quelques millions d’euros : or, quand on fait l’étude, on s’aperçoit que c’est beaucoup plus que quelques millions et plutôt 405 millions d’euros ! La deuxième hypothèse porte sur les migrants qui ont déposé une demande d’asile en France en 2015, il y en a eu 79 000, et nous sommes arrivés à un coût de 1,38 milliards d’euros, notamment à partir de chiffres fournis par un rapport du Sénat. Enfin, il y a une projection sur ce qui se passerait en 2016 si chaque pays européen était obligé d’appliquer des quotas. Nous aurions des coûts relativement importants mais que, malheureusement, on ne peut pas complètement calculer puisque l’on ne sait pas combien de migrants vont arriver en 2016. Les fourchettes sont très vastes puisqu’elles vont d’un minimum de 1,2 million à un maximum de 2,6 millions. Je me suis aussi intéressé aux économies que la France pouvait faire sur ces dépenses car nous sommes quand même dans une période de restrictions budgétaires et je suis arrivé à la somme de 764 millions.
Le coût des migrations irrégulières a été de 1,3 milliard en 2015 et vous estimez qu’avec une gestion plus rigoureuse, la France aurait pu économiser 764 millions d’euros. Comment peut-on y parvenir puisque, lorsque l’on accueille un migrant, il faut l’héberger et le nourrir pendant un certain temps et ce sont des dépenses incompressibles ?
J’ai identifié quatre postes sur lesquels on peut faire des économies. Le premier, c’est la contribution des migrants aux frais de santé et de justice. Les migrants bénéficient de l’aide médicale d’État (AME) et, depuis l’arrivée de François Hollande, ils ne paient plus de cotisation. C’est très dommage : la cotisation n’aurait pas rapporté grand-chose, mais elle permettait un suivi médical de cette population. On peut avoir des dérives car on n’a pas la possibilité de savoir qui est concerné et ce que devient la personne. C’est un peu la même chose pour les frais de justice. Les migrants font une demande devant le tribunal administratif et quand elle est repoussée, la plupart d’entre eux font un appel devant la cour nationale du droit d’asile. Cet appel est refusé dans 80% des cas et je me suis dit que si l’on demandait une cotisation à ces migrants qui font appel, et que cette cotisation leur soit remboursée si leur appel aboutit, on découragerait un certain nombre de migrants qui n’ont absolument aucune chance de voir leur appel aboutir et cela désengorgerait les tribunaux. Cela fait déjà 73 millions d’euros. De la même façon, si on luttait contre la fraude identitaire, on pourrait économiser près de 100 millions d’euros. Si l’on réduisait les subventions aux associations d’aides aux migrants irréguliers, non pas en les supprimant – parce qu’il est tout à fait normal qu’un migrant irrégulier puisse être défendu – mais en les donnant à des associations qui peuvent présenter des comptes et qui ont une véritable action, on économiserait là encore 50 millions. La plus grosse économie serait d’appliquer les décisions de justice concernant les déboutés : 96% de ces déboutés restent en France. Si ces déboutés étaient reconduits, on économiserait 542 millions…
Votre étude permet aussi de connaître les droits et les aides dont bénéficient les migrants en situation irrégulière. Souvent, les journalistes ne veulent pas en parler, afin d’éviter de faire le jeu du Front national, et l’un d’entre eux a même dit dans une rédaction nationale : « Il ne faut pas que les Français se rendent compte que les migrants ont beaucoup plus de droits qu’eux… » Qu’en pensez-vous ?
On est victime d’une désinformation et cela concerne aussi bien des émissions de télévision produites par des chaînes publiques, que des statistiques données par des établissements publics, comme l’INSEE, mais aussi la façon dont certaines images sont traitées. Je pense profondément que les Français ont le droit d’être informés et qu’ils ne sont pas stupides. Ce n’est pas parce qu’on leur donnera des informations sur les coûts, qu’ils iront tous voter Front national ! Au contraire, dans une démocratie, l’échange normal des informations, c’est une sorte de poumon de la démocratie et, quand on camoufle les informations, on obtient des résultats exactement contraires à ce qui est recherché. On veut cacher une information, soi-disant pour ne pas faire le jeu de l’extrême droite, mais quand quelqu’un constate qu’il y a un écart énorme entre ce qu’il vit et ce qu’on lui raconte, il n’a plus confiance dans ce qu’on lui dit. La perte de confiance dans les informations données par les médias, je trouve cela très grave parce que cela laisse le champ aux rumeurs, aux amalgames et aux chiffres balancés à la louche… C’est exactement le contraire de ce que nous essayons de faire.
Vous revenez sur les agressions sexuelles qui ont eu lieu à la gare de Cologne à la fin de l’année dernière et vous estimez nécessaire d’inculquer aux hommes jeunes, pour la plupart musulmans, les codes d’une société européenne permissive et ouverte qui heurte leur culture et leurs traditions… Mais ne pensez-vous pas qu’ils sont déjà parfaitement bien informés de nos codes ?
Je fais une différence entre l’information et l’appropriation. Que les gens qui arrivent soient parfaitement bien informés des codes européens qui sont différents de ceux de leur pays d’origine, c’est indiscutable, mais il y a un travail à faire pour qu’ils se les approprient. Quand je dis inculquer, ce n’est pas du tout imposer, c’est faire en sorte qu’ils se les approprient progressivement. C’est un travail très long et qui ne se fera pas simplement en faisant des grandes déclarations ou des projets de loi. On est sur du très long terme. Le travail n’a pas bien été fait depuis très longtemps. Ce n’est pas un problème de gouvernement de gauche ou de droite : cela fait 30 ans que je travaille sur la question des migrations, j’ai vécu en Afrique pendant près de 25 ans et j’ai constaté que très peu de choses ont été faites pour faire en sorte que ces personnes d’origine étrangère, quand elles arrivent en France, acceptent et trouvent normaux les codes que nous avons dans notre société. On a mis très longtemps à considérer que l’apprentissage de la langue française était une priorité. Quand vous ne maîtrisez pas la langue du pays d’accueil, vous êtes automatiquement en repli par rapport à la communauté qui vous accueille. On a essayé de développer dans les écoles l’enseignement des langues et des cultures d’origine, cela partait peut-être d’une très bonne idée, mais le résultat est catastrophique puisque les gens qui ont suivi ces études de langues et de cultures d’origine ont maintenant des déficits en français, en calcul et en lecture…
Vous chiffrez le coût annuel d’un migrant irrégulier à 6872 euros par an : ce montant intègre-t-il les aides en provenance d’associations diverses ?
Dans ce chiffre, il y a bien entendu la partie de l’aide qui est donnée aux associations de défense des migrants, dont certaines font parfaitement leur travail et dont d’autres sont malheureusement plutôt des boîtes à lettres et ne fournissent pas automatiquement les comptes qui leur sont demandés, malgré les demandes de la Cour des comptes. Mais je ne me suis pas limité au problème des coûts. Nous devons aussi imaginer les scénarios du futur en fonction de ce qui se produit aujourd’hui. À la fin de l’année 2014, j’avais dit qu’il arriverait en Europe entre 1 et 1,5 million de migrants irréguliers. On m’a rigolé au nez… Le responsable d’une association très connue m’a dit : « Ce sont des fantasmes d’experts ! » On peut constater aujourd’hui qu’il est venu 1,2 million de personnes et ma fourchette était donc relativement juste. On ne s’était pas du tout préparé à cela et notre travail, que nous essayons de faire le plus objectivement possible, c’est de faire des propositions pour que, justement, on ne coure pas derrière l’événement et que l’on ne soit pas débordé en permanence par des afflux que l’on ne peut pas maîtriser, justement parce qu’on ne les avait pas prévus à l’avance…
Le coût d’un migrant irrégulier est de 6872 euros, alors que celui d’un demandeur d’asile est de 13 724 euros. Pourquoi cette différence ? Tous les migrants irréguliers ne sont-ils pas forcément des demandeurs d’asile puisque l’on pourrait penser que la plupart des irréguliers vont essayer de faire jouer ce statut ?
C’est inexact, car il y a beaucoup de migrants qui savent très bien qu’ils n’auront pas le statut de demandeur d’asile, parce qu’ils viennent de pays sûrs. Ensuite, ces migrants veulent travailler immédiatement pour nourrir leur famille et pour envoyer de l’argent au pays, et ils ne vont donc pas rentrer dans une procédure de demande d’asile qui interdit de travailler pendant le temps d’instruction de la demande, c’est-à-dire en moyenne 18 mois. Une très grande partie des migrants irréguliers, non seulement trouvent du travail dans l’économie informelle, mais ils consomment aussi, et cela explique que le coût d’un migrant irrégulier est beaucoup moins important que celui d’un demandeur d’asile.
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