L'approche de chaque Téléthon ravive pour les chrétiens – et toute personne attachée au respect de l'être humain dès son commencement – une question délicate. Que doit être leur attitude ? Comment persister à défendre la cause des plus vulnérables, sans se tenir à l'écart du monde, spécialement quand un évènement de ce genre mobilise un grand nombre de personnes bien intentionnées ?
Depuis que les objections éthiques majeures que l'Église catholique oppose à la politique de l'Association française de lutte contre les myopathies (AFM) ont rencontré un écho médiatique, nombre d'organismes chrétiens ont revu leur position. Non sans quelques débats, parfois houleux, avec de douloureux cas de conscience. Car ils risquaient de paraître désavouer la générosité qui rassemble les organisateurs de la grand'messe cathodique annuelle, tous ceux qui les aident et leurs nombreux donateurs.
Il est pourtant légitime de contester certaines pratiques promues ou financées depuis des années par une AFM dédiée en principe à chercher pour guérir et sauver. N'est-ce pas elle qui a dévié de cette mission originelle en vantant le diagnostic préimplantatoire ? Cette technique n'est qu'une façon de cacher la maladie en empêchant les embryons qui la portent de naître. Avec une telle logique, affirmait courageusement une marraine du Téléthon 2006 – Raphaëlle Monod-Sjöström, ancienne championne du monde de ski acrobatique – son filleul en fauteuil roulant présent en direct sur France 3 à ses côtés aurait été privé de l'existence, et aucunement guéri.
Une transgression sans précédent
De même leur terrible douleur et leur soif d'aboutir ont conduit les dirigeants de l'AFM à se constituer en puissant lobby cautionnant l'instrumentalisation de l'embryon humain, allant jusqu'à être un des premiers financeurs de la recherche sur l'embryon vivant. Elle est certes légale depuis 2004 mais on a le droit de la considérer comme une dérive inhumaine et pour tout dire immorale. C'est même une transgression sans précédent selon l'expression du cardinal Barbarin, dans son communiqué réagissant en 2004 à cette réforme de la loi bioéthique.
Se détourner du Téléthon reste un crève-cœur lorsque l'on sait que les sommes détournées d'usages qui seraient à nos yeux justes, sont encore très minoritaires. L'essentiel des dons continuent d'aller à des recherches éthiquement incontestables et à des aides concrètes. D'autant que ces aides soutiennent magnifiquement des milliers de personnes handicapées pour lesquelles nous n'avons pas de solution de remplacement , puisque nous ne bénéficions pas de la capacité de communication acquise de haute lutte par l'AFM.
Il nous faut cependant être lucides : c'est un basculement de civilisation auquel l'AFM a fini par contribuer par son lobbying, faisant tomber les barrières éthiques qui jusque-là protégeaient l'embryon humain, sans voir qu'avec le DPI, puis la recherche sur l'embryon, les premières victimes de cette logique étaient les êtres humains vulnérables, comme ceux que l'association voulait sauver.
On sait déjà ce que donne un tel engrenage avec la trisomie 21. La politique publique glisse inexorablement de l'accueil à l'éradication prénatale, au détriment de la véritable recherche thérapeutique. Et certaines myopathies se traduisent désormais par 100% d'avortements qu'on dit médicaux lorsqu'elles sont décelées avant la naissance.
Il faut reconnaître qu'il est bien difficile à des responsables qui s'étaient engagés dans le Téléthon de lui tourner le dos. Des liens d'amitié s'étaient noués. On a mobilisé des paroisses, des écoles, des parents d'élèves. On a couru, chanté, quêté. Et soudain, ce dont on était fier et heureux s'effondre ! Les psycho-sociologues ont décrit la propension des personnes à rester attachées aux actes effectués avec une conscience droite lorsqu'il leur est révélé que tout n'était pas aussi rose qu'il y paraissait. La prise de conscience est longue, difficile et douloureuse. Elle est souvent émaillée d'éclats. La peur de ces scandales explique sans doute le malaise et les hésitations encore observés ici où là.
Du côté des militants de l'AFM aussi, on a du mal à comprendre en quoi l'Église serait prophétique en défendant l'embryon ; on se sent trahi et abandonné. Des chrétiens convaincus figurent d'ailleurs parmi les fondateurs de l'œuvre dont ils n'ont pas su éviter la dérive. La douleur, nous le savons, tend à anesthésier les consciences. On est vite prêt à tout pour échapper au malheur. C'est pourquoi, alors que 54% des Français auraient été favorables à un système de fléchage des dons permettant aux donateurs qui le désirent que leur argent n'aille pas à la recherche sur les embryons (sondage Ifop décembre 2006), les responsables de l'AFM ont répondu par une fin de non recevoir à cette porte de sortie honorable. La seule idée que l'on puisse les remettre en cause leur semble insupportable. Comme si la souffrance avait sacralisé leur projet. Les promesses de dialoguer avec l'Église sur ses réticences éthiques n'ont à ce jour pas abouti.
Le vaste champ de l'objection de conscience
À la décharge de l'AFM, il est aujourd'hui nécessaire de prendre la mesure du plus vaste problème que pose l'objection de conscience pour les personnes sensibles au respect de la vie. D'abord beaucoup d'autres organismes privés faisant appel au public sont entrées dans la même dérive que l'AFM (c'est le cas par exemple de la lutte contre la mucoviscidose, avec les Virades de l'espoir). Ensuite, si nous sommes sourcilleux sur l'usage de nos dons, ne devrions-nous pas l'être pour nos impôts qui financent, entre autres, l'avortement et son remboursement ? Enfin combien de chrétiens, s'ils creusaient davantage, prendraient conscience des transgressions éthiques commises par les entreprises ou les administrations où ils travaillent : industrie pharmaceutique, médias, structures hospitalières et de santé, pour ne citer que quelques cas emblématiques... Leur faudrait-il demander à renoncer à la part du salaire correspondant au chiffre d'affaire effectué sur ces domaines d'activité que leur conscience réprouve ?
Habitués à vivre dans le monde, nous n'avons pas toujours saisi la marginalisation culturelle et pratique des valeurs chrétiennes autrefois consensuelles, même dans les milieux anticléricaux. Nous avons aussi gardé l'habitude de nous soumettre poliment à l'autorité, ou à la loi, sans voir qu'une loi supérieure et qu'une autorité absolue nommée conscience nous appelait à la liberté. Mais pour assumer une telle liberté, il nous faut accepter de prendre des risques personnels, jusqu'à endurer ce que saint Maximilien Kolbe nommait le martyr blanc . Il ne prend pas la vie d'un coup, mais la demande par petits bouts, provoquant de cruels deuils successifs. Carrière, amis, notoriété : dans un monde paganisé, ne faut-il pas désormais, pour rester chrétien et pour agir en chrétien, en payer le prix ?
Là où cet enjeu est devenu le plus significatif ou crucial, c'est l'école, qu'elle soit publique ou privée.
Car c'est le catéchisme d'un véritable ordre amoral qui endoctrine désormais les élèves, jusque dans les lieux les plus estampillés catholiques . Du temps du gouvernement Jospin, les 12 millions de guides reprenant les préceptes mensongers du Planning familial étaient largement parvenus aux élèves de toutes sortes d'établissements. Aujourd'hui, c'est une campagne du ministère de l'Éducation nationale qui, pour lutter contre l'homophobie, propage une image faussée de la sexualité. Récemment des collégiens de quatrième d'une école chrétienne ont été invités par leur professeur de SVT à assister à la projection des Bureaux de Dieu au cinéma. Des parents ont découvert juste à temps qu'il ne s'agissait pas d'un film inscrit dans le cadre de l'éducation religieuse mais bien de celui où le Planning familial explique notamment, comment une mineure peut avorter en dehors de tout délai légal, à l'insu de ses parents.
Dans les classes de première d'un autre établissement catholique, c'est un représentant du Cecos (organisme recueillant les dons de sperme) qui viendra prochainement informer les élèves... Ailleurs, c'est l'invitation de Simone Veil en témoin de la vie qui a provoqué un scandale, devenu public, et des fractures.
Faudrait-il se taire, laisser faire, se contenter de faire jouer une objection de conscience individuelle ou prendre la défense de tous les élèves qui risquent d'être ainsi endoctrinés ? L'esprit de résistance est difficile à exercer dans la douceur et la paix. La stupéfaction de quelques parents, souvent minoritaires, risque de les conduire à des attitudes maladroites ou mal comprises. Mais c'est plus sûrement le silence qui tue.
*Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie, fondateur de A bras ouverts. A publié Le Bonheur blessé (CLD, 2005).
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