7 janvier 2015, attentats contre Charlie Hebdo et le supermarché casher : « Nous sommes en guerre ! » déclare la classe politique unanime.
Février 2015, des embouteillages monstres boquent les accès aux stations de ski : Nous sommes en guerre…
Avril 2015, on se fait déjà dorer au soleil sur les plages et une température particulièrement clémente autorise même à se jeter à l’eau : Nous sommes en guerre…
Mai 2015 et ses multiples ponts provoquent un déploiement exceptionnel des forces de police et gendarmerie sur les routes : Nous sommes en guerre…
Juin 2015, c’est le triomphe du PSG qui réussit le triplé. Une CRS se fait porter pâle : Nous sommes en guerre…Peut être une guerre de civilisation (avec ou sans s) dit le premier ministre avant de se sortir tant bien que mal de ce raccourci aussitôt pointé du doigt.
Juillet 2015, la canicule frappe. Il faut boire de l’eau et se mettre à l’ombre répètent les médias et les experts : Nous sommes en guerre…Mais 500 000 personnes assistent au concert du 14 juillet sur le Champ de Mars et des millions au deuxième succès de Chris Froome sur les routes du Tour de France.
Et n’oublions pas les taxis qui bloquent les aéroports, les agriculteurs les autoroutes et les aiguilleurs du ciel qui menacent comme chaque été pour montrer aux touristes étrangers combien notre belle France est accueillante : Nous sommes en guerre…
Sommes-nous en guerre ?
Il nous faut alors réfléchir à ce que cache le signifiant « guerre » puisque de temps à autre un expert, un homme politique aime à nous la rappeler : « Nous sommes en guerre ! ».
Il a pourtant fallu bien du temps pour désigner l’état islamique comme ennemi autrement que par le qualificatif de terroriste. La guerre au terrorisme, la guerre à un mode d’action ?
Il a fallu aussi rassurer les Français puisque nous sommes en guerre en déployant quelques milliers d’hommes bien visibles et par trois tout en sachant que ce déploiement ne pourrait en aucun cas empêcher une vague d’attentats de toutes formes qui viserait à déstabiliser le pays (colis ou voitures piégées, incendies criminels, sabotages, assassinats comme à la belle époque des spetsnaz soviétiques).
Mais pas de militaires sur le Tour de France, les nombreux festivals d’été et les plages bondées. Tout de même, la guerre a ses limites géographiques et la communication sécuritaire aussi.
Certes, l’armée française est engagée sur un certains nombres de théâtres. Mais le mot guerre était-il prononcé il y a quelques années pour le Tchad (158 morts), le Liban (158 morts) ou les Balkans (116 morts) ? Certes, c’est un bon slogan pour faire cesser la baisse continuelle du budget de la défense.
La France malade
Alors, pourquoi invoquer sans cesse la guerre quand il serait plus sage de faire référence à de nouvelles formes de violence qui ne marquent en rien la fin de la guerre comme le laisse penser Frédéric Gros1 ? Pourquoi utiliser le mot guerre pour monter en épingle un conflit entre musulmans dans lequel nous sommes engagés à la marge, dans lequel nous sommes instrumentalisés et dont nous subissons de temps à autre les effets collatéraux ? Mais pour cacher derrière ce mot la grave maladie qui touche le pays.
Nous sommes malades, nous souffrons d’un dépérissement de l’Etat atteint dans sa représentation symbolique. C’est ce qu’a voulu souligner tout récemment Emmanuel Macron en déplorant l’absence de la figure du roi ou du père symbolique et sublimé comme le raconte Freud dans Malaise dans la civilisation et Totem et tabou. Que dit Emmanuel Macron ? « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là. On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps la démocratie française ne remplit pas l’espace ».
Tout est dit, mais il convient sans doute d’évoquer plus précisément les symptômes de cette maladie qui frappe la démocratie française.
Nous souffrons d’un Etat qui n’est plus respecté et dont l’autorité est bafouée par les bonnets rouges, les taxis, les éleveurs, les bandes organisées des banlieues et qui abandonne l’exercice de ses pouvoirs régaliens au profit de l’état providence.
Nous souffrons d’un vide identitaire, d’un futur sans idées, sans rêves, sans nouveaux horizons à conquérir pour une jeunesse qui dans son immense majorité se voit offerte quatre choix de routes possibles :
Se complaire à rechercher par mimétisme une identité artificielle visible dans un simulacre de rites initiatiques au moyen des tatouages, des piercings, dans la consommation de drogues ou en rejoignant une bande à l’instar de la horde primitive ; On est bien loin des rites initiatiques de certaines sociétés africaines traditionnelles.
Se mettre en quête de sens en se tournant vers une loi stricte pour se purifier, voire aller au sacrifice, une loi religieuse comme le salafisme ;
Se couler, et c’est un moindre mal, dans la société consumériste et rejoindre cette jeunesse nivelée, conditionnée à se satisfaire de la bonne moyenne, une jeunesse que l’on souhaite un troupeau paisible2 ;
Partir pour pouvoir entreprendre.
Nous souffrons d’une vie politique qui tourne prioritairement autour de la seule question de la conquête du pouvoir et de sa conservation par une classe politique perpétuellement en campagne où l’homme politique, le prince, a laissé place à l’histrion politique avec ses tweets et ses déclarations du dimanche. L’esprit de système, le politiquement correct et le conformisme annihile toute velléité de débattre dans la sérénité.
Nous souffrons d’une vie politique dont les acteurs se dupent eux-mêmes, comme l’annonçait Hannah Arendt : « Dans le domaine politique, où le secret et la tromperie délibérée ont toujours joué un rôle significatif, l’autosuggestion représente le plus grand danger : le dupeur qui se dupe lui-même perd tout contact, non seulement avec son public, mais avec le monde réel, qui ne saurait manquer de le rattraper, car son esprit peut s’en abstraire mais non pas son corps ». On est bien loin du « beau mensonge » pour unir la Cité » évoqué par Platon (République III).
Il y a une guerre où nous perdons du terrain
Ce que les déclarations à contre courant d’Emmanuel Macron révèlent, c’est un regard d’une grande lucidité sur la maladie qui frappe la démocratie en France. Tous les moyens sont bons pour la nier ou rechercher des placébos faute de vouloir décider d’un traitement de choc pour arrêter sa progression.
Reconnaissons au ministre lucidité et courage pour garder non seulement sa liberté de penser par rapport à sa famille politique qui l’a bien évidemment cloué au pilori, mais surtout d’avoir en quelques mots établi l’essentiel du diagnostic.
Pour l’heure, il n’y a qu’une seule guerre qui fait rage, dans laquelle nous sommes impliqués au quotidien et où nous perdons du terrain, c’est la guerre économique. La Grèce vient de nous rappeler qu’un pays surendetté qui passe sous tutelle financière n’est plus un pays libre.