Je commence cette chronique dans la peine, la sourde peine que me causent mes frères chrétiens engagés dans le dialogue interreligieux. L'interreligieux, ce n'est pas moi qui en dirait du mal, passionné que je suis de la diversité religieuse, ancien disciple d'Aor Schwaller de Lubicz, venu à l'Église par la porte du religieux polymorphe.

Mais, justement, j'ai le sentiment que ceux qui se livrent ainsi, avec une incroyable bonne volonté, au dialogue avec les religieux de tout acabit sont issus, eux, du sérail catholique, qu'ils ont grandi dans cet horizon et sont encore sous le choc d'avoir découvert sur le tard que d'autres hommes pouvaient avoir une relation à Dieu sans appartenir à leur famille.

Ils se reprochent maintenant leur christocentrisme d'hier, comme les Européens du XXe siècle ont appris à se méfier de leur ethnocentrisme. Ce n'est même plus seulement la prétention de l'Église catholique à être le seul chemin de salut qu'ils récusent, mais bientôt la place centrale du Verbe incarné. Pour se faire admettre au club, il faut déposer au vestiaire ces exclusives d'un autre âge. La religion chrétienne est tellement leur propriété de famille qu'ils se croient autorisés à la toiletter pour la rendre sortable. L'absolu du Christ peut bien disparaître, pourvu qu'on maintienne sa place au soleil, qu'on ait la parole dans les colloques et qu'on soit reçu avec honneur dans l'aréopage interreligieux.

Pauvres, pauvres baptisés, qui ont troqué la Seigneurie du Christ ressuscité pour une médaille de bonne conduite décernée par un jury de professeurs ! Quel pourrait être le véritable attachement au Christ qui ne se voudrait qu'une croyance régionale, une nuance au tableau, un produit culturel comme tant d'autres ? Le vieux paganisme gréco-romain n'en demandait pas plus aux chrétiens et les martyrs sont morts pour récuser le syncrétisme qui mettait sur le même pied Jésus, Jupiter Capitolin et le culte de Mithra.

Le Christ a-t-il autre chose à offrir à l'humanité que sa souveraine singularité ? Lui seul prétend recomposer tout le paysage individuel et collectif de nos vies autour de la mission qu'il a reçue du Père. Qui d'autre a pu dire : " Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie " ? Vous avez bien entendu : le Chemin, pas un chemin... Les religions non-chrétiennes n'ont pas cet absolu, elles abandonnent à la nature bien des aspects de l'existence humaine, beaucoup se savent un point de vue particulier sur la réalité divine, qui de toute façon nous dépasse, n'est-ce pas ?

La soudaine conversion de ces chrétiens en veine d'œcuménisme vient incontestablement du désir d'en finir avec l'intolérance et le fanatisme, fauteurs de violence et d'incompréhension entre les peuples et les individus. Mais est-il si sûr que pour pouvoir s'entendre, il faille renoncer à la Vérité ? Le dialogue sérieux ne naît-il pas de la volonté de convaincre ? Il est piquant de voir que ceux-là mêmes qui s'estimeraient déshonorés de proposer leurs convictions religieuses à d'autres se font volontiers prosélytes pour leur nouveau credo en faveur de la tolérance.

Je voudrais dire à ces chrétiens, mes frères, sans les choquer : retrouvez l'humilité des premiers disciples qui étaient conscients de ne pouvoir garder pour eux le trésor reçu du Christ, et, bien qu'ils ne soient qu'une poignée, osaient dire aux autorités du Sanhédrin de Jérusalem : " Il n'est pas sous le ciel d'autre nom [que celui de Jésus] donné aux hommes et par qui nous devions être sauvés " (Actes 4,12). La foi n'est pas votre propriété, vous l'avez reçue par pure grâce, et vous ne pouvez la ramener aux dimensions d'une sagesse conciliante, compatible avec toutes les doctrines humaines. Le respect même que vous devez aux autres croyants vous oblige à ne faire nulle concession sur la vérité, et si vous l'avez trouvée de le dire, parce qu'il y va de la vie et de la mort des hommes.

Cette chronique est co-diffusée par l'hebdomadaire France catholique.

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