La récente analyse de Guillaume de Lacoste Lareymondie ("L'impact de l'éclatement de la famille sur la fausse bulle immobilière", Décryptage, 18 février) se fait l'écho d'une préoccupation légitime. Les Français ont toutes les raisons d'être surpris, préoccupés si ce n'est inquiets des évolutions du marché de l'immobilier.
La hausse du prix des logements est bien connue. D'ailleurs, elle focalise toute l'attention et suscite bon nombre d'explications, plus ou moins confuses et pertinentes. Devant cette profusion de commentaires, il n'est pas évident de comprendre ce qui ce passe. Les uns justifient une tendance de fond (la hausse soutenue et continue des prix de l'immobilier sur longue période) par des développements conjoncturels (la chute des cours boursiers du début des années 2000, le niveau historiquement bas des taux d'intérêt et l'assouplissement des conditions de financement). Les autres expliquent l'envolée actuelle par des éléments très structurels, comme l'augmentation du nombre de ménages, expliquée en partie par les phénomènes de décohabitation (néologisme de sociologue et de démographe pour qualifier d'un mot l'augmentation du nombre de familles monoparentales, la multiplication des ménages composés d'un seul adulte, etc.).
Ces explications embrouillées manquent d'une vraie mise en perspective. Mise en perspective nécessaire à la réflexion et préalable à toute conclusion et recommandation.
Il convient de distinguer, pour comprendre ces évolutions, deux mouvements et deux types d'explications. D'une part un mouvement long, une tendance lourde, dominée par les fondamentaux du marché de l'immobilier et, d'autre part, des développements de court/moyen terme entraînés par la conjoncture.
La forte hausse actuelle est très certainement gouvernée par les éléments conjoncturels précédemment mentionnés. On peut relire la hausse commencée au milieu des années 90 dans cette perspective.
1/ Après une période difficile, les revenus des ménages augmentent à la fin de années 90. Dans le même temps, leur patrimoine financier s'apprécie très sensiblement. Progressivement, les transactions immobilières reprennent et les prix, restés stable depuis le début des années 90 repartent à la hausse.
2/ Les transactions s'accélèrent en 1999-2000. Puis la chute des Bourses précipite certainement quelques décisions d'achat. Des éléments spéculatifs apparaissent (certains ménages achètent de peur de ne pouvoir jamais acheter si les prix continuent d'augmenter à ce rythme, d'autres, moins nombreux, échaudés par leurs mésaventures boursières, se rabattent sur la pierre). La baisse et le maintien de taux d'intérêt bas, alliés à des conditions de financement très assouplies, ne fournissent aucun frein à cette hausse de prix.
Dans ce sens, les facteurs conjoncturels expliquent une bonne part de l'envolée des prix. Et les développements futurs ont toutes les chances d'être largement influencés par leurs évolutions.
Décohabitation, vieillissement...
Cependant, comme le souligne avec raison Guillaume de Lacoste Lareymondie, il se cache derrière ces évolutions des mouvements de fond, plus préoccupants, mais sur lesquels le politique a une prise, pour peu qu'il fasse l'effort d'un vrai diagnostic.
Structurellement, la demande de logement en forte. On anticipe pour les années à venir une hausse annuelle moyenne du nombre de ménages de l'ordre de 1,5 % (+0,5 % pour la population). La demande soutenue s'explique donc en partie par ces phénomènes de décohabitation. Mais de tels phénomènes n'expliquent en aucun cas la hausse très nette des dernières années. Certes, le nombre de ménages s'accroît à un rythme élevé du fait de la décohabitation, mais aussi (et au moins autant) du fait du vieillissement de la population. Cependant, c'était déjà le cas dans la première moitié des années 90 alors que les prix baissaient ou stagnaient.
Or face à cette demande soutenue, on trouve une offre assez déficiente où l'inefficacité du secteur de la construction se conjugue à une politique du logement qui vise à pallier cette offre déficiente en s'y substituant, directement ou indirectement.
Les problèmes de productivité du secteur de la construction sont un sujet à part, qui ne relève vraisemblablement pas d'une action publique (même si la modification d'un certain nombre de pratiques publiques pourrait être bénéfique).
Une action publique inefficace
En revanche, on peut pointer quelques unes des inefficacités de l'action publique. Le palliatif du logement social, nécessaire dans l'urgence, transitoirement, est devenu une solution de long terme dont on ne sort que difficilement et qui désincite à l'acquisition d'un logement une population bien plus vaste que celle de ses seuls bénéficiaires. La mise en place d'allocations et d'aides au paiement des loyers s'est surtout traduite par une augmentation de ces loyers, l'allocation finissant dans la poche du propriétaire, ce qui n'était peut-être pas le but initial de la mesure (mais néanmoins une conséquence largement prévisible). Enfin, les dispositifs fiscaux avantageux pour les acquéreurs d'un logement à usage locatif (Robien, Besson, Périssol et consorts) sont certainement une niche de plus dans une fiscalité du patrimoine ubuesque, voire une forme de subvention au secteur de la construction.
Bref, cette hausse des prix peut nous faire réfléchir aux conséquences de l'éclatement de la famille (quoiqu'il serait juste, dans ce cas, de réfléchir aussi aux conséquences au moins aussi nombreuses et importantes du vieillissement de la population), mais elle appelle surtout à une réflexion honnête et pragmatique sur notre politique du logement, faite trop souvent de cadeaux à quelques uns et de gadgets qui ne règlent pas grand chose. Une réflexion qui pourrait s'inspirer des pratiques de la plupart des autres pays industrialisés, davantage axées sur une vraie accession à la propriété pour chacun dont on sait par ailleurs qu'on peut en attendre un certain nombre de retombées sociales...
Malheureusement, il y a fort à parier que, comme souvent sur des sujets économiques, le café du commerce et les annonces démagogiques empêchent une vraie réflexion. Ca a été le cas avec le débat sur les 35 heures, c'est le cas aujourd'hui avec la controverse sur les prix dans la grande distribution (qui, en se focalisant sur l'évènement du passage à l'euro, a longtemps manqué le vrai sujet de l'insuffisante concurrence entre distributeurs et des relations entre producteurs et distributeurs). Et ce sera le cas demain encore. Dommage.
*Jean Hamoir est économiste.
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