À l'heure où j'écris, le scrutin italien sur la bioéthique se poursuit. Les premiers résultats font état d'une abstention massive, laissant penser que les consignes de l'épiscopat ont été suivies [ce qui a été le cas, le référendum n'ayant pas réuni le taux de participation requis, Ndlr].

L'important dans cette affaire relève de la conscience, et même si le mode d'expression de l'abstention a été contesté, il n'est pas niable que la réflexion de fond s'est imposée à l'ensemble de la péninsule. La recherche scientifique n'a pas tous les droits, l'utilisation expérimentale des embryons se heurte à des impératifs moraux d'une extrême gravité.

Ainsi le point de vue utilitariste d'un lobby bien organisé s'est trouvé contré par une communauté catholique motivée, rejointe par des personnalités de la société civile conscientes des enjeux supérieurs de la recherche en biologie.

Un autre pays d'Europe, l'Espagne, se trouve dans une situation analogue de conflit de devoirs. Le gouvernement socialiste ayant fait voter par le Parlement une loi ouvrant le mariage aux couples du même sexe, l'épiscopat espagnol a invité les fidèles à s'opposer "de manière claire et incisive" aux unions homosexuelles. Il a été rejoint par des autorités religieuses, aussi bien juives, musulmanes que protestantes et orthodoxes. Une manifestation est prévue à Madrid ce 18 juin, appuyée par une pétition soutenue par un millier d'ONG qui défend les droits de la famille et de l'enfant (photo).

Le gouvernement Zapatero est mis ainsi au défi d'imposer à tous les citoyens une législation qui blesse gravement la conscience de beaucoup et pose d'ores et déjà aux maires et aux magistrats un problème déontologique.

Ces deux cas européens sont significatifs d'une crise de civilisation, où l'Église est partie prenante à cause de sa mission de gardienne de l'intégrité humaine et de l'héritage de la morale universelle. La légalité démocratique ne dispose pas de tout l'espace de la légitimité. Il y a un domaine essentiel qui échappe à la décision politique et concerne la défense de l'humanité et de ses droits les plus précieux, ceux qui s'imposent aux consciences et ne sauraient se plier aux fluctuations de l'opinion et du suffrage. Tout n'est pas politique. Le philosophe Jürgen Habermas et le cardinal Joseph Ratzinger s'accordaient sur ce point lorsque l'un et l'autre s'interrogeaient en janvier 2004 sur "les fondements prépolitiques de l'Etat démocratique".

La notion d'objection de conscience ne révèle sa portée véritable que lorsque les citoyens sont confrontés au divorce entre la loi civile et ces fondements prépolitiques. Il y a un droit, voire un devoir de désobéissance civique lorsque ce divorce est flagrant.

On peut même dire que le régime démocratique révèle sa grandeur lorsqu'il reconnaît le droit à l'objection de conscience, ce qui n'est jamais le fait des régimes tyranniques et totalitaires.

Force est de reconnaître cependant que ce droit se trouve fragilisé, lorsque l'accès à certaines spécialités médicales, comme l'obstétrique, se trouve interdit à des médecins catholiques, ou simplement à des médecins aux convictions fermes, puisqu'ils sont dans l'obligation d'assumer la responsabilité des avortements dans les services spécialisés.

En Espagne, certains voudraient faire une obligation aux officiers d'état civil de célébrer des mariages, pour eux, non licites. C'est donc une bataille essentielle qui se livre en Europe, avec le soutien affirmé de Benoît XVI et de l'Église, pour la dignité humaine.

© Éditorial à paraître dans France catholique du 17 juin 2005

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