Source [LSDJ] Méfions-nous des mots d'au moins quatre syllabes. L’écrivain Jean Dutourd (1920-2011) se plaisait à moquer la vanité et la vacuité du « jargon de prestige », ce langage bouffi, bronzé, botoxé par les injections d’une pensée apparemment positive mais réellement toxique. Ce jargon conjugue une volonté de paraître – les codes du snobisme managérial et dominateur – et une volonté de cacher – l’extrémisme sociétal fondé sur l’obsession et le rejet de la norme. Cet extrémisme ne peut se dire comme tel. Le snobisme l’encapsule pour le rendre assimilable par une opinion peu formée et peu vigilante.
On ne détruit que ce qu’on remplace. Changer les normes d’une société doit être perçu comme le produit d’une évolution des mentalités, non comme le résultat d’une pression militante. Il s’agit d’impulser et d’accompagner un mouvement, d’obtenir un consentement. Toute étreinte visible, de nature policière, compromettrait l’adhésion à ce projet de déconstruction. Mais l’intention y est : il s’agit bien d’anéantir un modèle jugé « dominant ».
Récemment, nous avons chroniqué cette guerre faite aux usages et aux visages. L’inscription du pronom « iel » dans Le Robert (LSDJ n°1426) ou la campagne pro-hijab de l’UE sidérèrent une partie de l’opinion (LSDJ n°1426), y compris journalistique, un peu comme une sentinelle assoupie se laisse désarmer par un commando nocturne. Comme le dit le politologue François-Bernard Huygue, « la guerre ne consiste pas à rentrer des morceaux de fer dans des morceaux de chair mais aussi des idées dans des esprits et elle suppose autant de moyens de propagation que de destruction ».
Le langage sera un Waterloo pour les uns, un Austerlitz pour les autres.
Des mots tels que mobilité (LSDJ n°844), inégalités, discrimination, diversité, intégration et inclusivité sont autant de mines posées sur le champ de bataille. Le dernier obus sorti des usines conceptuelles, c’est l’inclusivité. Qui refuse de goûter à ce beau fruit tout lisse de bien-pensance ? L’Union européenne vient de le poser sur l’étalage de ses principes directeurs. Au point d’en élaborer toute une communication pour ses fonctionnaires.