Les robes de mariée Christian-Lacroix exposées dans la chapelle royale du château de Versailles ont jeté la consternation parmi les catholiques versaillais. Derrière le fait divers, on s'interroge: les lieux de culte en France sont-ils réellement à l'abri de profanations en tout genre ?
C'était à l'occasion de la Nuit blanche 2006, ces festivités inaugurées en 2002 par Bertrand Delanoë et son adjoint à la culture Christophe Girard, pour offrir au public, la nuit, le plaisir d'admirer des œuvres d'art contemporain au détour d'une rue ou dans un lieu prestigieux.
Le succès de la formule a provoqué une multitude d'initiatives, et l'ouverture de bâtiments peu accessibles à des artistes qui ont fait de la transgression la clé de leur inspiration.
Christian Lacroix, lui, est plutôt classique. Au pays de la haute-couture, ses créations sont de bon aloi. Le décalage, selon Christine Albanel, la présidente de l'établissement public du musée et du domaine national du château, consiste à exposer les robes dans la chapelle... On renoue ainsi avec la vocation du lieu : Versailles, temple et moteur de la création artistique de son temps. D'où l'indignation de fidèles versaillais qui ont multiplié les protestations (auprès du Château, de la mairie, de l'évêque) pour obtenir le retrait du projet. Devant le refus, et malgré l'intervention du maire de Versailles et de l'évêque, Mgr Aumonier, tous deux choqués mais impuissants, plusieurs dizaines de manifestants sont intervenus pacifiquement le 7 octobre pour dire leur réprobation. En dépit de quelques échauffourées (une gardienne victime d'une chute, aux dires de témoins directs), ils ont obtenu gain de cause, puisque l'accès à la chapelle a été fermé la nuit suivante.
Leur initiative a provoqué un tollé : L'affirmation, essentielle, de convictions religieuses, qui n'étaient aucunement bafouées en l'espèce (sic), s'est plainte Christine Albanel dans Le Figaro (13 octobre), ne saurait s'exercer aux dépens de certaines libertés elles aussi essentielles: liberté de penser, liberté de créer, liberté de montrer, liberté de juger. La palme de la fureur est revenue au père des Nuits blanches lui-même, Christophe Girard, qui a vu dans les agressions exercées par une minorité religieuse, le fait de fanatiques ennemis de la démocratie et de la République. Ces réactions, complaisamment relayées par les médias, ont donné le ton : l'invocation de la liberté religieuse autour du respect des lieux de culte contient une menace pour les libertés publiques.
Derrière l'incident, se cachent une dérive, et un vrai péril. L'inculture générale et la montée de l'ignorance religieuse affaiblissent la protection tacite des églises de France, propriétés de l'État. Il est significatif que les responsables du domaine de Versailles ne voient pas le problème posé par l'exposition d'œuvres profanes — les créations de haute-couture sont aussi des produits commerciaux — dans un sanctuaire. La difficulté se double de la prétention de l'art contemporain à vouloir donner du sens à son environnement en détournant l'esprit des lieux où il s'expose dans la provocation calculée : "Artifices et sacrifices, magie noire et mariage blanc", disait la présentation de l'exposition...
On a donc le sentiment que la gravité de l'affaire de la chapelle de Versailles est d'abord dans le manque de culture, au sens de finesse de la sensibilité collective, qui a perdu le sens du sacré, autrement dit des limites que l'homme se reconnaît en renonçant à disposer d'autrui à sa guise, dont témoigne le respect particulier porté à certaines fonctions, à certains lieux ou à certaines œuvres.
Comment protéger les lieux de culte ?
Comment donc protéger les lieux de culte de toute tentative d'instrumentalisation à des fins pseudo-culturelles ? On ne parlera pas de l'immense effort éducatif à reprendre, tant il va de soi, mais sa nécessité témoigne ici de l'attachement absolu et prioritaire que les catholiques doivent donner à la liberté d'éducation et à l'investissement dans le monde de la culture.
Quand ni le catéchisme, ni l'histoire ne gardent les églises, reste le droit. Celui-ci est fragile, dans une société où l'on légifère sans cesse, sous la pression des manipulateurs d'opinion. Mais il parle. Encore faut-il l'écouter, et agir à bon escient pour le renforcer, s'il est possible, ne perdant pas à l'esprit que les manifestations de rue peuvent avoir des effets pervers, a fortiori quand elles témoignent à contrecourant.
La loi s'accorde avec le droit canon pour donner à l'ordinaire du lieu (l'évêque) une grande marge de manœuvre pour veiller à l'usage des lieux de culte. L'affectataire (en général le curé) a le pouvoir de décider. Tout se complique selon la catégorie du lieu : église communale, monument historique ouvert au culte ou non, cathédrale, bâtiment désaffecté. Chaque situation expose à des fragilités particulières. À Paris, la Chapelle expiatoire, gérée par le Centre des monuments nationaux (Monum'), n'est pas consacrée au sens strict : elle est louée pour des conférences de presse ! Qui s'en offusque ? En théorie, rien n'empêche l'organisation d'un défilé de mode à la Sainte-Chapelle.
Les 87 cathédrales construites avant 1905 sont classées monuments historiques et affectées au ministère de la Culture et de la Communication, qui en a confié la gestion domaniale, par convention du 10 avril 1998, au Centre des monuments nationaux, chargé d'autoriser les manifestations non cultuelles au nom de l'État. Ces cathédrales sont, selon les termes des lois de séparation des Églises et de l'État mises à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion. Il est prévu que les manifestations organisées par des professionnels du spectacle sont facturées 762,25 € pour un public inférieur ou égal à 600 personnes, 1 067,14 € au-dessus !
Dans les faits, l'affectataire doit veiller à la pertinence des manifestations proposées — concerts, spectacles, expositions (cf. infra Ce que dit l'Église). Mais on voit bien que dans certains cas, son pouvoir est limité. Au passage, on peut s'interroger sur celui de certains curés qui accordent généreusement les murs de leurs églises à des œuvres — souvent des commandes publiques — parfaitement blasphématoires (cf. Aude de Kerros, Nuits Blanches 2006 : labyrinthes conceptuels dans les églises parisiennes).
Et demain, que deviendront les centaines d'églises communales où la messe n'est plus dite ? Tant qu'elles sont consacrées, et relevant d'une paroisse elles sont relativement protégées, mais après ? En cas de désaffection, l'évêque doit veiller à la décence de la nouvelle affectation du bâtiment : avec quel pouvoir ? Il suffit de penser aux nombreuses chapelles scolaires transformées en gymnases pour mesurer la difficulté...
Le cas de la chapelle royale de Versailles est typique de la complexité des problèmes qui sont devant nous. Elle n'a jamais été une paroisse, et son caractère privé au regard du droit canon est devenu manifeste : c'est un fait (se prouvant par tout moyen). Mais c'est également un fait que la messe y est dite une fois par mois, par un prêtre désigné par l'évêque, avec l'accord de l'administration du château. Les dirigeants du château se sont justifiés en présentant la chapelle comme un espace muséal, un lieu non consacré, seulement "béni" ; même si c'est exact, il est clair qu'il y a eu abus de droit, et manquement à l'obligation de respect, avec franchissement de la ligne jaune. Espace muséal, la Chapelle royale ne s'était jamais offerte à des initiatives profanes aussi décalées ; les expositions en ce lieu, rarissimes, n'ont à notre connaissance jamais été inconvenantes : la dernière en date présentait des tapis commandés au XVIIIe siècle à la manufacture de la Savonnerie pour la Chapelle elle-même, après sa consécration en 1710.
Dans un communiqué (cf. infra), Mgr Aumonier a révélé qu'une convention était en cours de discussion pour garantir le maintien de l'exercice du culte catholique dans la Chapelle royale. La négociation sera-t-elle rendue plus facile par l'émotion provoquée par l'administration du château ? Puisse l'incident inciter chacun à la sagesse. Et puisse la culture française donner le meilleur d'elle-même en s'inclinant devant le caractère propre des lieux de culte et le privilège de leur indisponibilité.
Des robes de mariée Christian-Lacroix
dans la chapelle du château de Versailles
Communiqué de Mgr Éric Aumonier, évêque de Versailles
À l'intention des personnes ayant protesté contre l'exposition de haute couture prévue les 7 et 8 octobre dans la chapelle royale du château de Versailles.
De nombreuses personnes ont réagi à l'annonce provocante de l'exposition de robes de mariées d'un grand couturier dans la chapelle royale du château de Versailles, les 7 et 8 octobre prochains. Comprenant leur réaction que je partage, j'ai fait part de ma protestation à Mme Albanel, présidente de l'Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, organisatrice de cette manifestation.
La chapelle du château fait partie intégrante du musée de Versailles. Depuis quarante-cinq ans, et jusqu'à ces dernières semaines, par autorisation du ministère de tutelle et avec l'agrément de la direction de l'Établissement public, la messe était célébrée dans cette chapelle, environ une fois par mois, à l'intention des fidèles de Versailles et environs ainsi que des touristes de passage qui s'y rassemblent, par un prêtre désigné par l'évêque de Versailles. Une convention est actuellement à l'étude, pour que le culte catholique puisse se poursuivre à la chapelle royale, dans le respect des conventions sociales et de la législation en vigueur dans l'Établissement public.
J'ai instamment prié Mme Albanel de veiller à ce que les expositions temporaires prévues dans le cadre de la chapelle royale soient conformes à la qualité cultuelle de l'édifice, et lui ai demandé d'user de son pouvoir pour déplacer l'exposition contestée.
+ Eric Aumonier,
évêque de Versailles
Le respect des lieux sacrés
Ce que dit le code de droit canonique
Can. 1210 - Ne sera admis dans un lieu sacré que ce qui sert ou favorise le culte, la piété ou la religion, et y sera défendu tout ce qui ne convient pas à la sainteté du lieu. Cependant l'Ordinaire peut permettre occasionnellement d'autres usages qui ne soient pourtant pas contraires à la sainteté du lieu.
Can. 1211 - Les lieux sacrés sont profanés par des actions gravement injurieuses qui y sont commises au scandale des fidèles et qui, au jugement de l'Ordinaire du lieu, sont si graves et contraires à la sainteté du lieu qu'il ne soit pas permis d'y célébrer le culte tant que l'injure n'a pas été réparée par le rite pénitentiel prévu par les livres liturgiques.
Can. 1213 - L'autorité ecclésiastique exerce librement ses pouvoirs et ses fonctions dans les lieux sacrés.
Can. 1220 - § 1. Tous ceux que cela concerne veilleront à assurer dans les églises la propreté et la beauté qui conviennent à la maison de Dieu et à en écarter tout ce qui ne convient pas à la sainteté du lieu.
§ 2. Pour protéger les objets sacrés et précieux, il faut recourir au soin ordinaire de conservation et aux moyens appropriés de sécurité.
Can. 1222 - § 1. Si une église ne peut en aucune manière servir au culte divin et qu'il n'est pas possible de la réparer, elle peut être réduite par l'évêque diocésain à un usage profane qui ne soit pas inconvenant.
Les manifestations artistiques dans les lieux de culte
Ce que dit l'Église
9. Les églises ne peuvent être considérées comme de simples lieux publics, disponibles pour des réunions de tous genres. Ce sont des lieux sacrés, c'est-à-dire mis à part de manière permanente pour le culte rendu à Dieu...
5. Quand les églises sont utilisées pour des fins différentes de celles qui leur sont propres, leur caractéristique de signe du mystère chrétien est mise en danger, avec des dommages plus ou moins graves pour la pédagogie de la foi et la sensibilité du peuple de Dieu, comme le rappelle la parole du Seigneur : Ma maison est une maison de prière (Lc 19:46)" (7).
Note de la Congrégation pour le Culte divin, 5 novembre 1987
"Les concerts dans les églises"
Documentation catholique, n. 1954, 17 janvier 1988.
6. Toute demande d'utilisation d'une église pour une manifestation artistique débordant le cadre cultuel devra être faite par écrit au clergé affectataire et accompagnée des indications précisant la date et l'heure de la manifestation, l'identité de l'organisme demandeur, les raisons invoquées, le programme prévu, les conditions d'exécution, les noms et qualités du responsable de l'organisation, la souscription d'une assurance particulière et les conditions d'entrée. Aucune publicité ne pourra être faite avant l'accord signé par le clergé affectataire, sur l'avis de la Commission diocésaine dont il a été question au n. 4.
Conseil permanent de l'épiscopat français
Les concerts dans les églises : orientations pour l'Eglise de France
13 décembre 1998
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