La Hongrie, bouclier de l’Europe

La Hongrie et la Pologne, tentent de contenir les vagues de migrants souhaitant rejoindre l'Allemagne et la France. Ils défendent ainsi un territoire mais également une certaine idée de l'Europe ainsi que des valeurs morales et culturelles. 

Entretien avec Max-Erwann Gastineau, réalisé par Philippe Mesnard.

Alors que les Polonais auraient pu laisser passer les immigrants amenés par les Biélorusses, qui ne comptent pas rester en Pologne, le gouvernement polonais a décidé de les affronter. Pourquoi ne pas avoir joué la facilité ?

Arrêtons-nous un instant sur ce constat. Nous avons une crise à la frontière orientale polonaise parce que la Pologne résiste : si elle n’avait rien fait, nulle crise politique ne serait advenue. Une nouvelle crise d’ordre humanitaire aurait frappé l’Union européenne justifiant, comme en 2015, l’impératif d’accueil porté par « nos valeurs ».

La question est donc : pourquoi la Pologne résiste-elle, ne laisse-t-elle pas passer ces migrants venus chercher asile en Allemagne ou en France ? La question s’était d’ailleurs posée en 2015, lorsque la Hongrie avait opposé barbelés et soldats aux migrants venus du Moyen-Orient et passés par l’ex-Yougoslavie. Pourquoi résister, au risque d’être pointé du doigt par les instances et ONG internationales ?

Premier élément de réponse : la Pologne et la Hongrie prennent à cœur leur rôle de « garde-frontières » de l’Europe, vieil écho à un mythe national que ces deux nations ont en partage : celui d’avoir été longtemps les “boucliers” de l’Europe chrétienne face aux invasions orientales. Face à cette nouvelle crise migratoire, un autre arrière-fond historique anime la Pologne : celui de la petite nation luttant pour sa souveraineté et, en l’occurrence, derrière les instrumentalisations de Minsk, face à l’impérieuse puissance de Moscou.

La volonté de défendre cette souveraineté, et les frontières qui l’incarnent, est gouvernée par cette double référence historique ;  la nation garde-frontière de l’Europe et la petite patrie fragile, où souveraineté et liberté sonnent comme une parenthèse enchantée, sitôt ouverte déjà refermée, tel un âge d’or révolu (« La Pologne n’a pas encore disparu », rappelle les premiers vers de l’hymne polonais).

Notons enfin que Varsovie, tout comme du reste Budapest, derrière ses accents « souverainistes », défend une certaine idée de l’Europe ; une Europe-civilisation incarnée par des repères (moraux, culturels) et frontières jugés intrinsèquement dignes d’être préservés.

 

Dans ce cas précis, cette défiance vis-à-vis de la Russie de Poutine n’est-elle pas ce qui vaut à la Pologne l’inattendu soutien de l’Union européenne, qui a traité la Hongrie avec la dernière rigueur ? 

Les mêmes qui, hier, vilipendaient la Pologne pour ses déclarations « souverainistes » et son refus de l’immigration (oubliant que le pays de Solidarnosc a accueilli, depuis plusieurs années, des milliers de familles biélorusses fuyant le régime de Loukachenko), la trouvent aujourd’hui très sympathique. À croire que ce qui les anime est moins la solidarité avec la Pologne ou la défense de l’Union européenne que leur anti-poutinisme… Constat qui appelle une réflexion : quelle est la politique orientale, l’ostpolitik de l’Union, sinon celle que lui dicte son prisme « otanien », entretenant une forme de conflit aussi larvé que contre-productif avec Moscou ?

La crise biélorusse pose, une fois de plus, la question du rapport de l’Europe à ses propres frontières, et donc à son voisinage. Elle traduit l’échec de la « Commission géopolitique » voulue par sa présidente, Ursula Von der Leyen. Une Commission sans consistance, fonctionnant sur fond d’admonestations et de sanctions, comme celles ayant visé les « atteintes aux droits de l’homme » de la Biélorussie, et dont il serait légitime de se demander quelles finalités en guidèrent l’édiction, sinon un besoin de légitimation aussi bien de son existence – dérisoire, il faut bien le dire, sur le terrain diplomatique – que de sa propre politique intérieure, centrée elle aussi sur la défense de « valeurs » opposées à la face des régimes « autoritaires ».

 Si l’UE soutient la Pologne dans son combat contre une immigration orientale, elle accuse la Hongrie de violer le droit d’asile et les principes fondamentaux de l’UE quand les Hongrois proposent d’installer des filtres légaux dans les pays d’où viennent les immigrants…

Le grand problème de l’Union européenne, c’est qu’elle ne voit pas que son idéologie la désarme ; que les valeurs qu’elle proclame, loin de défendre l’Europe, consacrent notre impuissance collective. Si aujourd’hui les migrants sont bloqués aux portes de l’UE et que la Russie commence déjà à les rapatrier, c’est bien parce qu’un État-nation déterminé, la Pologne, armé de sa légitimité historique et de son souci pour la sauvegarde de ses frontières, a décidé de tenir bon. Quelle leçon allons-nous tirer de ce volontarisme national, qui permet à toute l’Europe de se protéger d’une nouvelle tentative de déstabilisation massive ?

Si Frontex avait été seule en charge de notre frontière orientale, nul doute que la donne aurait été toute autre. Frontex est pieds et poings liés par la rhétorique des « valeurs » européennes, ceux qui ne veulent voir, derrière les migrations, qu’un défi humanitaire répliquant notre esprit d’ « ouverture » et de tolérance.

Si nous voulons que, demain, l’Europe ne soit plus la proie d’instrumentalisations aussi manifestes que celles orchestrées par la Biélorussie de Loukachenko ou hier par la Turquie d’Erdogan, il nous faut d’urgence changer notre logiciel, permettre aux États frontaliers d’agir et à l’agence Frontex de faire son travail, sans risquer d’être accusée de « violer les droits fondamentaux », comme ce fut le cas en Grèce, l’été dernier, suite à la publication d’un rapport émanant d’ONG internationales et d’eurodéputés hostiles à tout refoulement de migrants.

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