Article rédigé par Roland Hureaux, le 30 décembre 2008
Le projet d'extension du travail le dimanche patine sérieusement. Le gouvernement a été contraint de reporter à nouveau l'examen de la proposition de loi de Richard Mallié, au lendemain d'une séance particulièrement houleuse à l'Assemblée. Son examen a été repoussé à la deuxième quinzaine de janvier, sur la base du compromis arbitré entre l'Elysée, Matignon, le groupe parlementaire UMP et la soixantaine de députés opposés.
Le texte, sensiblement vidé de sa substance, légalise les situations existantes et permet aux maires d'autoriser l'ouverture des magasins huit dimanches par an contre cinq aujourd'hui. De son côté, l'UMP fait monter la pression, en lançant une pétition nationale. Pourquoi tant de haine pour le dimanche ? , se demande Roland Hureaux.
LE NOUVEAU PRESIDENT DU SENAT Gérard Larcher, qui, il est vrai, n'est pas théologien, ne s'est trompé que de mille ans quand il a dit que la règle du repos hebdomadaire datait du Nouveau Testament. Mais il a eu raison de dire que c'était la plus vieille des conquêtes sociales puisque la loi de Moïse l'étend à l'esclave et même à l'âne et au bœuf !
Faisant obligation au peuple juif de se reposer le septième jour, l'Ancien Testament l'invite ainsi à offrir un jour de la semaine à Yahvé, sachant que le temps qu'il perdrait ce jour-là lui serait rendu par un surcroît d'efficacité les six autres jours.
De même, les peuples de l'Antiquité, juifs et païens, étaient invités à offrir les prémisses des récoltes et les pus belles pièces de leurs troupeaux sachant que le reste de leur bétail ne s'en porterait que mieux. Le sens de la circoncision est du même ordre.
Un fondement anthropologique
Mais la théologie aurait dans le raisonnement peu de poids si elle ne s'appuyait sur l'anthropologie.
La nécessité d'un jour de repos par semaine — au moins — fait partie d'une hygiène élémentaire. Elle permet non seulement de se reposer mais de mieux réfléchir à l'organisation des autres jours. On voit combien cela manque à nos ministres qui, travaillant pour la plupart sept jours sur sept, avancent le nez dans le guidon. Devant répondre à l'injonction du Président de trouver un projet de réforme par jour, ils n'ont plus même le loisir d'en trouver un bon de temps en temps !
Personne n'a jamais prétendu que l'obligation du sabbat avait fait des juifs un peuple plus nonchalant ou moins efficace que les autres. L'Occident chrétien a déplacé l'obligation du repos du shabbat vers le dimanche, mais le principe est le même. Parmi les chrétiens, les dissidents du protestantisme anglais ont, au XVIIe siècle, imposé une interprétation particulièrement rigoureuse de ce précepte au point que le dimanche anglais est devenu un symbole universel de tristesse et d'ennui. C'est pourtant l'Angleterre qui fut à l'origine de la révolution industrielle.
Les puritains du Mayflower ont importé ce rigorisme aux États-Unis et là aussi, on peut difficilement dire que cette journée d'abstention de toute œuvre servile ait porté tort à l'efficacité économique du peuple américain.
On dira que le repos du dimanche doit rester un choix individuel, notamment dans un pays laïque. Il a été justement répondu à cela que les choix du petit personnel sont rarement libres dans les entreprises. Mais a-t-on rappelé aussi quel bonheur éprouvent tous ceux qui habitent au bord des routes ou des rues de ne pas être réveillés par les bruits de la circulation le dimanche matin ? La question n'est donc pas seulement individuelle.
La nécessité n'est pas en cause puisque la règle est en France entourée de suffisamment d'exceptions pour que chacun puisse avoir accès, même le dimanche, aux produits de première nécessité, comme le pain ou un médicament.
Alors pourquoi le président s'obstine t-il tant à remettre en cause le repos dominical ?
Faut-il y voir la main de certains lobbies, comme les chaînes de supermarché ? On ne les savait pas si pressants sur ce sujet.
L'idéologie du travailler plus pour gagner plus , qui semble au point de départ du projet, sonne particulièrement faux dans un contexte de récession. Aucun économiste sérieux ne soutient que l'ouverture des magasins un jour de plus va accroître la consommation d'une population qui voit jour après jour son pouvoir d'achat réel se réduire.
Abolir les repères
Comment s'empêcher dès lors de voir là, une fois de plus, le signe d'un libéralisme brouillon qui poursuit son œuvre historique d'abolition des repères, celui du temps en l'occurrence.
L'ouverture généralisée des frontières rend l'espace national sans signification. La modification de la Constitution affaiblit les repères institutionnels. L'ouverture politique rend le clivage droite-gauche obsolète. Le laminage des droits sociaux affaiblit les solidarités traditionnelles et donc les repères collectifs. Le lycée à la carte et la polyvalence des professeurs (un projet heureusement suspendu) dévalorisent les spécialités académiques.
Les révolutionnaires de 1792 avaient remis en cause le calendrier, le régime ultra-capitaliste lui emboîte le pas. Ce capitalisme, dont Marx a montré qu'il était le plus efficace des révolutionnaires, refuse toute distinction, tout repère, tout relief (hors celui de l'argent), y compris entre les jours de la semaine. Les révolutionnaires haïssent toute distinction, celle des hommes comme celle des institutions. Le dimanche était à la fois un point de repère et un jour pas comme les autres. Il faut lui couper la tête. Il faut que le dimanche cesse d'être un jour distingué pour devenir un jour ordinaire .
Le contraire de la distinction, c'est la vulgarité. Comment ne pas voir là le triomphe d'une certaine forme de vulgarité ? Peut-être même la vulgarité est-elle en définitive le vrai ressort des promoteurs de cette affaire. Dans le climat d'affaissement des repères religieux et civiques, le dimanche ne sera plus le jour du culte ou de la vie sociale, il sera plus que jamais celui de la grande glandouille sur ces nouveaux espaces sacrés que sont les centres commerciaux, temples d'un nouveau culte, d'un nouvel opium du peuple où brillent face à une jeunesse désœuvrée, désargentée et sans repères, les néons illusoires d'une société de consommation ayant tout détruit en dehors d'elle.
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