Travail du dimanche : un chrétien parle aux chrétiens
Article rédigé par Hélène Bodenez, le 17 avril 2009

[Lettre ouverte au secrétaire-adjoint de la CFTC] — Cher Joseph Thouvenel, Le travail du dimanche, une question anodine ? Au cœur de la semaine sainte, vous avez bien voulu débattre avec nous de cette question, nous le public du Cercle du Vieux-Colombier réuni à l'église de la Madeleine.

Premier de cordée dans un bon combat, vous avez essayé de convaincre encore et encore de l'importance du repos dominical. De tout votre poids de syndicaliste, de toute votre énergie de chrétien. Soyez-en remercié.

Pas seulement un choix de société mais véritable enjeu de civilisation
À ceux qui vous ont dit, sans doute une fois de plus, bien mollement mais doctement dans un blabla trop rebattu, qu'en effet la question de société méritait qu'on s'y arrête, vous rétorquez sans ménagement c'est plus que cela, plus qu'une question de société , la question du repos dominical est un véritable enjeu de civilisation .
Le combat du dimanche, redites-vous sans vous lasser, n'est pas simplement un combat pour un jour de plus de repos : l'être humain a-t-il oui ou non une autre dimension ? n'est-ce pas sa dimension spirituelle qui est en cause ? l'être humain a-t-il une autre dimension que celle de produire et de consommer ? cette dimension, peut-il l'exprimer collectivement ? Vous nous rappelez alors qu'une société ne peut se construire sur l'empilement des égoïsmes, vous nous ramenez au bien commun, vous nous encouragez dans l'effort à faire, vous nous demandez ce qu'est le juste salaire, vous nous sommez de réfléchir à ce qu'est la bonne participation à l'œuvre collective.
L'agacement affleure. Normal, après des mois de bataille engagée ! que les contours de la question ne soient toujours pas cernés, à commencer par ceux qui devraient les avoir perçus avant tout le monde, par les catholiques puisqu'il faut les nommer, par ceux qui devraient avoir vu les premiers le danger qu'on ne réduise, comme vous dites, l'homme à un objet, c'est usant. L'agacement est légitime. Comment ne pas partager votre impatience ? Oui, l'histoire du dimanche que vous avez retracée pour nous est riche d'humanité, et vous avez redit à ceux qui ne veulent pas entendre la voix de la vérité qu'on ne supprime pas une loi parce qu'elle est vieille, de surcroît une loi votée par une grande chambre sociale [1]. L'argument est en effet un peu court. Pourquoi alors ne pas déclarer obsolète la Déclaration des droits de l'homme ? N'est-elle pas plus vieille encore ?
Les catholiques... Vous êtes déjà... dans les catacombes !
Vous avez eu raison de secouer les torpeurs catholiques, fidèles attiédis, en réalité endormis plutôt que défavorables. C'est peut-être pire d'ailleurs... Vous nous avez bousculés par votre entrée en matière tellement appropriée, boutade lancée avec humour de peur d'être obligé d'en pleurer un jour :
J'ai cru comprendre que le Cercle du Vieux-Colombier réunissait des catholiques. Je suis très inquiet de l'état de la catholicité dans ce pays quand je vois que vous êtes déjà... dans les catacombes ! peut-être qu'un jour vous en sortirez... en tout cas, je le souhaite.
C'était sévère mais bien envoyé. Un peu comme un curé attrape les fidèles présents à cause des absents. Il faut dire que tout se prêtait à cette observation de bon sens. N'étions-nous pas sous la Madeleine dans une toute petite salle voûtée, un public maigre composé d'une toute petite vingtaine de personnes seulement au début de la soirée ? Tout cela ne commençait-il pas de manière apparemment pauvre ? Mais n'était-ce pas également bon signe ? combien de bons combats n'ont-ils pas débuté comme cela minuscules comme graine de moutarde ?
Des motifs de déception, il y en aura encore, et vous les égrenez, comme cet exemple que vous nous avez rapporté :
J'avais commencé sur la partie catholique en vous disant que j'avais rencontré un prêtre — je ne pouvais pas me tromper avec son col romain — ; j'avais débattu à la télévision avec un député... À ce prêtre planté devant un écran de contrôle hors plateau, je dis vous avez suivi le débat, vous, le repos dominical, vous êtes pour... Il me regarde et me dit : Oh, vous savez.... l'Église s'interroge !
Les catholiques devraient se mobiliser un peu plus
Vous êtes alors abasourdi, on le serait à moins. Quel camouflet après la dure épreuve du feu des questions comme les médias savent le faire ! Pour étonnant que ce soit, cela a le mérite cependant d'être clair. Mais une fois de plus, vous n'en restez pas là, décochez la flèche qui touche dans le mille, vous renvoyez les catholiques à leurs contradictions :
Alors là, je ne peux pas parler au nom de l'Église, je n'ai aucune vocation à le faire. Je représente une organisation laïque mais j'ai lu le catéchisme, et le catéchisme, il est très clair. J'ai lu ce que disait Jean Paul II et il est très clair, j'ai lu ce que disait Benoît XVI et il est très clair. Je pense que les catholiques devraient se mobiliser un peu plus. S'ils ont une certaine foi et une certaine croyance et qu'ils respectent l'enseignement de l'Église, ils pourront se défendre du travail du dimanche.
Merci, Joseph Thouvenel, on respire d'entendre un langage net et vrai. Votre analyse fait mouche dans son intelligence des réalités anthropologiques et sociales qui ne gomment pas les réalités religieuses et chrétiennes les soutendant. La salle vous est acquise et vous écoute. Les questions d'une grande qualité légitimeront la nécessité de votre intervention énergique.
Votre conclusion en rencontrera plus d'un. Vous interrogeant sur le pourquoi d'une volonté de faire passer cette proposition de loi Mallié sur le travail du dimanche et de vouloir même passer en force, vous ne voyez que deux hypothèses, la force bien sûr de certains lobbies des grandes surfaces, mais à votre avis ce n'est pas la seule,
Il y a aussi le lobby de ceux qui veulent éradiquer en France tous les signes de la chrétienté. C'est un autre des lobbies qui me semble relativement prégnant dans cette affaire. Pour le moment on arrive à les bloquer mais plus on sera nombreux, plus on arrivera à les bloquer.
La proposition de loi en passe d'être votée au Parlement, concluez-vous, n'est pas moderne. Au moment des grandes interrogations sur le développement durable au XXIe siècle, et où l'homme a à développer ce qui est durable en lui, des députés décalés proposent une loi sans ambition, une loi d'un autre siècle, du siècle qui n'est plus, le XXe . Acquiescements lourds dans la salle.
Nous sommes redevables
Le premier de cordée a un effort toujours plus rude : il ouvre la voie, il tire parfois à l'aveugle ceux qui suivent, les encourage également mais plus que tout il est une assurance. Ce soir-là, vous n'avez pas seulement corrigé des catholiques inquiets. Salutaire correction d'ailleurs, enveloppée d'une bienveillance jamais retenue. Vous avez été Joseph Thouvenel notre assurance.
L'ascension ne fait que commencer, la pente se fait ardue, la ligne de crête plus que mince. Je voudrais vous dire par cette lettre ouverte le soutien de ceux qui approuvent vos propos sans l'ombre d'une réticence. Ils sont plus nombreux que vous ne croyez parmi les catholiques. Il ne sera pas dit que le temps donné en ce 7 avril dans ce petit cercle motivé et ouvert ait été perdu. Dans les catacombes que vous avez convoquées au début de votre conférence, souvenez-vous qu'il y avait à l'origine du christianisme des chrétiens peut-être cachés mais à la foi engagée et ardente. Certains, on le sait, l'ont payé au prix fort.
Permettez-moi de vous remercier enfin pour un dernier argument et non des moindres. Il est sans doute le plus essentiel. Au monsieur d'un certain âge qui admirait votre humanisme, vous avez voulu rendre hommage à qui de droit. Vous rappelez qu'il faut tomber en admiration devant nos Anciens. Que nous ne devons pas oublier que nous sommes des héritiers. Que les générations qui nous ont précédés se sont battues souvent durement pour nous construire une société à peu près apaisée, malgré ses difficultés, malgré ses injustices. Que nous sommes redevables à tous ces Anciens qui nous ont tant apporté par leur sacrifice. Nous en sommes redevables comme nous sommes redevables aux générations futures de leur transmettre tout ce que nous avons reçu en essayant de l'améliorer un peu.
La culture du divertissement à l'assaut de la culture de la transmission
Gageons que ceux qui vous ont écouté Joseph Thouvenel en ce mardi saint soient de ceux qui agiront désormais ; encore faut-il leur en donner les moyens et ne pas les tenir sans cesse sous le boisseau. Ce qui est en jeu est l'objet d'une vraie guerre ; je ne sais pas si elle a ses tranchées, mais elle a ses morts, spirituelles celles-là, mort programmée des esprits, abêtissement des masses et anesthésie des consciences.
L'assaut contre la culture de transmission dont le dimanche est emblématique avec ses valeurs hautement spirituelles par une toute puissante culture de la consommation annonce une bataille bien inégale. Plus âpre qu'une bataille d'hommes. Quoique tout petit reste, les chrétiens la soutiendront jusqu'au bout, n'en doutez pas, essaieront d'honorer ce jour sacré quoi qu'il advienne ; ils vous épauleront.
Ils prieront même pour vous. C'est cela aussi la dimension spirituelle de l'être humain.

  • Sur ce sujet, voir le dossier de Liberté politique n° 44, printemps 2009 : " A Dieu le dimanche", par Roland Hureaux et Hélène Bodenez.

[1] La Chambre de de 1919, dite bleu horizon.

 

 

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