Article rédigé par Hélène Bodenez*, le 13 mai 2011
Le travail du dimanche revient au cœur de l'actualité : à preuve, les trois pleines pages, incluant la une , du dossier [1] très complet de La Croix du 6 mai 2011. Le quotidien chrétien ne ménage pas sa peine pour traiter la question. Au fil des semaines, il n'a jamais laissé de répit à ceux qui appellent de leurs vœux la généralisation des dérogations du travail le dimanche. Même observation pour Famille Chrétienne avec Emmanuel Pellat et pour Radio Notre-Dame. Julien Chavanne ne manque jamais une occasion d'intervenir dans sa matinale et de relayer toute information concernant les attaques contre le dimanche chômé.
Reste que le dossier de La Croix se réjouit que le travail du dimanche ne fasse pas recette N'est-ce pas un peu hâtif ? Avant des échéances électorales majeures n'est-ce pas dédouaner à bon compte les apprentis sorciers qui ont voté la loi ? Regardons-y de plus près.
Les repères du dossier rappellent nettement les règles, les dérogations dans certaines activités, dans les zones touristiques, et dans les Puce . Ils dessinent une carte claire des nouveaux territoires du dimanche travaillé avec ses nouvelles communes touristiques [2], et les communes ayant ouvert de nouvelles zones [3]. On apprend en outre, grâce à la Direction Générale du Travail (Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Santé), que 30 Puce ont été créés [4] depuis la loi du 10 août (J.O. 11 août 2009), essentiellement en Île-de-France, une quinzaine ont été rejetés, et une vingtaine de dossiers sont en cours d'examen.
L'enquête du quotidien sur les litiges met l'accent sur les grandes résistances rencontrées, les guerrières du dimanche en Gironde, les attaques en justice de l'intersyndicale d'une quarantaine de supérettes, de la guérilla juridique [5] orchestrée en particulier par la CFTC et FO grâce à leur avocat maître Vincent Lecourt, la résistance de Paris qui refuse la très large extension des sept zones touristiques actuelles. Elle ne passe pas non plus sous silence, l'amendement Debré qui avait provoqué un tollé et qui reste toujours si choquant. On reconvoque même le si symbolique Ikéa qui essaie de se justifier en avançant que seuls ses magasins de la région parisienne sont ouverts : En province, nous ouvrons entre trois et dix dimanches par an si un accord est signé et dans des régions comme la Bretagne, nous restons fermés .
Certes, mais rappelons qu'il a fallu les y obliger. Le Collectif des amis du dimanche, par la voix de son président Jean Dionnot, [6] est intervenu pour mettre en avant le changement de mentalités en cours et le grand retour des résistances .
À la lecture de ce tour d'horizon complet, force est pourtant de constater que le titre de La Croix le travail du dimanche ne fait pas recette minimise l'impact de la loi Mallié. Est-ce vraiment ne pas faire recette que de créer ces 30 puce ? Est-ce bon signe que Richard Mallié, le député UMP, se félicite de la légalisation? Le Député des Bouches-du-Rhône est-il vraiment si heureux que les préfets aient été assez sages pour refuser toute création là où il n'existait pas d'habitude de consommation avant la loi ?
On peut donc, tout en saluant l'excellente entreprise d'explication et de mise au point, ne pas partager l'optimisme de La Croix. La situation existante peut-être au contraire vue comme très vulnérable, dangereuse même. La résistance est mince face au rouleau compresseur des grands hypermarchés et des centres commerciaux Les Castorama d'Île-de-France n'offrent-ils pas, aujourd'hui encore, 15 euros [7] le dimanche si les achats sont effectués le dimanche par carte de crédit revolving ? Ne voit-on pas de plus en plus d'enseignes affichant leur ouverture du lundi au dimanche ?
Le 9 avril dernier, invité sur un plateau de télévision, Frédéric Lefèvre, Secrétaire d'État chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services, des Professions Libérales et de la Consommation, faisait la promotion de son livre Le Mieux est l'ami du bien (Éd. du Cherche-midi). À cette occasion il n'a pas hésité à déclarer sans complexe que si, sur beaucoup de sujets, la Majorité présidentielle avait eu de vrais résultats, sur d'autres, il aurait fallu aller beaucoup plus loin ; comme par exemple avec le travail du dimanche , une réforme qu'on a avortée , selon lui. Pour cet ancien président d'un groupe de travail sur le pouvoir d'achat, il faut aller beaucoup plus loin tout simplement parce qu'il faut que tous ces gens qui veulent travailler le dimanche puissent le faire.
Aller beaucoup plus loin . C'est dit ! Le plan de démantèlement du dimanche est bien réaffirmé et semble bien annoncer la volonté de faire des nouveaux adeptes de la consommation en ce jour spécial [8]. L'insatisfaction de Frédéric Lefèvre n'est pas de bon augure et annonce tout de go que les tenants de la libéralisation du travail du dimanche ne désarmeront pas. Ne tombons pas dans le piège. Au lieu de soutenir l'idée que la loi n'a pas été un grand mal, mieux vaudrait au contraire conforter l'idée que la libéralisation en cours ne fait que commencer, libéralisation qui pour ses promoteurs n'a aujourd'hui aucune raison de s'arrêter là, à moins que...
En effet sous l'impulsion de la CFTC une vaste mobilisation s'opère contre le travail du dimanche. Celle-ci après avoir écrit au ministre du travail, s'est adressée aux députés et aux sénateurs rappelant ce que la Commission des experts de l'OIT a demandé récemment [9] au Gouvernement : poursuivre l'examen, avec les partenaires sociaux, de l'impact des mesures introduites par la loi n°2008-3 du 3 janvier 2008 et la loi 2009-974 du 10 août 2009, sur le plan pratique en tenant compte des considérations tant sociales qu'économiques . Christian Vanneste, député du Nord a d'ores et déjà répondu au syndicat, promettant de continuer le combat et de poser des questions écrites au Gouvernement.
Le porte-parole de la COMECE [10] Johanna Touzel au cours d'une réunion à Bruxelles a, de surcroît, annoncé : Le 20 juin, nous lancerons à Bruxelles l'Alliance européenne pour le dimanche. Pour la première fois, les syndicats et les Églises d'Europe seront sur la même ligne .
L'Alliance mobilisera tous les défenseurs du dimanche chômé, dont l'AFSP, centralisera les organisations nationales, donnera de la force pour augmenter la pression en vue de la réintroduction d'une protection européenne abandonnée depuis 1996. L'optique se voudrait large. Protéger le dimanche en Europe serait d'ailleurs rattaché à la recherche de la légitime décence [11] dans le temps de travail, qui devrait être le lot de pays civilisés. Une Alliance dans un premier temps, et pourquoi pas ensuite une Initiative citoyenne européenne ? À moins qu'elle ne soit conjointe au lancement de cette première Initiative citoyenne européenne ? L'avenir le dira.
Hélène Bodenez est l'auteur d'À Dieu le dimanche ! (Éd. Grégoriennes)
[1] Dossier : Le travail du dimanche ne fait pas recette , éditorial de Guillaume Goubert Un seuil de résistance , Nathalie Birchem, Le travail du dimanche ne fait guère d'adeptes , les objecteurs reprennent espoir , Benjamin Leclerc, Le dimanche libre mobilise activement les militants , Propos de JohanaTouzel et de Pierre Collignon recueillis par Céline Hoyeau, Repères, le repos dominical et ses dérogations , Carte, Les nouveaux territoires du dimanche travaillé .
[2] Côtes d'Armor (Binic, Erquy, Pléneuf-Val-André, Saint-Cast-Le Guildo), La Manche (Villedieu-Les-Poêles), Landes (Saint-Julien-en-Born), Hérault (Agde), Var (Fréjus).
[3] Ille-et-Vilaine (Cancale, centre-ville), Eure-et-Loir (Chartres, abords de la Cathédrale), Alpes-maritimes (Cagnes-Sur-Mer, Vence, Nice, vieux Nice, une partie du centre-ville et la promenade des Anglais).
[4] Yvelines (Vélizy, Coignières, Aubergenville), Nord (Roubaix 2), Hauts de Seine (Gennevilliers), Val de Marne (Thiais), Seine-et-Marne (Clayes-Souilly 2, Cesson, Montévrain et Chanteloup, Villeparisis, Pontault-Combault, Lognes, Melun), Bouches-du-Rhône (Cabriès/Les Pennes-Mirabeau), Val d'Oise (Herblay, Montigny-lès-Corneilles, Gonesse, Osny, Montsoult, Eragny 2, Ezanville, Franconville, Corneilles-en-Parisis, Saint-Brice-sous-Forêt, Pierrelaye), Essonne (Ste Geneviève-des-Bois et Fleury-Mérogis, Villebon-sur-Yvette).
[5] Christine Henri pour Le Parisien du 7 mai 2011, Les boutiques des Abbesses menacées le dimanche , L'inspection du travail veut imposer aux commerces situés au pied de la butte Montmartre de respecter la loi sur le repos dominical. Car ils ne sont pas situés en zone touristique.
[6] Dans Les Réseaux cathos (Robert Laffont), Marc Baudriller montre dans son livre comment l'équipe du CAL (sauvegarde du lundi de Pentecôte) a œuvré pour plomber la loi de Raffarin et s'organise actuellement pour contrer toute avancée sur les terres des jours chômés en particulier du dimanche.
[7] En bons d'achats, tous les dimanches en Île-de-France.
[8] Pour "les Free Sunday", Sunday is a "special" day.
[9] Liberté politique.com, 7 avril 2011
[10] Commission des épiscopats de la Communauté européenne.
[11] À venir conférence au Centre culturel de Franklin, Sens et décence du travail , mardi 4 octobre 2011, avec Pierre Robert, Agrégé en sciences économiques et sociales, diplômé de Science Po Paris, auteur de Croissance et crises : analyse économique et historique, Pearson Collection Cap Prépa ; avec Hélène Bodenez, professeur agrégé de lettres, auteur d'À Dieu, le dimanche ! (Éd. Grégoriennes). Les deux intervenants sont collègues et enseignent en classes préparatoires économiques et commerciales, au Lycée Saint-Louis-de-Gonzague (groupe scolaire Franklin), à Paris.
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