Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 11 avril 2011
Le Sénat a balayé vendredi 8 avril le régime d'interdiction avec dérogations au profit d'un régime d'autorisation de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Si ce vote est confirmé en seconde lecture, plus aucune exigence éthique, même symbolique, ne s'opposerait à la réduction de l'embryon humain au statut de matériau de laboratoire entièrement disponible au bon vouloir des firmes pharmaceutiques et autres consortium de recherche. Ce choix idéologique relève clairement d'une philosophie matérialiste et scientiste de la vie.
À changer notre attitude et notre comportement devant la vie, n'y voyant plus un don de Dieu mais un matériau qui se gère, c'est l'avenir entier que nous faisons basculer [1]. Le programme franc-maçon dévoilé en 1979 par Pierre Simon, gynécologue-obstétricien et grand maître de la Grande Loge de France dans son livre De la vie avant toute chose n'est-il pas l'une des clés d'interprétation du projet de loi relatif à la bioéthique adopté vendredi dernier au Palais du Luxembourg ?
Nous sommes devenus une chambre d'enregistrement des évolutions de la science , a déploré la sénatrice Marie-Thérèse Hermange qui s'est courageusement battue avec plusieurs de ses collègues pour tenter, en vain, d'éviter le pire (La Croix, 1er avril 2011).
Pour nous, les concepts qui sous-tendent la morale de notre temps se redéfinissent à la faveur des acquisitions scientifiques nouvelles [...]. Cette nouvelle approche de la vie – celle du gestionnaire –, rien ne peut l'arrêter , promettait Pierre Simon.
Apologistes d'une vision matérialiste radicale, une majorité de sénateurs, droite et gauche confondues, lui donne raison plus de trente ans après. La liberté de la recherche ne doit plus être entravée par le respect de la dignité humaine. En méprisant le Code civil lui-même qui dispose que la loi garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie (article 16), le Sénat opère un changement radical de perspective. Car c'était pour honorer au moins symboliquement cet article fondamental du Code civil que l'Assemblée nationale de concert avec le gouvernement avait maintenu l'interdit de la recherche sur l'embryon.
Soustrait à la protection du principe de dignité
En faisant de la liberté de la science un nouveau droit opposable au respect de la vie, les sénateurs ont soustrait radicalement l'embryon humain à la portée protectrice du principe de dignité. Le vote du Sénat doit être lu comme une charge virulente contre toute limitation éthique au progrès biotechnologique. Déqualifiant irrémédiablement l'être humain dans sa condition embryonnaire, le nouveau projet de loi impose la maîtrise du vivant comme l'un des nouveaux facteurs d'organisation de la société, témoignant d'une vision fondamentaliste et prométhéenne de la science.
Le choix de l'eugénisme que nous avons précédemment analysé s'inscrit également dans cette philosophie annoncée par Pierre Simon pour modifier en profondeur le concept même de vie : La logique du gestionnaire conduit à rationnaliser de plus en plus la vie [...] pour parvenir au plein épanouissement de ses possibilités. Regardons les choses en face : un mongolien entre-t-il dans ce cadre ? La vie est ce que les vivants en font : la culture la détermine.
Dans sa dernière lettre encyclique, Benoît XVI a pressenti avec des accents dramatiques les prémisses de l'avènement d'une biocratie implacable qui guette nos sociétés :
On ne peut minimiser les scénarios inquiétants pour l'avenir de l'homme ni la puissance des nouveaux instruments dont dispose la culture de mort [...]. Derrière tout cela se cachent des positions culturelles négatrices de la dignité humaine [...]. Un domaine primordial et crucial de [cet] affrontement culturel est aujourd'hui celui de la bioéthique où se joue de manière radicale la possibilité même d'un développement humain intégral. Il s'agit d'un domaine particulièrement délicat et décisif où émerge avec une force dramatique la question fondamentale de savoir si l'homme s'est produit lui-même ou s'il dépend de Dieu (Caritas in veritate, n. 74-75).
Face à cette prétention prométhéenne, poursuit le pape, nous devons manifester un amour plus fort pour une liberté qui ne soit pas arbitraire mais vraiment humanisée par la reconnaissance du bien qui la précède. Dans ce but, il faut que l'homme rentre en lui-même pour reconnaître les normes fondamentales de la loi morale que Dieu a inscrite dans son cœur .
Le service de la civilisation de l'amour et de la culture de vie ne peut faire l'impasse sur le drame de la fermeture idéologique à l'égard de Dieu. En ce sens, Pierre Simon avait vu juste : ne plus recevoir la vie comme un don de Dieu, c'est avoir le champ libre pour la gérer comme un matériau.
*Pierre-Olivier Arduin est directeur de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.
[1] Pierre Simon, De la vie avant toute chose, Editions Mazarine, 1979. Parce qu'il annonçait explicitement le plan de bataille des Francs-maçons dans les débats législatifs à venir, l'ouvrage a été retiré de la vente après 6 mois. Il est aujourd'hui introuvable.