Article rédigé par François Martin, le 07 septembre 2012
Attaquera, attaquera pas ? Depuis plusieurs mois, toile, journaux, experts, chancelleries et hommes politiques bruissent de rumeurs sur ce conflit. Militaire ? Pas certain. Médiatique ? Sûrement. Qu’y a-t-il de vrai dans cette affaire, où les stratégies d’influence, d’intimidation et d’intoxication sont une part importante de la réalité du conflit ? Tentons d’y voir un peu clair.
Comme le remarque Pascal Riché pour Rue89, les tensions, insultes et menaces entre les deux pays ne sont pas nouvelles, même s’il faut parfois se demander si ces déclarations ont toujours une valeur géostratégique, ou bien plutôt une valeur politique interne [1], et aussi si elles sont toujours correctement traduites [2], ou encore si ceux qui les prononcent sont suffisamment crédibles [3].
Pour autant, on ne peut pas réduire bien entendu le conflit médiatique entre ces pays à des opérations à caractère purement interne. En cas d’obtention de la bombe par l’Iran, la menace contre Israël, seul détenteur actuellement du pouvoir atomique dans la région, serait réelle. Cela ne veut pas dire, remarquons-le tout de suite, qu’il serait impossible à Israël de vivre avec une telle contrainte : d’abord, parce que la notion de menace dans le monde est permanente, et que l’élimination de toute menace n’est pas possible, même pour Israël. Ensuite, parce que c’est le propre de la dissuasion que de faire en sorte que les menaces nucléaires, absolues, s’équilibrent de part et d’autre, en partant du principe qu’aucun des belligérants ne tient à disparaître. Ce qui est certain par contre, c’est que dans ce cas, la nature de la politique étrangère d’Israël devrait radicalement changer en fonction de cette donnée nouvelle. Elle ouvrirait à d’autres dangers, tout aussi sérieux, parce qu’il serait inenvisageable, dans ces conditions, que l’Arabie Saoudite ne cherche pas à avoir la sienne. Tout ceci, les militaires israéliens le savent. Ils y ont réfléchi depuis longtemps, certains ayant même affirmé que les dirigeants iraniens étaient « rationnels » [4], pas moins, dans leur esprit certainement, que ceux de l’URSS de la guerre froide. Même pour les meilleurs experts israéliens, la question n’est donc pas « blanc ou noir ».
Dans quels buts ?
Pour aujourd’hui malgré tout, cette perspective n’étant pas certaine, il est logique qu’Israël fasse tout ce qu’il peut pour en enrayer le processus.Dans ce but,, le Premier Ministre Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Ehud Barak se sont lancés dans une vaste opération (communication, distribution de masques à gaz, etc…), visant à préparer les opinions à une attaque israélienne préventive contre l’Iran imminente, mais dont on ne peut clairement en qualifier la nature : pré-militaire ? politique interne ? politique internationale ? Les trois objectifs, pouvant d’ailleurs être poursuivis simultanément.
Sur le plan interne, en effet, « Bibi » Netanyahu a de sérieuses difficultés : sur le plan économique, le pays fait face à une grave crise, et la situation est tendue, voire critique. La population israélienne est massivement descendue dans la rue, pour demander plus de justice sociale. Avec lespalestiniens [5], les choses ne vont guère mieux. En effet, se targuant du dialogue bloqué et de la permanence de la politique de colonisation, le Président palestinien poursuit ses offensives diplomatiques, avec un certain succès [6]. Pour le premier ministre israélien, une opération contre l’Iran, même seulement médiatique, permet de faire oublier un peu le reste. Il faut aussi souligner que même dans l’opinion publique israélienne et dans son propre camp, cette option ne fait pas l’unanimité, loin de là. L’opinion israélienne est en effet est très réticente à l’idée d’un tel conflit, et certains des plus hauts gradés de l’armée l’ont critiquée dans les termes les plus violents, accusant même le Premier Ministre d’avoir « pété les plombs ».
Sur le plan militaire non plus, l’idée de l’attaque préventive et unilatérale ne tient pas vraiment la route. Certains éléments le montrent clairement. D’abord, la distance. Entre Jérusalem et Téhéran, elle est d’environ 1500 km. Le rayon d’action des F 15 israéliens étant d’environ 1900 km, et l’attaque en ligne droite n’étant pas possible (survol nécessaire de la Syrie et de l’Iraq), autant dire qu’il est impossible à Israël de lancer cette opération sans l’aide des avions ravitailleurs américains, ou bien de celle d’une république du Caucase, comme l’Azerbaïdjan par exemple, avec qui Israël a des relations militaires. Autre difficulté : la dimension de l’objectif. L’Iran est en effet un immense pays de 1,6 Millions de km2, avec des dizaines, sinon des centaines de sites, toujours près des zones peuplées, et souvent profondément enfouis, parfois même sous une montagne, comme celui de Fordo. Selon certains experts, il faudrait une attaque simultanée d’une centaine d’avion pour mener une telle opération de façon à peu près efficace. Comment Israël pourrait-il se lancer seul dans cette aventure, même en supposant possible de prépositionner tout son dispositif en Azerbaïdjan ? Enfin, l’opinion des militaires et des populations. Pour Israël, il est impératif que ces deux populations soient unies derrière le gouvernement pour une opération aussi risquée. Or, si c’est toujours le cas pour une « guerre de survie », défensive et à très court terme, c’est moins vrai pour une « guerre d’opportunité », offensive, stratégique et préventive, comme celle-ci. Dans le cas présent, si la population est réticente, l’armée est même, en majorité, farouchement contre.
Alors, quel intérêt à médiatiser à ce point, si cette guerre est impossible pour Israël seul, et que tous les experts le savent [7] ? Parce ce qu’Israël a une autre carte à jouer, sur le plan international.
Washington en ligne de mire
En effet, la campagne américaine démarre en trombe, en ce moment-même. Il n’est un secret pour personne que les relations entre Netanyahu et Obama sont plus que fraîches, Obama accusant Israël de n’avoir rien fait pour limiter la colonisation, ni pour faire progresser les pourparlers de paix, et de lui avoir constamment forcé la main. Le problème, c’est qu’Obama est maintenant en campagne, et qu’il a besoin, comme tout candidat, de l’électorat juif. La surenchère médiatique orchestrée par Netanyahu a donc un immense intérêt, celui de mettre la pression sur Obama. Si celui-ci refuse de s’engager plus avant (ce qui est le cas pour l’instant), il peut être perçu comme faible ou indécis, et donner du grain à moudre à son adversaire Romney, qui ne s’est pas privé pour adopter une posture plus « va-t-en-guerre », dans la tradition néoconservatrice. Avec cette « opération Iran », sous couvert de neutralité, « Bibi » intervient donc directement dans la campagne, et prend, sans le dire, parti pour le candidat républicain. Ce faisant, il prend un risque calculé : si Obama craque, et prend des engagements d’intervention, immédiats ou tardifs, « Bibi » aura réussi son pari, celui d’engager l’Amérique dans un conflit où, visiblement, elle n’a aucune envie d’aller. Si Obama ne craque pas, mais apparaît comme faible, et que l’électorat juif le lâche, jusqu’à faire passer son adversaire, « Bibi » aura aussi gagné, car il aura récolté pour l’avenir un interlocuteur républicain bien plus amical. Si Obama repasse, le pari que fait « Bibi », sans doute, est que même si les relations deviennent exécrables, les USA ne peuvent pas lâcher leur allié dont ils ont trop besoin. Mais, sans parler de lâchage, jusqu’où pourrait aller, dans ce cas, la « punition » américaine ? Nul ne peut le savoir.
Pour le moment, dans cette affaire, nous ne voyons que des menaces, des mots. Une variante de cette stratégie, pour Israël, serait d’attaquer seul, avant le mois de Novembre, date de l’élection américaine, en faisant le pari que l’Amérique sera alors obligée de suivre. En a-t-il vraiment l’intention ? Outre le fait que l’opinion en Israël n’y est pas prête, et que cela comporterait bien d’autres risques, personne ne peut prédire où cela finirait. Heureusement, nous n’en sommes pas encore là.
La politique étrangère est un art parfois dangereux. Dans le cas présent, nous ne sommes pas loin de la roulette russe, ou de la corde raide, sans beaucoup de filets… Dans ce genre de configurations, il faut se garder des conclusions hâtives, et conserver la tête très froide.
[1] Si l’on regarde la carte, on s’aperçoit que le véritable ennemi stratégique de l’Iran chiite est plutôt l’Arabie Saoudite, grand et riche pays sunnite, qui lui dispute le leadership spirituel, la suprématie régionale et pétrolière, la mainmise politique sur l’île largement perso-chiite de Bahrein, et la maîtrise du golfe persique, et non pas Israël. Israël en effet, de par sa position sur les arrières de la péninsule arabique, serait plutôt un allié stratégique de l’Iran plutôt qu’un ennemi. Il existe en Iran une importante communauté juive qui n’est guère inquiétée, alors qu’il n’y en a pas en Arabie Saoudite. Il faut bien faire la différence entre ennemi médiatique et ennemi stratégique. Certes, la question du nucléaire iranien change évidemment la donne. Malgré cela, il convient de se demander si de tels propos récurrents de part et d’autre n’ont pas un intérêt politique interne, pour ces deux pays très nationalistes. Ils en ont, bien sûr : un « meilleur ennemi », c’est toujours utile. Après tout, Castro a fait toute sa carrière politique là-dessus.
[2] Ahmadinejad, semble-t-il, n’a jamais dit qu’Israël devait être « rayé de la carte ». La traduction, d’après les experts, est impropre. Cela ne veut pas dire qu’il n’a jamais rien dit…. Cf http://www.lepoint.fr/monde/iran-ahmadinejad-n-a-jamais-appele-a-rayer-israel-de-la-carte-26-04-2012-1455392_24.php et http://fr.wikipedia.org/wiki/Mahmoud_Ahmadinejad
[3] Ahmadinejad n’a pas tout les pouvoirs en Iran. Il n’est que le Président de la République, et non pas le « Guide de la Révolution ». La politique étrangère, en particulier, n’est pas de son ressort, mais de celle du Guide, Ali Khamenei, institué par l’assemblée des mollahs ou « Assemblée des Experts ». En outre, Ahmadinejad est sorti affaibli des dernières élections législatives, et il ne peut plus se représenter après son 2ème mandat, qui expire l’an prochain. Cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_de_l'Iran et 2339_118.phphttp://www.lemondedesreligions.fr/actualite/ahmadinejad-affaibli-par-les-legislatives-au-profit-du-guide-supreme-05-03-2012-2339_118.php
[4] Comme par exemple l’ancien patron du Mossad Meir Dagan. Cf http://www.france24.com/fr/20120312-superman-israelien-meir-dagan-contre-attaque-iran-enrichissement-nucleaire-mossad-renseignements-israel
[5] Pour autant qu’on puisse considérer la question palestinienne comme une question “interne” à Israël
[6] Mahmoud Abbas a déjà obtenu en Octobre 2011 le statut d’Etat-membre de l’Unesco, et poursuit son effort pour adhérer à l’ONU. Cf http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/04/18/97001-20120418FILWWW00426-la-palestine-veut-etre-a-l-onu.php
[7] C’est même un des principaux reproches que les militaires font au gouvernement : celui de décrédibiliser sa parole, en proférant des menaces qu’il ne peut pas mettre à exécution.