Article rédigé par Catherine Rouvier, le 17 février 2012
Taux de chômage et de suicide des jeunes français : la cote d'alerte est franchie. La solution passe par une vraie réforme de la formation. Le système éducatif des pays bas qui produit 15 % de bac +5, a le taux de chômage des jeunes le plus bas d’Europe. Le système éducatif français dans le même temps produit 15% d'illettrés et a un taux de chômage et de suicide des jeunes des plus élevés. Cherchez l'erreur !
Ce mercredi 15 février, Nicolas Sarkozy a lancé dès le matin sa campagne sur twitter. On y voit une vidéo de sa première apparition à la télévision. Il a une vingtaine d'années et est en compagnie d'autres étudiants. Ils parlent du chômage des jeunes, de la faiblesse des solutions de la gauche, du bien fondé de solutions incitatives à l'embauche auprès des entreprises, exonérations de charges etc...
Destinée à montrer la constance des choix duprésident candidat - en décembre 2011 le gouvernement a pris une mesure exonérant de charges ceux qui embaucheraient des jeunes de moins de 26 ans - cette vidéo a pourtant un effet "collatéral" consternant : celui de montrer que la France, depuis 25 ans, n'a pas su résoudre ce problème,-pourtant simple, à entendre le jeune Sarkozy - de l' « adéquation de la formation à l'emploi »
Ceci s'explique parcequ’il faut pour le résoudre choisir des solutions courageuses et politiquement couteuses en terme de popularité que personne n'a vraiment osé prendre jusqu’ici. Ces solutions touchent en effet à deux tabous : la sélection au bac ou à l'entrée à l'université et du coût des études supérieures
La seule mesure efficace, qui est de faire, comme en Hollande où le taux de chômage des jeunes est le plus bas d'Europe, une formation pyramidale qui aboutit à ce que 15% seulement d'une classe d'âge arrive à bac + 5 n' a pas été entreprise.Tout au contraire en France l’application depuis 25 ans de la doctrine Jospin -inspirée sans doute de son trotskysme originel ,hostile à toute hiérarchie- de « 80 % d'une classe d'âge au bac » (a l’heure actuelle entre 85 et 88 % selon les options ) , aggravée par une absence de sélection à l'entrée de l 'université, produit mécaniquement de l'échec , et donc du désespoir et explique en partie le taux de suicide des jeunes français, un des plus élevés d'Europe
Apres un constat de la situation actuelle et l'analyse de ses causes, je ferai l'analyse des solutions proposées et lancerai une ou deux pistes d’action.
Le constat
Il est double. C'est celui d'un mal être d'étudiant qui parfois se prolonge d'un désespoir de jeune chômeur
le mal être étudiant
Les enquêtes que j'ai menées auprès de mes propres étudiants à tous niveaux d'études m'ont éclairées sur les deux principales raisons de ce "mal être"
Ils se sentent coupables de de ce que coutent à leurs parents leurs études, surtout quand ils doivent doubler voire tripler leur année. Il faut que cesse le scandale d'études dites « gratuites » ( ou presque : de 5000 à 35000 dollars en moyenne aux US pour une année , 300 euros environ en France pour une année d'étudessupérieures ) alors même que les étudiants doivent payer 600 euros par mois soit 7200 euros par an à Paris pour se loger dans une simple chambre de bonne améliorée de douche en kit et sanibroyeur , sans compter le prix moyen d’un repas , et le récentrenchérissement de celui des sandwichs et sodas...Notons que l’APL , allocation pour le logement des jeunes , constitue certes une aide ( reversement de 20% du loyer ), mais se résoud pour l’Etat en lourdes dépenses qui viennent s’ajouter au coût réel de la formation des étudiants , ce pour quoi du reste NicolasSarkozy avait envisagé sa suppression pour les étudiants rattachés au foyer fiscal de leurs parents ...C’est à dire à la majorité des étudiants ! L'Etat dépense la moitié de son budget de fonctionnement pour l'Education National. Il a construit au temps des trente glorieuses d'immenses campus des milliers de m2 -voir la dimension du campus de Nanterre ou d'Orsay- dont le cout de l'énergie a multiplié par dix le cout originel et qu'il faut entretenir et réparer à grands frais . On pourrait très bien y loger les étudiants qui payeraient un « ticket d'entrée » conséquent mais auraient droit non seulement à une véritable restauration - celles existantes laissent parfois vraiment à désirer – mais à un logement, des cafés internet, de vraies installations sportives, bref a une vraie vie de campus. Car le mal être vient très clairement d'un sentiment d’isolement.
Ils sont trop souvent dans un grand isolement affectif car logés seuls, loin de leur famille, parfois à 2h de leur fac en bus et RER (trop souvent en retard ou en grève de surcroit), ils ont peu de contact avec les professeurs. Ces professeurs - plus aptes qu'on ne le pense à aider les étudiants à s'intégrer et à persévérer malgré les difficultés -,j'en ai souvent fait l'expérience - pourraient avoir- rêvons un peu - des bureaux voire des logements ou à tout le moins des salles communes accueillantes où recevoir les étudiants. Trop souvent ils ne voient, entre deux portes, que les plus audacieux d'entre eux , ceux qui ,dans un amphi bondé osent approcher du professeur à l'inter cours ... Dans les grandes facs en effet , seule l'administration proprement dite , et les directeurs d'Unités d'Etudes et de Recherches , de "labos "ou de "mastères" ont des bureaux .Encore ces derniers les partagent ils a plusieurs, la plus souvent sans secrétariat, ce qui fait qu’ils renoncent souvent à s’y rendre, ne sachant pas s’ils pourront y travailler ou y recevoir en toute tranquillité.
Le désespoir du chômage précoce
Ce mal-être universitaire se prolonge trop souvent par le constat déprimant que,trop nombreux à entrer sur un marché du travail saturé de "diplômes", ils doivent "se vendre" , ce qu'ils n'ont guère appris à faire dans le giron d'une université qui fonctionne encore sur le temps long et n'intègre que très lentement l'incroyable accélération du temps qu'induisent à la fois les performances inouïes des nouvelles technologies et la mondialisation , l'instantanéisation des échanges .
Aujourd'hui un an c'est très long en terme de formation : d'une part parce que les possibilités d'apprentissage et leur rythme sont incroyablement décuplées, et d'autre part parce que un an sans qualification entrave la recherche d'emploi ou les plus compétitifs, donc les plus rapides l’emportent.
Ce chômage des étudiants peut se situer à deux moments clés : a Bac plus 1 ou 2 et à bac plus 5.
Le chômage des bac + 1 ou 2
De trop nombreux bac +1 ou 2, sortant sans diplôme de l'Université après 2, 3 , parfois 4 ans perdus à redoubler des années de fac parce qu’ils n'ont tout simplement pas les aptitudes nécessaires mais qu'aucune pré sélection doublée d'une orientation sérieuse n'a pu avertir de la distorsion entre leurs capacités et la nature de ce qui leur sera demandé .
Le taux d'accès au supérieur en Suisse est de 39 % et le taux de chômage des jeunes est de 7,2%. En France en revanche le taux d'accès est de 60% et le chômage des jeunes est de 22,5% (en Suède les mêmes causes produisent les mêmes effets : 73 % d'accès à l’université, 25% de chômage). Ils ne peuvent de ce fait, à l'âge ou ils en ont le plus envie (21-26 ans) envisager ni une vraie vie de couple, ni de fonder une famille, ni d'emprunter pour s'acheter un logement, mais versent à fonds perdus à des propriétaires privés la quasi-totalité de leurs ressources, qu'elles viennent d'une bourse , de parents , ou de petits boulots . Paradoxalement, d'après les enquêtes que je fais périodiquement auprès de mes étudiants de M1 et M2 les étudiants étrangers,bénéficiant de bourses beaucoup plus conséquentes, s'en sortent sans trop de peine !
Ce qui me frappe dans notre jeunesse actuelle, c'est qu'elle est exceptionnellement intelligente (résultat aussi de l'innovation technologique !) et désireuse de bien faire, mais aussi tout simplement de faire , bien plus que les générations précédentes . La mode n'est plus aux études longues. Or il ne faut pas que cet appétit de vivre tourne au cauchemar de l'impuissance, comme trop souvent aujourd'hui .Il importe de donner aux jeunes l'assurance , qu'ils pourront travailler âpres une ou deux,années d'études , selon leurs capacités et leurs choix de vie et négocier avec les entreprises, surtout les PME (qui sont demandeuses ) la reconnaissance de ces formations courtes. Naturellement il faut aussi y adapter l'enseignement et y prévoir des filières courtes, qui existent actuellement seulement au niveau licence mais pourraient exister au niveau bac +1 et bac +2 .
Le chômage des bac +4
S’ils persistent et signent au-delà du premier niveau, la licence, ils ne sont pas assurés d'un meilleur avenir
Le système actuel produit en effet aussi 'un chômage des bac +4 qui parfois, âgés déjà de 27 ou 28 ans, n’auront finalement que le niveau L3 (licence) et n'auront orné leur CV d'étudiants que de stages non payés qui ne constituent pas pour le monde du travail des références valables. Pourquoi ?
Parce que la reforme LMD (Licence 3 ans, Mastère 5 ans, Doctorat 8 ans ) mise en place au niveau européen en vue d'une harmonisation des diplômes permettant la mobilité professionnelle dans l'Union, peine à s'imposer dans les faits dans les pays membres, tant sont ancrées les vieilles habitudes nationales.
Ainsi en France ou traditionnellement la licence – puis la maitrise – se faisaient en quatre ans, tout se passe comme si cette durée de quatre ans (ex premier et deuxièmes cycles) restaient l'échelon pertinent. De ce fait l'ancien 3eme cycle (Diplômes d'Etudes supérieurs jadis) se trouve, de fait, et malgré les brochures universitaires ventant la continuité entre M1 et M2, scindé entre le Mastère 1 (bac+4) dans lequel les étudiants entrent quasi mécaniquement dans l'université ou ils ont obtenu leur Licence, et le M2 (bac +5), où règne la "délocalisation" et une véritable foire d’empoigne.
La sélection se fait en effet pour chaque M2 au sein de chaque université sur des critères internes qui sont à la discrétion du directeur du mastère. Il arbitrera entre des candidatures qui affluent de partout, non seulement de toute la France mais de toute l'Europe voire du monde entier, et de ce fait n'intégrera que peu d'étudiants du M1 dispensé dans la même université qui et sensé être sa "porte d'entrée".
Ceci aboutit pour les étudiants à une mutation géographique obligée, avec les coûts y afférant, et les expose à un stress intense en cas de convocation pour les candidatures dans des endroits différents avec des dates identiques, ou encore en cas d'obligation à accepter tel résultat positif d'une université dans un délai trop court pour avoir les résultats de toutes les formations ou ils ont postulé ...
Parfois ils renoncent, découragés
Or le M2 seul, aujourd’hui, ouvre les portes de nombreuses carrières, soit compte tenu de la loi (depuis peu l'instituteur doit être bac + 5 !) , soit de facto compte tenu de la rareté des postes face à une inflation de diplômés ...
Les solutions
Il faut avoir le courage de faire les réformes nécessaires. Les jeunes eux même le désirent et sont scandalisés des passe droits que génère automatiquement la situation de « non sélection » actuelle à l’entrée de l’université ou de sélection opaque a l’entrée des M2.Ils ont le sentiment désastreux et destructeur de sélections déguisées et hypocrites, par l'argent ou par les relations.
L'idéal serait de faire comme en Ecosse du bac un moyen, non seulement de sélection mais d'orientation en donnant, selon les résultats, la possibilité ou non d'intégrer telle formation supérieure (exemple, un A permet de suivre des cours de droit et de médecine mais pas un B ou un C) . Mes étudiants Erasmus écossais ont de ce fait une réelle aptitude à faire des études intellectuellement difficiles comme le droit, même en français,ce qui est loin d'être le cas de beaucoup de mes étudiants français ... même en français !
Mais on peut aussi confier à l'Université cette présélection.
C'est ce que préconise la Conférence des Grandes Ecoles qui s'est tenue ce 14 février. Ses propositions, c'est à noter, sont en phase avec celles de la Conférence des Présidents d’Université, présidée par Louis Vogel, président de Paris Assas. Ces deux instances sont d'accord en effet sur la nécessité de donner aux universités la possibilité de sélectionner leurs étudiants.
Mais elles ont aussi d'accord pour repenser le financement des études, 2 eme sujet tabou après la sélection.
Il manque en effet, d’après leurs calculs, 20 milliards d'euros pour que l'enseignement supérieur français soit compétitif au regard des meilleurs systèmes étrangers, et cette somme, qui devrait permettre en 10 ans d'atteindre l'objectif fixé, ne doit pas peser sur le seul Etat dont l'Education Nationale est déjà le plus lourd poste de dépenses, (environs la moitié de son budget de fonctionnement !), mais aussi sur les entreprises et sur les familles. Pour ce qui est des familles, les frais d'inscription de 3000 euros semblent raisonnables. Elles sont de moins du la moitié du coût réel d'un étudiant (6500 euros environ) . Naturellement il y aurait diverses possibilités d'exonération - par exemple, comme dans les Ecoles Normales en échange d'un engagement de 10 ans au service de l'Etat (ou d'une entreprise si le financement est privé)- soit en prévoyant un remboursement des frais d'étude dans les premières années d'exercice d'un métier.
Parmi les propositions des candidats à la présidentielles, peu concernent l’Université.
Relevons tout de même les plus intéressantes : François Bayrou parle d'une "Réorganisation des premières années de faculté». Nicolas Dupont Aignan « d’instaurer un droit d'entrée à l'université » François Hollande de « la Création d'une allocation d'étude pour jeunes adultes sous condition de ressources ». Marine Le Pen d'une «réduction du personnel administratif au profit des enseignants », de «donner une autonomie supérieure aux universités dans le recrutement des professeurs et dans la sélection des élèves » et de prendre des « mesures incitatives au développement de l'apprentissage et des stages en entreprises au cours de la formation », Dans son livre « pour que vive la France » sorti en février 2012 elle plaide de plus pour un bac « qui retrouvera son caractère sélectif » (p.243) . Nicolas Sarkozy parle, lui, d'une « revalorisation des filières de l'enseignement professionnel ». Parallèlement à « la poursuite de la réforme des Universités ». Il a par ailleurs proposé de faire, s'il est réélu, un referendum sur le problème du chômage.
Arrêtons-nous sur cette perspective. Ce serait en effet une bonne occasion, lors de la campagne précédant ce referendum, pour nous, la société civile de souligner le lien étroit entre formation et chômage . De dire qu'il est anormal d'entendre sur une grande chaine de télévision une salariée du « pôle emploi » dire qu'il faut créer des « instituts de formation des chômeurs » dans un pays ou la moitié du budget de l'état est affecté justement à l'éducation ....
D'ajouter que l'Université peut et doit remplir ce rôle comme elle peut et doit organiser des séminaires d'entreprise au titre du 1%. Pour éviter les dérives liées à la prolifération non réglementée d' « instituts de formation » et autres « cours de remise à niveau » aux couts prohibitifs , voire aux relents sectaires. Pour instaurer,à côté des « guichets de pôle emploi » ayant hélas gardé les vieilles habitudes de lenteur désespérante et d'exigences administratives formalistes et surannées de l'ANPE ( combien de suicides de « demandeurs d'emploi »? ) un secteur ou fondations reconnues d'utilité publiques et entreprises, en partenariat avec les Universités, dispenseraient de vraies et rapides remises à niveau couplées avec des stages probatoires dans l'entreprise .
Il faut ajouter , « last but not least » , qu'une politique qui , loin de la démagogie du 88 % d'une classe d'âge au bac, conduirait les jeunes, à l'âge ou ils le désirent, de 14 à 18 ans, vers des métiers leur procurant l'action et l'indépendance dont ils rêvent ferait mécaniquement baisser la violence de ces jeunes à-scolaire qui contrairement à une idée obsessionnellement ressassée par la gauche , ne viennent pas nécessairement d'un milieu « défavorisé’ - les délinquants précoces des beaux quartiers étant en nombre non négligeable - mais qui ont tous en commun la détestation de l'école, le rejet d'une autorité du maitre (de la maitresse le plus souvent ) ressentie comme infantilisante, la hantise de l'immobilité forcée sur des chaises des heures durant , et le peu de gout pour l'activité intellectuelle qui leur parait tellement moins exaltante que ce qu’ils appellent « la vraie vie ».
Qu'ils puissent, s'ils le regrettent un jour -et disent comme Villon " « Mais las... je fuyais l'école comme fait le mauvais garçon »- bénéficier d'une formation à un autre métier , c'est aussi l'un des objectifs que pourrait se fixer l'Université dont le nom même indique qu'elle est ouverte à tous, et à tout âge, mais qui est l'apanage quasi exclusif de jeunes entre 17 et 27 ans ( Je peux en témoigner ; je n'ai eu que trois étudiants de plus de 40 ans en 25 ans d'exercice ...!)
Oui, pour enrayer la spirale destructrice du mal être et du chômage des jeunes français , l'Université doit devenir ( ou redevenir, comme du temps ou le roi donna à monsieur de Sorbon quelques étables du bord de seine à Paris pour y créer son université ? ) le lieu des campus joyeux , des communautés universitaires vivantes et soudées autour du plaisir trop oublié de l'apprentissage non pas pour l'apprentissage , mais pour l'exercice d'un métier .
Catherine ROUVIER est Docteur d’Etat en droit public et science politique de l'Université de Paris Assas.
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