Le complexe d’infériorité civilisationnel allemand (comprendre le nationalisme d’outre Rhin)

Contrairement à ce que beaucoup de Français (souvent ignares en la matière) pensent, en réalité, le nationalisme allemand (qui est d’ailleurs plus un ressentiment historique chronique vis à vis de la France, qu’un nationalisme dans le sens classique du terme), prend sa source non pas dans un complexe de supériorité mais au fond dans un complexe d’infériorité civilisationnel profond et notamment par rapport à la France, complexe qui se manifeste quotidiennement dans les médias d’outre Rhin par des articles toujours plus ou moins anti français (et pas seulement dans la presse populaire. 

Je rappelle que je vis en Allemagne depuis quinze ans). Les Allemands camouflent leur vrai complexe d’infériorité civilisationnel par une fausse arrogance. Ils se sécurisent comme ils peuvent. Au fond l’Allemagne (nation tardive-« verspätete Nation », qui existe seulement depuis 1871) ne pardonne pas à la France d’avoir inventé il y a 230 ans, avec les Lumières et la Révolution, la démocratie moderne et cela à une époque où elle-même n’était encore qu’une mosaïque de principautés où l’on ne parlait souvent même pas la même langue (certes les Lumières françaises sont aussi à la base de la culture de mort actuelle et de la dictature du politiquement correct antichrétien, mais cela est un autre débat).

Quasiment jusqu’à l’épopée napoléonienne, ces principautés germaniques étaient pour la plupart francophiles. Dans les années soixante du XIXe siècle, Bismarck a compris que la seule façon d’unir l’Allemagne, était non seulement une guerre contre la France mais aussi et surtout sa diabolisation en profondeur (Le fameux « Kulturkampf » instauré par Bismarck était dirigé essentiellement contre les catholiques et contre la France). Cet amour de la France, il fallait l’extirper du cœur des Allemands. Si les principautés germaniques (au nombre de 250) étaient restées francophiles, Bismarck n’aurait jamais réussi son coup. L’identité culturelle de l’Allemagne qui est encore fragile actuellement (rappelons que la Bavière avait été achetée par la Prusse), repose sur son émancipation par rapport à la domination culturelle française. Non seulement le nationalisme Allemand, mais l’existence même de l’Allemagne en tant qu’état unifié, par définition, prennent leur source à la fois dans l’imitation (la France étant la “grande nation” millénaire- pensons au traité de Westphalie pour ne citer qu’un exemple…) mais aussi dans la satanisation de la France. De même d’ailleurs qu’une partie de la philosophie nazie prend sa source dans le désir d’imiter les Juifs, peuple élu. Oui, les Allemands sont jaloux et les Allemands imitent et essayent de prendre la place des autres: l’Allemagne voudrait prendre la place de la France en devenant elle-même la «grande nation» (Bismarck) et elle voudrait prendre la place des juifs en devenant elle-même « le peuple élu » (nazisme). C’est vrai, nous sommes ici en pleine schizophrénie, d’où le sentiment d’amour-haine- « Hassliebe » des Allemands à l’endroit de la France. Au fond il n’est pas faux de dire que sans la France il n’y aurait pas eu d’Allemagne unifiée. C’est la nation française (Napoléon) qui a donné l’idée à l’Allemagne de devenir une nation elle aussi (de même d’ailleurs que c’est aussi la colonisation de l’Afrique du Nord qui a permis, par réaction nationaliste réflexive des tribus d’alors, la création de la nation algérienne…). De même que les chefs de tribus algériens ont voulu faire « comme les Français », les Allemands ont aussi voulu “copier” la grande nation.

Bref, pour (enfin) exister, l’Allemagne de Bismarck avait besoin de sataniser la France. Et en effet cela a fonctionné puisque l’unification des principautés germaniques en «Nation Allemande» a pu seulement se réaliser «grâce» à la défaite de la France. Notons que l’exigence de Bismarck que l’Empire allemand soit proclamé (18 janvier 1871) dans la galerie des Glaces du château de Versailles, prouve, en creux, que même en période victoire, Bismarck avait besoin d’une sorte d’assentiment civilisationnel de la France (en voulant humilier la France en imposant la signature à Versailles, sans le savoir, Bismarck reconnait la suprématie française….Pour exister l’Allemagne a éternellement besoin de la France…au point de signer son acte de naissance non pas en Allemagne…mais en France et à Versailles!)

La France, reste essentiellement la nation archétypique pour l’Allemagne. A cela, il convient d’ajouter que non seulement encore aujourd’hui 80% de la constitution Allemande est issue de la constitution française de 1789 (voir le numéro spécial du « Spiegel Geschichte Französische Rervolution ») mais aussi que le système politique actuel de l’Allemagne (système démocratique inventé essentiellement par la France pendant les Lumières) n’a pas été choisi par le peuple Allemand mais imposé par les alliés à la fin de la guerre. Les Allemands sont donc un peuple soumis n’ayant pas choisi son destin. Et cela, ils le savent. C’est une des raisons qui les poussent toujours à vouloir prouver quelque chose. Les Allemands n’en finissent pas d’être empêtrés dans leur vrai complexe d’infériorité civilisationnel qu’ils essayent de camoufler en arrogance. La « douce »’hostilité (au fond il vaudrait mieux parler « d’amour-haine ») que l’Allemagne contemporaine éprouve encore à l’endroit de la France est pour les élites allemandes quelque chose de vital en cela qu’elle permet un sentiment d’appartenance à un seul peuple. Un certains rejet de la France est en quelque sorte le facteur de cohésion interne pour l’Allemagne. Certes cette hostilité est souvent à lire entre les lignes, elle est rarement frontale (après tout, les alliés ont gagné la guerre et les têtes nucléaires se trouvent en France…).

Le paradis sur terre pour l’intelligentsia allemande (je dis ” l’intelligentsia”, car le peuple, lui, est au fond beaucoup plus serein et apaisé que ses élites), serait un monde dans lequel l’Allemagne et la Chine, fortes de leur économie, pourront contre l’héritage français, imposer leur diktat a l’ensemble des nations.

Juste encore un petit mot à l’endroit des naïfs hexagonaux qui voient l’Allemagne comme un modèle économique. Je voudrais leur rappeler qu’une des raisons fondamentale de la santé des exports allemands, restent le dumping salarial. Pensons aux millions de travailleurs exploités qui gagnent moins de 5 euro de l’heure. (Le salaire minimum, Mindestlohn, vient à peine d’être introduit et il est loin d’être respecté). Réussir en exploitant des millions d’êtres humains, au fond, n’a pas de sens. Je vis en Allemagne et je sais de quoi je parle. 25% de la population allemande est considérée comme catégorie “working poor”(c’est vrai, cela n’apparaît pas dans les médias). Selon un rapport de l’OCDE, l’Allemagne est le pays en Europe où le taux de pauvreté infantile est le plus élevé et où l’ascenseur social fonctionne le moins bien. Au fond, quand, au IX siècle les fils de Charlemagne se sont disputés et déchirés le royaume, la France est rapidement devenue une nation (Hugues Capet), tandis que l’Allemagne en se morcelant en une mosaïque de principautés, est passée à côté de son destin civilisationnel. Elle a raté en quelque sorte « le train de l’histoire ».Tout vient de là, et c’est ce que les Allemands n’arrivent toujours pas à digérer. Pour résumer en une phrase, je dirais que l’Allemagne a un vrai complexe d’infériorité qu’elle n’en finit pas d’essayer de sublimer en faux complexe de supériorité. La compréhension de cette idée est essentielle à quiconque veut vraiment connaître l’Allemagne.

Enfin, pour conclure je voudrais rappeler un fait qui me paraît très instructif. Si l’Allemagne est sortie du nucléaire, c’est non pas par « écologisme » (même si les gouvernements allemands se servent de ce prétexte) mais surtout parce que la France est dans le domaine largement en avance. L’Allemagne ne peut pas le tolérer, c’est pourquoi elle essaye de détruire cette industrie « tout court ».

Tout cela ne doit bien évidemment pas nous faire oublier que la culture (ou les cultures?) d’origine germanique a aussi des côtés merveilleux. Pensons aux arts, aux sciences, à la littérature. Mais cela nous le savons déjà. Il est donc inutile d’y revenir. Mieux vaut parler de ce que nous ignorons.
Je ne crois pas dans l’amitié entre les états, qui ne peuvent être, à moins de se renier eux-mêmes, que des monstres froids caractérisés par leur égoïsme. Ils seraient temps que nos dirigeants le comprennent. En revanche, je crois dans l’amitié entre les Français et les Allemands.
Il convient de faire le distinguo.

Jean-Pierre Aussant

Retrouver l'intégralité de l'article en cliquant ici