Vers un sommet de l’union de l’homme et de la femme

En tout homme, en toute femme existent les dimensions de nature et de personne. La nature humaine est de fait imposée par la nature elle-même, inhérente à la nature de l’univers physique, d’où le premier réalisme foncier à recevoir comme tel, sans discuter, est d’aimer sa propre nature comme étant un don gratuit. 

La personne humaine se réalise ensuite par le choix libre des différentes finalités relevant de la personne, présentes dans les sept dimensions constitutives de la personne humaine, en premier lieu sous la responsabilité des parents, puis à la charge de chacun. Aussi est-il nécessaire de revenir sans cesse à cet ordre premier entre nature et personne, qui met en évidence la croissance et la procréation au niveau de la nature, dépassées par les finalités au niveau de la personne. Au niveau de la nature, les finalités sont de trois ordres : la procréation pour la vie végétative ou biologique, la mémoire pour la vie sensible, la recherche de la vérité ordonnée au bien pour la vie spirituelle. Au niveau de la personne, les sept dimensions se succèdent selon cet ordre : l’autonomie existentielle, la recherche de la vérité, la capacité d’aimer, l’homme travailleur capable de transformer l’univers, la vertu de prudence, le corps au service de l’âme et, au terme, la contemplation de Dieu Créateur de l’âme et de l’univers.

La vie apparaît avec la procréation. Puis à la fin, survient la mort. Que dire de la mort aux plans de la nature et de la personne ? Avec la naissance, la mort est déjà inscrite dans la nature humaine. Ce n’est pas la personne qui meurt, c’est sa nature. Dans une culture qui veut supprimer la distinction homme et femme, la mort est relativisée, mais elle s’impose de fait quoiqu’il arrive. L’absence de distinction entre l’âme et le corps dans une perspective mathématique, où la relation est maîtresse, donc purement relativiste, conduit à relativiser la question de la mort. La mort n’est alors plus considérée entre la nature et la personne, mais face au relativisme ambiant, entre l’individu et son esprit sans âme et sans Dieu.

Y a-t-il une différence dans la compréhension de la finalité par l’homme et la femme, une différence dans les finalités de la vie humaine l’un par rapport à l’autre ? Au point de départ, par sa nature, la femme est plus tournée vers l’immanence, l’homme vers la transcendance. La femme est plus intérieure par sa disposition à la procréation, l’homme plus extérieur par son sens logique. L’amitié permet de prendre conscience du dépassement de la nature par la personne dans la complémentarité des amis en tant que personnes. De fait, l’amitié entre hommes ou entre femmes est différente de l’amitié entre un homme et une femme, parce que la nature humaine est toujours présente dans l’amitié. Ne pas différencier cela, c’est s’abstraire de la nature. La nature demeure dans l’amitié, mais elle est dépassée par la finalité dans la personne. Ainsi dans l’amitié, comme dans la contemplation, la question de la finalité reste la même pour l’homme et la femme, mais elle s’exerce de manière différente chez l’un et chez l’autre dans une forme de complémentarité, donc d’une richesse qui est absente dans la similitude, dans la neutralité. Sachant que la femme atteint plus facilement la finalité par la disposition, sachant que l’homme l’atteint par la raison ou la logique, la finalité est saisie de deux manières, d’une façon immanente chez la femme et transcendante chez l’homme. Dans le couple, cela peut entraîner parfois ou même souvent des incompréhensions, à mettre non pas au niveau de la mésentente, mais à l’ordre de la différence des natures dans leur complémentarité.

La philosophie ou la métaphysique est évidemment la même pour l’homme et la femme. Les deux principes de la substance et de l’acte sont également les mêmes, mais la manière de les atteindre diffère selon la forme d’intelligence de l’un et de l’autre, faisant appel à une imagination normalement plus intuitive pour la femme et plus rationnelle pour l’homme. Par son sens de la disposition, l’intelligence de la femme est plus dépendante de l’amour, tandis que celle de l’homme, par son sens de la logique, de la détermination, est plus dépendante de l’efficacité. La femme saisit plus rapidement les exigences de l’amour, dont elle a plus besoin que l’homme. En général, elle semble plus en recherche, plus curieuse intellectuellement que l’homme. Pour cette raison, les femmes sont plus attirées par la philosophie réaliste, par l’intermédiaire de la finalité, les hommes plus attirés par la philosophie idéaliste, donc par le point de vue de la forme. Ce qui les réconcilie, c’est que la philosophie réclame les deux, mais la forme devant être mise au service de la finalité.

Dans un ordre de sagesse, du côté féminin, l’amour prédomine et, du côté masculin, c’est l’intelligence. De cela, vient l’instinct de domination par l’intelligence, donc l’esprit critique chez l’homme, et de même le risque de tout ramener à la matière, à la disposition ou à la fin, donc à l’amour chez la femme. C’est la tentation du formalisme parfois rigide chez l’homme et celle de trop de souplesse dans l’amour chez la femme. « Aime et fais ce que tu veux ». La célèbre expression est belle et vraie, mais elle est réservée à Dieu et non à l’homme ou à la femme.

Abordons maintenant en fin de parcours le sommet des finalités humaines, de la procréation à la contemplation. Et préalablement, peut-on évoquer un lien entre la procréation et la contemplation ? La procréation est la finalité dans l’ordre de la nature. La contemplation de la vérité, la contemplation de Dieu Créateur, finalités dans l’ordre la personne, peut donner sens à la nature humaine par son dépassement au niveau de la personne. La finalité permet ce dépassement, qui doit s’effectuer sans cesse, sans discontinuité, sinon la nature s’impose sur la personne. C’est le poids toujours présent, du fait de l’incarnation de la nature, du sensible sur le spirituel ou du devenir sur l’être. L’absence de finalité renvoie l’homme à sa nature qui n’est alors plus respectée comme telle dans sa dimension qualitative, mais réduite à la quantité et à l’efficacité. Ce repli sur soi aboutit à ne considérer l’autre ou l’univers, le corps, l’homme que d’un point de vue utilitaire, dans l’ordre de l’avoir et non plus de l’être. Bien évidemment, dans une telle situation, l’âme perd sa véritable dimension, jusqu’à disparaître. « Dieu est mort », selon l’expression de Nietzsche.

La contemplation est-elle plus parfaite chez la femme ou chez l’homme ? De fait, il existe bien une complémentarité entre eux à ce niveau de vie spirituelle. Que peuvent-ils s’apporter mutuellement ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir à leurs complémentarités au plan de la nature, puis à l’expérience de l’amitié. En effet, l’amour tient une plus grande place dans la contemplation de la femme que dans la contemplation de l’homme qui est davantage reçue dans l’intelligence. Mais ils sont complémentaires dans l’entraide mutuelle, puisqu’il n’y a pas de contemplation sans amour, ni intelligence, la contemplation réclamant l’union de l’amour et de l’intelligence

La femme est-elle davantage portée à la contemplation que l’homme ? Non, parce que la contemplation est la finalité de la vie humaine, finalité divine au-delà des finalités vitales, commune à l’homme et à la femme. La contemplation relie deux êtres substantiellement, car la finalité est substantielle en Dieu. Et parce qu’elle est substantielle, elle est unique et personnelle. Ce n’est pas la nature, mais la personne qui contemple Dieu. La science mathématique n’aide pas à la contemplation, puisqu’elle regarde les causes secondes en vue d’une efficacité par la relation. De même, elle ne regarde pas la cause première au niveau de l’être, donc au niveau de la substance et de l’acte, puis de la personne. Dans l’ordre de la sagesse, on est en face d’une connaissance affective, aimante, au-delà de la connaissance intellectuelle qui contribue à s’y préparer et à la recevoir. La contemplation demeure personnelle, et non commune ou communautaire, car on ne contemple pas à deux, mais seul, dans la solitude de l’âme unie au corps. Toutefois on peut se disposer à deux à la contemplation, la femme par son sens de la finalité dans l’amour, l’homme par son sens logique de l’ordre. Ensuite le dépassement de la nature dans l’entraide mutuelle s’effectue séparément, individuellement, pour atteindre ce sommet de la finalité de la personne.

Peut-on arriver par soi-même à une pure contemplation ? Dans l’histoire de la philosophie, Plotin, philosophe gréco-romain du IIIe siècle, a pu atteindre une sagesse contemplative, sagesse mettant l’homme en union continue avec le Créateur, au-delà de tout aspect humain. Dans la contemplation de Dieu, l’homme vit de cette attraction unique, exclusive même, sans rejeter l’amitié, mais en la dépassant radicalement et en la finalisant. L’ami devient l’intermédiaire entre son ami, entre l’homme et Dieu. Ainsi est atteint le sommet de l’amitié spirituelle.

Le réalisme profond de la vie consiste à distinguer l’homme et la femme au plan de la nature humaine, et à recevoir la personne dans l’amitié et la contemplation. Aussi l’amitié spirituelle est-elle nécessaire pour permettre à l’homme (générique) d’acquérir sa vraie personnalité, car l’amitié manifeste une finalité essentielle dans la vie humaine. Cette fin reste toutefois intermédiaire ou médiatrice, puisque dépassée par la contemplation. L’amitié assure donc un pont entre la finalité de la nature et la finalité de la personne. Mais, pour tendre vers la perfection au plan humain, elle exige d’être dépassée et perfectionnée par la contemplation. Une amitié spirituelle qui ne serait pas ou plus dépassée par la contemplation se corromprait au fil du temps. Car, par sa finalité divine, qui dépasse et unit la dimension humaine, la contemplation doit être gardienne d’une véritable amitié entre un homme et une femme, comme entre des hommes ou entre des femmes. L’expérience d’une véritable amitié rectifie donc la nature et la personne de chacun des amis, par l’exigence de la nature sur le corps et de la personne sur l’âme, donc sur la finalité. 

Sachant que l’ultime finalité de la personne réside dans la contemplation, l’amitié doit être dépassée par la contemplation et tendre vers elle pour qu’elle puisse s’accomplir pleinement et durablement au niveau de la personne. L’amitié devient alors amicabilis, en tant que c’est l’ami qui conduit son ami à dépasser l’amitié pour la contemplation. L’amitié atteint un sommet, au-delà de toute utilité, jouissance et sensibilité. Cela signifie qu’une véritable amitié qui augmente notre désir de contemplation par un besoin de solitude personnelle marque le signe d’une amitié tendant vers la perfection. Si l’amitié devient un obstacle à la vie contemplative, elle le devient aussi pour découvrir ce pourquoi nous sommes faits, car nous sommes créés par Dieu et faits pour lui. La véritable amitié, l’amitié parfaite demande ce dépassement sensible de l’amitié, dépassement qui n’est pas pas suppression, dans un au-delà de la passion, sans la rejeter, mais en l’ordonnant à un bien supérieur, pour ce bien qu’est la contemplation de Dieu. La personne est ainsi structurée par la sagesse qui conduit à la contemplation, dans le dépassement de l’amitié par la contemplation de Dieu, dans un regard d’amour supérieur à tout amour humain, et par là-même finalisant l’amour humain.

Jean d'Alançon