Que de fois la foi n’a-t-elle pas été jeté en pâture aux chiens et quand on croyait que les chiens la dévoraient, ce furent les chiens qui périrent.
Dans les éblouissantes pages qui concluent « L’homme éternel » (L’homme éternel est sans doute l'un des plus profonds et des plus poétiques parmi les livres qui peuvent amener des incroyants à considérer avec attention et sympathie ce que l'Eglise enseigne sur l'homme et sur Dieu). Chesterton comptabilise cinq occasions (mais il y en eut beaucoup plus évidemment) où l’histoire semblait signer la mort du christianisme ; et autant de fois le christianisme renaquit de ses ruines, cependant que ses ennemis sombraient dans l’oubli de la nuit des temps.
Quand le nominalisme s’érige triomphant sur les ruines du moyen Age, surgit Saint Thomas d’Aquin dans le sillage d’Aristote ; quand l’Islam galope à brides abattues , martyrise, décapite au cimeterre et asservit toute terre que ses hordes piétinent , la clameur de milliers de jeunes gens, fils spirituels de Saint François d’Assise vrombit comme le tonnerre en élevant au ciel une forêt de flèches ; quand le paganisme de la Renaissance s’infiltre jusque dans les structures de l’Eglise et accouche de la désagrégation de la Réforme, surgit Saint Ignace de Loyola , « l’officier du Roi » devenu « pèlerin de Dieu » . Et c’est ainsi, successivement dans tous les crépuscules de l’Histoire, à chaque épisode convulsif, jusqu’à nos jours ; lorsqu’il semble que la foi est sur le point de succomber, quand les hommes qui la professent semblent fatigués, éreintés et boiteux, surgit un mouvement qui leur redonne force d’âme et de combat ; et l’Histoire démontre toujours, que plus irrémédiable s’annonce être la boiterie, plus puissante et fulgurante se révèle être la résurgence.
C’est qu’en réalité comme le dit Chesterton, la foi repose sur un Dieu qui sait parfaitement comment sortir du sépulcre. Toutes les époques ont essayé d’enivrer leurs fils avec du mauvais vin, du vin bouchonné, vinaigré, piqué, dans lequel on a versé du venin, du somnifère ; et à toutes les époques, a fini par jaillir, comme un puissant torrent rougeâtre, la force du vin originel.
Et les hommes qui s’étaient résignés à se saouler avec des vins altérés, après avoir gouté ce vin originel, ont à nouveau prononcer ces paroles de gratitude que prononcèrent les invités aux noces de Cana : « Mais toi tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant ».
Le vin altéré de notre époque s’appelle laïcisme ; et comme tous les vins nocifs, les piquettes insipides qu’on a offert à l’humanité depuis que le monde est monde, il dit à l’homme que Dieu n’existe pas, il dit à l’homme que lui-même est Dieu, il lui promet la libération de toutes les attaches, le Paradis sur terre et un avenir bourré de félicités éternelles ;et l’homme alléché, boit de cette vinasse jusqu’à s’en rendre malade pour découvrir ensuite que toutes ces promesses se muent en une gueule de bois harassantes de nausées et vertiges.
L’homme imbriaque de ce picrate-là, pendant qu’il se laisse placidement trainé par le courant de son temps, regarde à l’entour et découvre au loin une fragile embarcation, ballotée par la houle, fouettée par les embruns, qui cependant s’obstinait à remonter au vent.
Alors il réfléchit : « Peut-être suis-je mort ; et comme je nage à la faveur du courant, je ne m’en serais même pas rendu compte ; qui sait d’ailleurs où je me laisse aller ? Mais pour naviguer comme le fait ce frêle esquif il est nécessaire d’être vivant, car il n’y a que ce qui est vivant qui peut naviguer à contre-courant ».
Et, cependant que l’homme voit passer à côté de lui, trainés par le courant, tous les sophistes et démagogues qui le confondirent avec leurs promesses, il décide d’embarquer sur ce bateau qu’une force surnaturelle pousse en sens contraire. Et une fois à bord, il se sent revivre.
L’Eglise est cette bisquine qui remonte au vent. Le cinglage qu’elle promet est âpre et fatigant à la différence du lascif abandon qu’augure se laisser dériver au gré du courant. Dans sa traversée éprouvante, ce vaisseau est assailli par les pirates, déchiré par des luttes intestines et mutineries, épié par les hauts fonds et guetté par les récifs, secoué par mille coups de tabac, mais le barreur ne change jamais de cap. Et lorsqu’il semble succomber aux assauts de Charybde et Scylla qui le décharnent de mille morsures, il resurgit et prend le vent, laissant loin derrière la meute des forbans et autres écumeurs.
Le barreur et l’équipage ont entendu - qui répondent aux tumultes de leurs âmes tentées par le désespoir et le doute - ces paroles de Jésus :
« Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? ».
Les errances théologiennes ; les trahisons liturgiques ; les vagabondages comportementaux criminels de certains prélats, prêtres et diacres; les tiédeurs des épiscopes ; la soumission de l’Eglise aux lois les plus assassines et aux dictats étatiques les plus totalitaires et destructeurs de la dignité de la personne , sa compromission avec les ennemis séculaires du catholicisme et ses persécuteurs ; les prêtres et fidèles infidèles aux commandements de l’Eglise, les pharisiens et les pisse-bénitiers, les petits arrangements avec le malin, les compromissions avec l’idéologie dominante et les « dictadouces » peuvent inviter l’observateur à imaginer une fois encore que l’agonie de l’Eglise est là sous nos yeux et que ce siècle signera sa mort.
C’est oublier que dans les pires et plus sombres heures de l’Histoire de l’Eglise un Saint nous est envoyé.
« Je ne pourrais abandonner la foi sans tomber dans quelque chose de plus creux que la foi. Je ne pourrais cesser d’être catholique, sauf à devenir quelque chose de plus étroit qu’un catholique. Nous avons quitté les bas-fonds et les lieux desséchés pour l’unique puits profond. La vérité est au fond. »
G.K.Chesterton Le Puits et les Bas-fonds
La vérité est au fond … d’où jaillira – l’on en distingue déjà les frémissements, les premiers parfums- un vin ô combien meilleur, qui distillera dans les gorges sèches de la laïcité la saveur de l’humain pascal: des vies données jusqu’au bout dans la force du Christ.
Thierry Aillet
Ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon
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