source [Rolland Hureaux]
Comment ne pas être frappé du contraste entre les dithyrambes dont beaucoup d’observateurs ont couvert l’arrivée au pouvoir de Macron et de sa nouvelle majorité, qualifiés d’événement historique, de rupture majeure dans l’histoire de France, comparée même à 1789, avec le caractère insipide du long discours que le nouveau président a infligé aux chambres réunies en Congrès à Versailles, le 3 juillet dernier? Le discours de politique générale d’Édouard Philippe, nouveau premier ministre, devant l’Assemblé nationale le lendemain, quoique plus précis, était à l’avenant, dans la ligne du programme électoral de Macron.
Sans vouloir faire injure à quiconque, le discours du président faisait penser à une déclaration de la Conférence des évêques de France : beaucoup de bons sentiments, rien que du politiquement correct et pas un mot qui tranche avec la langue de bois habituelle dans nos milieux dirigeants, n’oubliant ni le numérique ni les handicapés[1].
Nos évêques n’auraient cependant pas fait preuve de ce cynisme froid qui inspire, entre autres, les projets de réforme de la justice. Macron invoque haut et fort la transparence : quelle ironie de la part de quelqu’un qui n’a jamais fait la lumière sur ses opacités financières et dont le Premier ministre, alors député, avait refusé, en violation de la loi, de déclarer son patrimoine à la Haute-autorité pour la transparence de la vie publique !
Propos encore plus étonnant : « J’appelle à la retenue, à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d’innocence, avec cette chasse à l’homme où parfois les réputations sont détruites, et où la reconnaissance de l’innocence, des mois, des années plus tard, ne fait pas le dixième du bruit qu’avait fait la mise en accusation initiale. Cette frénésie est indigne de nous et des principes de la République. » Le président veut aussi « assurer l’indépendance pleine et entière de la justice » ; « Je souhaite que nous accomplissions enfin cette séparation de l’exécutif et du judiciaire en renforçant le rôle du Conseil supérieur de la magistrature, et en limitant l’intervention de l’exécutif dans les nominations des magistrats du parquet. »
Macron aurait-il déjà oublié qu’il n’a été élu qu’en éliminant son principal concurrent Fillon par une interférence caractérisée de la justice dans le processus électoral, dont il est sans doute, avec ses amis, le principal instigateur, en tous les cas le principal bénéficiaire, provenant elle-même d’une ingérence du pouvoir exécutif au travers du parquet financier, cela en contradiction avec les principes les plus sacrés de la République[2]. L’affaire Fillon a été en outre démesurément grossie par une presse qui ne chasse plus qu’en meute au mépris du pluralisme nécessaire à la démocratie. Si les grands principes proclamés par Macron à Versailles avaient été appliqués un an plus tôt, il n’aurait probablement pas été élu.
Mais laissons cela : après tout, il y a toujours eu de l’hypocrisie en tout pouvoir ; on passe dessus quand elle accompagne un grand dessein.
Hélas, quand Macron parle d’une « transformation résolue et profonde, tranchant avec les années immobiles ou avec les années agitées », on cherche le commencement de ce que pourrait être cette transformation. « Nos concitoyens ont fait le choix d’un pays qui se remette en marche. »
En marche vers quoi ? C’est toute la question.
Il invoque la « cause de l’homme », le « progressisme » et, très étonnant de la part de celui qui est apparu comme le champion des forces nationales ou internationales les plus désireuses de dépasser le cadre hexagonal, « la souveraineté de la nation » (il évite l’adjectif national!), définie comme le fait de « pouvoir disposer de soi-même, malgré les contraintes et les dérèglements du monde ».
Des propositions institutionnelles hors de propos
Les seules propositions que fait Macron dans son discours de politique générale sont d’ordre institutionnel, comme si celles-là seules étaient à son niveau : beaucoup doutent cependant que les problèmes les plus graves de la France d’aujourd’hui aient un caractère institutionnel. Il est ainsi prévu de réduire le nombre de parlementaires : qui peut croire qu’il y a là un enjeu essentiel ? Est-ce pour faire des économies ? Non, puisque chacun aura plus de moyens.
Cette proposition est d’ailleurs fort peu en cohérence avec une affirmation ultérieure : « En faisant progressivement du mandat électif un statut, nous avons effacé ce qui en est la nature profonde : le lien avec le citoyen. » Avec plus de moyens, le caractère statutaire du parlementaire ne sera-t-il pas renforcé ? Avec un député pour 200 000 habitants au lieu d’un pour 100 000, le rapprochera-t-on du citoyen ? Surtout s’il n’a plus aucun mandat local, ni enveloppe pour aider les communes.
Pour le reste, qui ne serait d’accord avec la formule « Sachons mettre un terme à la prolifération législative ». Mais il n’est pas premier à le dire.
Toujours en matière de justice, la suppression projetée de la Cour de justice de la République, irait à l’encontre d’une vieille tradition républicaine, sans faire avancer quoi que ce soit. Le chef de l’État, restant, lui, irresponsable et inviolable, sera désormais le seul à bénéficier d’un régime d’exception : Macroprésident ! La réduction à dix du nombre de collaborateurs des cabinets ministériels va dans le même sens. Loin d’être révolutionnaires, ces mesures, comme toutes celles qui se trouvent ans le projet de loi « rétablissant la confiance dans l’action publique », sont proposées par les uns et par les autres depuis trente ans. Gageons que loin de rétablir la confiance, elles auront l’effet inverse , ne serait-ce que parce qu’ elles confortent l’opinion dans l’idée fort peu républicaine que le monde politique est un lieu d’abus , alors que le vrai problème est ailleurs : c’est le contenu des politiques menées, la réduction au fil des ans des pouvoirs des assemblées, au bénéfice de Bruxelles mais aussi de multiples instances juridictionnelles, qui font que , comme la noblesse à la fin de l’Ancien Régime, les élus nationaux donnent le sentiment de ne plus servir à rien. Par cette loi démagogique, qui jette leur tête au peuple, on leur demande de consentir à leur propre abaissement et même de l’aggraver.
En matière d’institutions locales, sujet abordé de manière très vague, le sentier battu se fait boulevard. Est invoqué un autre poncif : la dénonciation du centralisme : « La centralisation jacobine traduit trop souvent la peur élémentaire de perdre une part de son pouvoir. Conjurons cette peur. Osons expérimenter et déconcentrer, c’est indispensable pour les territoires ruraux comme pour les quartiers difficiles. Osons conclure avec nos territoires de vrais pactes girondins, fondés sur la confiance et sur la responsabilité. Nombre de nos territoires l’attendent. » Mais que fait-on d’autre depuis quarante ans ? Macron ignore-il que la France est devenue un des pays les plus décentralisés d’Europe[3] ? Même quand Raffarin en avait fait, faute d’autre, la grande idée de son gouvernement, la décentralisation, venant immédiatement après le 21 avril 2002, apparaissait déjà dépassée et en tous cas très peu à la mesure des démons que l’on voulait exorciser.
Sur ce chapitre, le premier ministre va à peine plus loin dans le détail : il propose seulement d’encourager les « communes nouvelles », dispositif destiné à forcer la réduction (bien inutile et généralement coûteuse) du nombre de communes et évoque le regroupement des départements. Il est question de réunir une conférence des territoires, gadget assez symptomatique de ceux qui n’ont pas d’idées : « je ne sais pas quoi faire, concertons-nous ». Comme en matière agricole.
Philippe dénonce aussi la supposée inertie des collectivités locales : « Les jardins à la française ont leur charme mais ils se prêtent assez peu au foisonnement d'initiatives dont le pays a besoin et auxquels les collectivités sont prêtes. Comme l'a réaffirmé le président de la République hier, nous voulons donner aux libertés locales toutes leurs forces. » On ne sait visiblement pas en haut lieu que nos collectivités ne sont pas avares de projets coûteux, bien au contraire, et qu’il ne faut pas chercher ailleurs la source de ces centaines de milliers de fonctionnaires que nous avons en trop.
Seule bonne idée sur ce chapitre : « Pourquoi ne pas permettre non plus sur la base du volontariat à certaines collectivités d'exercer des compétences pour le compte d'un autre niveau comme par délégation. » Que n’a-t-on pas pensé plus tôt à cette mesure technique ?
Autre poncif assez éculé : « Nous devons substituer à l’idée d’aide sociale, à la charité publique, aux dispositifs parcellaires, une vraie politique de l’inclusion de tous. » Lao Tseu ne disait-il pas : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours » ? C’était déjà la grande idée du RMI devenu RSA[4] spécialement à cet effet et de la plupart des politiques sociales instaurées depuis trente ans. Nihil novo subi sole ! Au lieu de ressasser toujours les mêmes bonnes intentions, ne vaudrait-il pas mieux chercher à comprendre pourquoi les politiques qui s’en inspiraient ont échoué et nous dire en quoi on fera mieux cette fois ? Mais le nouveau président est sans doute trop au-dessus des contingences pour s’interroger sur ce genre de sujet !
Apothéose de l’énarchie
Il y a deux sortes de discours de premier ministre : ceux qui ont du souffle et témoignent d’une pensée structurée sur l’avenir de la France, par exemple ceux de Pierre Bérégovoy en 1992 ou d’Édouard Balladur en 1993 et ceux qui sont l’alignement hâtif de fiches produites par les différents ministères encadrés de quelques idées générales type épreuve de culture générale de l’ENA. Le discours de Philippe est clairement de la deuxième catégorie.
Il ne manque d’ailleurs pas d’invoquer les mânes de Richard Descoings, ancien directeur de l’Institut d’études politiques de Paris (dont son épouse est le secrétaire général), qui fut le grand prêtre de l’idéologie politiquement correcte laquelle s’impose depuis vingt ans à la haute administration et aux médias.
Invoquant les prédécesseurs dont il se sent le plus proche, il cite trois inspecteurs des finances : Chaban-Delmas, Rocard et Juppé ! Lui n’en est certes pas mais Macron si. Hommage à son supérieur ou aux Gracques[5] qui ont porté l’aventure Macron et qui le sont presque tous ? Ou retour à l’illusion « saint-simonienne[6] » d’un gouvernement technocratique transcendant les clivages partisans ? Le rejet de la classe politique par les Français, tel qu’il s’est exprimé dans l’élection de Macron et les législatives qui ont suivi, comportait aussi, n’en doutons pas, celui de l’énarchie. Quelle ironie de voir émerger de la supposée « rupture » un gouvernement où cette caste se trouve plus puissante que jamais et un premier ministre faisant l’éloge, parmi ses prédécesseurs, de ceux-là seuls qui viennent de l’Inspection de finances, fine fleur de l’énarchie !
Pour le reste, le discours du premier ministre est à l’image du programme de Macron : on y cherche en vain de véritable solution, ou une volonté de prendre à bras le corps aucun des grands problèmes que rencontrent les Français.
Justice : « J’insisterai en particulier sur la réforme de la Justice. Dans un État de droit rien n’est possible sans une justice forte. Si elle est lente, lointaine ou inégalitaire, ou même seulement trop complexe, la confiance se trouve fragilisée. » Cela non plus n’est pas nouveau. Les remèdes : indépendance des magistrats, déjà évoquée ; une loi de programmation qui engagera un vaste mouvement de dématérialisation, de simplification et de réorganisation". Les peines (lesquelles ?) seront renforcées mais d’autres allégées. Seul élément concret : « La construction de 15 000 places de prison est un engagement fort ». Peut-être fallait-il en effet préciser qu’il est fort.
Pression fiscale : à deux reprises Macron s’est inquiété à Versailles du malaise des classes moyennes. Il s’apprête cependant à concentrer un peu plus l’impôt sur elles, en supprimer l’ISF, pour les fortunes financières seulement, - et la taxe d’habitation, la seule que paye toute la population , en se préparant, pour compenser, à alourdir la taxe foncière.
Éducation nationale : rien de précis hors de la simplification du baccalauréat, une idée qui était certes elle aussi depuis longtemps dans le cartons du ministère et se trouvait dans le programme de Fillon. Après concertation, encore. Pas de quoi fouetter un chat ! Trois épreuves au lieu de cinq au bac : c’est bien peu face à l’immense désastre de notre système éducatif. Le ministre Jean-Michel Blanquer, en ouvrant à nouveau la porte aux redoublements et au latin fait preuve de plus d’audace, sans aller non plus au fond des choses.
Aide sociale : revalorisation de l'allocation adulte handicapé et du minimum vieillesse, « renforcement de l’action en matière de lutte contre la pauvreté » : quelle action ? L’immense frustration qui s’exprime à la base, même parmi les populations immigrées, face à un système jugé injuste, désordonné et dispendieux, aggravant dans bien des cas les maux auxquels il est supposé porter remède, semble ignorée.
« L’inclusion des personnes en situation de handicap constituera une des priorités du quinquennat. » « L'égalité entre les femmes et les hommes sera une cause nationale. » Là aussi nous nous situons plus dans la continuité que dans la rupture, plus dans le général que dans le précis.
La question de la natalité et de la famille avait été superbement ignorée par le candidat, puis le président Macron, dont les dernières déclarations au sujet des Africains, blessantes pour eux et du niveau du café du Commerce, montrent qu’il ne sait rien du sujet. La natalité est pourtant le principal problème de la France et de l’Europe. La fécondité vient de repartir à la baisse en 2015, surtout, croit-on savoir, chez les familles autochtones dont la situation s’est alignée sur le reste du continent. Sans beaucoup de conviction, Philippe s’est cru obligé d’en dire un mot : « la baisse de la natalité de son côté, réelle depuis deux ans, doit nous alerter. » « Nous cesserons donc de considérer les familles comme de simples variables d'ajustement fiscal (ce qu’avait fait le ministre Macron en mettant fin à l’universalité des prestations familiales dès son arrivée à Bercy en 1994). La ministre de la Santé et des Solidarités présentera des mesures améliorant le congé parental. » Sans plus de précision.
Restent les sujets régaliens : migration, terrorisme, sécurité, défense où l’attente de l’opinion est, on le sait, très forte. Là aussi on en reste aux généralités
Migrations : « Le courage c'est aussi de regarder en face le défi migratoire ». « Accueillir, oui, bien sûr, aider, oui, évidemment, subir, non, jamais. » Mais comment ? Les principales mesures envisagées pour les contrôler ne sont envisagées qu’au niveau de l’Europe. Que pèseront-elles face à la volonté exprimée par le président de faciliter l’accueil des réfugiés ?
Terrorisme : « Nous lutterons contre le terrorisme avec la plus extrême dureté sans renier ce que nous sommes, un État de droit ».
Police : « Des procédures simplifiées afin que les forces de sécurité soient libérées de la complexité administrative, établir une véritable police de sécurité au quotidien, c'est aussi une condition pour rétablir la confiance. »
En matière militaire, le Premier ministre a réitéré sa promesse de campagne de porter les dépenses militaires à 2 % du PIB – un objectif fixé par l’OTAN que Macron se doit de respecter. Mais il commence par une coupe de près de 850 millions d’euros au budget des armées, qui a entraîné la démission retentissante du chef d’état-major, le général Pierre de Villiers, dont l’impact politique témoigne de la fragilité du nouveau président. Le plan d’économies du début du septennat porte à 80 % sur les ministères régaliens[7].
Une économie précontrainte, une réforme du marché du travail encore imprécise
Mais le problème principal, celui sur lequel tous les gouvernements sont attendus depuis plus de vingt ans, c’est le chômage. Il n’en est que peu question dans les deux discours inauguraux.
Depuis lors, les premières annonces relatives à l‘Ordonnance travail qui viennent d’être rendues publiques pourraient éclairer notre lanterne. L’ordonnance s’inscrit dans la ligne des lois Macron et El Khomri, celle d’une politique de l’offre visant à accroître la flexibilité du travail et éventuellement à en limiter le coût. Ce serait la seule réforme qui importe vraiment aux mentors qui ont soutenu Macron dans sa campagne et celle qu’avant toute autre, attend Bruxelles. Elle contient certes une bonne mesure : le plafonnement des indemnités que les conseils de prudhommes pourront verser en cas de licenciements abusif (que n’y a-t-on pensé plus tôt). Mais sur des points essentiels, comme le devenir les 35 heures, on reste encore dans l’incertitude.
Le bon accueil fait à cette annonce pose une question : les réformes ne sont-elles pas affaire, elles aussi, de communication. Échappent-elles vraiment la logique de la « société de spectacle » ? Une bonne réforme ne serait pas une réforme qui va au fond des choses mais une réforme menée par quelqu’un qui maitrise assez les réseaux et les techniques de communication pour faire croire qu’elle est bonne. Y compris vis-à-vis d’interlocuteurs plus crédules qu’on ne croit comme le Medef ou la commission de Bruxelles.
Emmanuel Macron l’a dit et redit : il ne met pas en doute l’Europe et l’euro. Bien au contraire, il se propose de « tout faire pour réconcilier les Français avec l’Union européenne » : vaste programme ! Il manœuvre donc en matière économique dans le cadre précontraint de ses deux prédécesseurs, Sarkozy et Hollande, c’est à dire avec une monnaie lourdement surévaluée - par rapport aux coûts français - qui rend les prix français peu compétitifs et qui fait que la généreuse création monétaire de la Banque centrale européenne (dite quantitative easing) profite peu à la France. Le résultat : un chômage en augmentation, un déficit grandissant de la balance commerciale, un peu partout des fermetures d’usines ou la disparition de fermes. Autant dire que le quinquennat Macron sera la continuation du quinquennat Hollande. Comme le dit Emmanuel Todd : « Réformer, flexibiliser, accepter la gestion allemande de la monnaie… une direction qui amène inévitablement à un ou deux points de chômage supplémentaires en fin de quinquennat. Pour Macron, poursuivre dans cette voie, c’est accepter de disparaître politiquement à 40 ans. Une hollandisation éclair. »[8]
Beaucoup d’experts, et des plus sérieux[9], pensent que la seule solution est la sortie de l’euro – de la France… ou de l’Allemagne. Faute de l’envisager, Macron est condamné à continuer la politique à la petite semaine de Hollande, à laquelle il a été très étroitement associé : contrôler – mal - les déficits publics, principalement par des hausses d’impôts touchant les classes moyennes, se désoler de la mollesse du taux de croissance, toujours en-deçà des prévisions, assister passivement au lent décrochage de l’économie française en ressassant qu’elle se relèvera demain.
L’autre solution pourrait être une action déterminée sur les coûts, par l’instauration de la TVA sociale par exemple, mais on n’en prend pas le chemin puisque le nouveau gouvernement préfère financer les déficits publics par la CSG, non remboursable aux exportateurs, que par la TVA qui, elle, l’est. Il reste ce que préconisent tous les think tanks ultralibéraux : une dérégulation drastique du marché du travail avec baisse des salaires, assortie de celle des dépenses publiques, en particulier sociales, soit la politique de l’offre telle qu’elle est imposée par le Commission européenne aux pays méditerranéens ; Macron va dans ce sens mais de manière beaucoup trop molle pour que cela ait de l’effet. Malgré une large majorité qui lui donne apparemment les mains libres, il n’est pas sûr qu’il ait assez de légitimité pour passer en force sur ce chapitre. Aucune coupe sérieuse n’est ainsi envisagée dans les dépenses publiques (hors celles que nous avons indiquées). Et même si une politique énergique de cette sorte était engagée, le résultat n’en serait nullement assuré, les mesures d’austérité ayant eu presque partout un effet récessif.
En marche à beau apparaître comme le parti des « start-up », supposé moderne et ouvert aux idées nouvelles, les logiques macroéconomiques finissent toujours par prévaloir.
Politiquement correct : vers une démocratie illibérale ?
Inquiétante est une disposition envisagée dans le projet d’ordonnance travail – mais non rendue publique à ce jour - selon laquelle le principe légitime du plafonnement des indemnités de licenciement ne s’appliquerait pas en cas de discrimination.
Quelle discrimination ? On le devine : les femmes, les homosexuels, les non-Blancs, les musulmans etc. La conséquence immédiate sera que, en cas de licencient collectif, les premiers touchés seront ceux qu’Anne Lauvergeon[10] appelait les « mâles blancs ». Au motif de lutter contre la discrimination, on instaure la discrimination.
L’effet de cette loi pourrait ainsi être d’aggraver la division du peuple en communautés et catégories[11]. Loin d’alléger l’atmosphère au nom d’une saine égalité républicaine, elle approfondira les clivages communautaires - et naturellement les rancœurs qui vont avec, dont on devine les conséquences électorales.
Ainsi, cette loi prétendue libérale, sur ce sujet au moins, n’est donc pas si libérale qu’on dit. Elle ne fera que développer les frustrations d’une partie de la population. Macron a été porteur, non seulement d’un parfum de libéralisme mais d’un projet de « politiquement correct » renforcé : ouverture à l’immigration, intégrisme écologique, antiracisme, discrimination positive à tous les étages etc., ce qui lui a valu la sympathie de la presse et le vote de beaucoup de musulmans. Il se montre ainsi le bon élève de la fondation Terra Nova qui prévoyait la formation d’un nouveau bloc de gauche s’appuyant sur les minorités, raciales, religieuses et sexuelles, comme le parti démocrate américain dans sa version Obama-Clinton. Macron qui se plait à dénoncer les « démocraties illibérales » laisse craindre, lui aussi, un recul des libertés.
Est-ce au chapitre du communautarisme qu’il faut inscrire le projet d’ouvrir la PMA aux femmes seules ou lesbiennes ? En partie au moins.
On peut même craindre le pire : la nouvelle assemblée est, parait-il, largement renouvelée et plus diverse. Nous pensons qu’une des raisons pour lesquelles les politiques menées depuis vingt ans suscitent l’ire des français, c’est l’incompétence des décideurs. Que faut-il attendre de la nouvelle présidente de la commission de lois, issue d’En marche qui demande « quand seront votés les décrets[12] ? ».
En fait rien ne laisse espérer un commencement de solution aux problèmes qui ont provoqué le grand ras-le-bol des Français et qui les a amenés à s’imaginer qu’avec un homme jeune et des équipes nouvelles et un air de modernisme qui semblait de bon aloi, les choses iraient mieux. Il est tragique de penser que nos concitoyens, dont un tiers a voté pour le Font national, ce qu’on semble perdre de vue, et qui attendaient une meilleure prise en compte de leurs préoccupations, vont très vite se trouver confrontés à une équipe incompétente qui semble, sur son nuage, inconsciente de la gravité de problèmes qui se posent à eux. Avec un gouvernement qui, loin d’apporter une solution originale à leurs problèmes, est entièrement conditionné par les idéologies qui en sont la source, et, de ce fait, ne propose sur à peu près tous les sujets, que la continuation et l’aggravation des politiques menées depuis trente ans et qui les ont tant exaspérés.
La société du spectacle
Ainsi pourrait trouver son illustration, la formule de Guy Debord : « Le société du spectacle dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière »[13] .En d’autres termes, le spectacle politique a besoin de réformes permanentes mais ces réformes ne peuvent, dans les domaines particuliers où elles s’appliquent, qu’empirer l’état des choses.
Ce que Guy Debord appelait la société du spectacle (ne dirions-nous pas de communication ?) apparaissait à cet auteur marxiste comme le stade suprême du capitalisme, le moment où, cessant de gérer les choses, il ne gère plus que les représentations. N’est-ce pas ce à quoi nous assistons ?
La campagne de Macron qui ne voulait pas, au début, entendre parler de programme, jusqu’à ce qu’il en produise un, bien léger, sur la fin, appuyée par les méthodes les plus modernes de communication politique (à côté desquelles les réunions de ses concurrents paraissaient bien ringardes), fut-elle autre chose qu’un grand spectacle au sens debordien ? Que penser par exemple de ce mot d’ordre : « Pensons printemps, mes amis, pensons printemps ! ».
L’idéologie
Mais il se pourrait que pour comprendre, dans toute son ampleur l’illusion actuelle, il faille aller plus loin que Debord et faire appel à la notion d’idéologie.
L’idéologie peut être d’abord définie, comme l’ont fait Hannah Arendt ou Jean Baechler[14], comme une politique menée à partir d’une analyse simplifiée du réel (exemples : « la propriété, c’est le vol », il faut donc la supprimer : « les nations, c’est la guerre », il faut donc les abolir ; « l’histoire est tout entière déterminée par les races » ; « la prise en compte des sexes, c’est l’inégalité »). L’idéologie est aussi généralement l’imitation fallacieuse d’une démarche scientifique : ainsi la méthode globale de l’apprentissage de la lecture ou la théorie du genre.
Quoique le temps des grandes idéologies comme le marxisme-léninisme semble dépassé, des idéologies sectorielles ont proliféré dans presque tous les domaines de l’action publique : économie, culture, éducation, justice, environnement ; les désigner seulement comme libérales serait réducteur car elles sont loin d’être cohérentes entre elles[15].
Il reste que, globale comme le communisme ou sectorielle comme la méthode globale, l’idéologie se reconnait à ce qu’elle est peu opératoire : elle a produit dans un cas un système économique stérile, dans l’autre la montée de l’illettrisme. Fondée sur la simplification, l’idéologie ne peut épouser la complexité du réel pour aboutir à des solutions opérationnelles. Non seulement, elle est inefficace mais elle a des effets pervers car elle heurte une réalité à laquelle elle n’est pas adaptée. L’idéologie porte avec elle ce que Hayek appelait la « loi des effets contraires aux buts poursuivis ». C’est une des raisons du rejet populaire qu’elle rencontre très vite.
L’idéologie rejoint la société du spectacle en cela que l’une et l’autre se fondent sur une simplification des choses, une vision schématique du réel ayant plus de chances d’atteindre les masses, d’alimenter le spectacle politique qu’une approche complexe ou nuancée. A ce spectacle, il faut des bons et des méchants : la simplification conduit bien souvent au manichéisme et à une intolérance d’autant plus véhémente que l’idéologue sait au fond de lui qu’il a tort ou qu’il se heurte à la résistance des peuples, disqualifiée comme « populisme ».
Le second grand caractère d’idéologie est qu’elle porte un projet fondé sur l’idée du progrès (à l’image du progrès scientifique qui, lui, est réel) et donc d’un sens de l’histoire, d’un espoir eschatologique, corollaire d’une péremption radicale du passé : ce n’est pas non plus contradictoire avec la pensée de Guy Debord pour qui « la société du spectacle repose sur la destruction de l’histoire ». L’idée d’une marche à sens unique de l’histoire fonde celle de modernité : est moderne celui qui est dans le bon sens, est réactionnaire celui qui va contre, une démarche qui abolit tout débat puisque la question n’est plus « où est le bien commun ? » mais « qu’est-ce qui est moderne et qu’est ce qui est antimoderne ? » Elle n‘a de réponse que terroriste.
On comprendra qu’il ne soit, au moins en France, guère possible de remporter une élection sans avoir l’air moderne, sans se poser dans le sens de l’histoire. Fillon, après d’autres, a expérimenté ce qu’un certain air vieillot dans un discours de vérité[16] pouvait avoir de disqualifiant. Cela, non seulement parce que dans une société toute imprégnée de l’idée du progrès, la modernité est une valeur positive mais aussi parce que l’univers médiatique dont le pouvoir prescripteur est considérable, est particulièrement sensible à la modernité avec tout ce qu’elle comporte d’illusion. Toute idéologie visant l’unanimité, on peut dire que la presse se fait d’autant plus monolithique qu’elle est idéologique sans que soit nécessaire aucun ministère de la Vérité.
Ce qui, à un moment donné, détermine ce qui est moderne (en dehors de la démarche scientifique et technique au sens strict), c’est l’idéologie : elle est la force de frappe qui impose une idée, un programme, un homme comme plus moderne que ses adversaires. Pour avoir l’air moderne, il faut être idéologue, ou « politiquement correct », autre nom de la modernité idéologique.
Cette modernité idéologique, il faut le préciser, n’a rien à voir avec la vraie modernité : Macron, pur produit du Sciences po du tout début du XXIe siècle (ultralibéralisme, non-discrimination, mondialisme, anglomanie etc.) a en réalité dix ou quinze ans de retard : il veut par exemple relancer le processus européen auquel personne ne croit plus. Il est néolibéral comme d’autres étaient néo-gothiques. Mais étant idéologue, jeune et beau comme un ange saint-sulpicien , il a forcément l’air plus moderne que ses adversaires. Cela au risque de mettre la France en porte à faux par rapport au vrai mouvement de l’histoire : un peu comme le programme commun de 1981 avait mis notre pays en décalage avec un monde qui virait déjà au libéralisme intégral.
Or l’idéologie, on ne saurait trop y insister, est inapte à résoudre les problèmes de la France, comme des autres pays,
D’abord parce que c’est elle qui les a généralement créés : nous avons évoqué les dysfonctionnements de l’éducation nationale ; on pourrait évoquer aussi bien ceux de la justice ou encore les tensions internes croissantes qu’une politique idéologique de l’immigration, inspirée par le mondialisme, a créés. Y a-t-il un seul problème de la société française qui ne résulte des politiques menées depuis 20,30 ou 40 ans, généralement idéologiques, et non d’une évolution endogène de la société ? Ce n’est pas sûr.
Ensuite parce que, ayant créé ces problèmes, l’idéologie ne saurait, conformément à la prophétie de Debord, que les aggraver. Il est significatif que les 4/5 des programmes des candidats proviennent des bureaux des différents ministères, chacun porteur d’une idéologie particulière. Ces ministères, prisonniers d’une certaine culture, ne proposeront rien d’autre que de pousser les choses un peu plus loin dans le sens de leur idéologie propre. Comment demander à ceux qui sont la cause du problème d’y porter remède ?
En bref, il faut avoir l’air moderne pour être élu. Pour avoir l’air moderne, il faut être idéologue. Les idéologies sont la principale raison des dysfonctionnements de la société. Celui qui s’en inspire et qui est donc le plus apte à être élu, est ainsi, par définition, le moins apte à résoudre les problèmes aux origines du mécontentement populaire. Tel est le paradoxe d’une démocratie de spectacle dans un univers de plus en plus idéologisé. Nos compatriotes ne tarderont pas à s’en apercevoir.
Roland HUREAUX
[1] Les déclarations de Macron et Philippe n’ont même pas l’excuse d’être un document collectif où les angles sont nécessairement arrondis.
[2] L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs (n’est pas) déterminée, n'a point de Constitution. ». L’article 13 du titre II de la loi des 16 et 24 août 1790, toujours en vigueur, dispose que : « Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratif », interdit repris par la loi du 16 fructidor an III
La loi du 31 mars 1914 (article 110 du Code électoral) interdit la poursuite pour fait de corruption de candidats en campagne.
La loi no 82-213 du 2 mars 1982 interdit aux Chambres régionales de comptes de rendre publiques les conclusions de leurs enquêtes dans les six mois précédant une élection.
[3] « La France apparaît comme le pays le plus décentralisé d’Europe, celui où le contrôle administratif est le plus faible, où la marge de manœuvre en matière d’acquisition et d’utilisation de ressources financières est la plus large et celui où les élus ont la plus grande liberté pour exercer les compétences locales » (Jacques Ziller, 1996)
[4] RMI : Revenu minimum d’insertion ; RSA : revenu de solidarité active
[5] Club politique de la gauche libérale, où les membres de l’Inspection des finances, souvent chrétiens, sont nombreux. Il a promu activement la candidature de Macron.
[6] Nous nous référons bien sûr à la Fondation Saint-Simon
[7] Parmi eux, les affaires étrangères ; nous n’évoquerons pas la diplomatie de Macron qui semble éveiller quelques promesses mais manque encore de clarté.
[8] Libération, 6 septembre 2017
[9] Plusieurs Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, Paul Krugman, Amartya Sen, comme l’ancien Prix Nobel d'économie français, aujourd'hui décédé, Maurice Allais, sans recommander tous une sortie immédiate, pensent que l’euro est responsable de la stagnation.
[10] Ancienne présidente d’Areva, dont le parquet financier tente de suspendre les poursuites engagées à son encontre http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/areva-le-proces-uramin-retarde-par-une-bataille-judiciaire-1221515.html.
[11] Déjà la loi El Khomri, faux nez d’une loi Macron bis, ouvrait la porte entre les lignes à la pratique religieuse en entreprise, avec là aussi des risques de tension.
[12] Marianne, 19 juillet 2017
[13] Guy Debord, La société du spectacle 1967 et Commentaires sur la société du spectacle, Gallimard 1988
[14] « L’utopie (autre nom de l’idéologie) se caractérise par la volonté d’organiser les activités sociales jusque dans le détail à partir d’un principe unique » (Jean Baechler, Qu’est-ce que l’idéologie ? Idées-Gallimard, 1976, page 95)
[15] Ainsi le ministère de la Santé pousse à la fois à la fonctionnarisation des médecins et la libéralisation des pharmacies.
[16] Ce disant, nous n’approuvons pas tout le programme de François Fillon, déficient à certains égards mais certainement pas démagogique.