Le délégué général de la Fondation de service politique, Philippe de Saint-Germain (photo), a remis au Palais de l'Elysée, mercredi 15 décembre, une lettre ouverte à Jacques Chirac signée par 40.
699 Français. Cette lettre demande au chef de l'Etat de ne pas engager les Français dans le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Pour les signataires, cette perspective constituerait une trahison de l'identité européenne, et par conséquent une menace pour la politique commune.
Les signataires regrettent le mépris avec lequel est traitée la dimension culturelle de l'identité européenne, et sa nécessité pour le bon fonctionnement de la démocratie. Pas une seule fois, lors de son entretien télévisé du 15 décembre, Jacques Chirac n'a répondu à la question "qu'est-ce que l'Europe ?" à propos de la candidature turque. Pour le président de la République, l'Europe est un "intérêt" : "La question qui se pose aujourd'hui, se demande le Président, ce n'est pas de savoir si [la Turquie] est d'Asie ou d'Europe. La question qui se pose aujourd'hui, c'est de savoir quel est l'intérêt de l'Europe."
Pis, le Président récuse le lien entre politique et culture : c'est une "une réflexion qui conduit forcément au manque de respect des autres", c'est un manque de "dignité". S'interroger sur la culture ou la religion des Turcs (partagée par 92 % d'entre eux, pratiquée par 72 %) est donc un "manque de respect". Les Turcs apprécieront.
En attendant, les Français auront appris que pour Jacques Chirac, la Turquie ne pourra jamais accepter un échec à l'issue du processus des négociations d'adhésion, (il faudra donc leur céder ?), mais que ce sont les Français qui décideront... "en toute hypothèse". Comprenne qui pourra.
Pour l'heure, les chefs d'État et de gouvernement européens ont décidé, le 16 décembre, de proposer à la Turquie d'ouvrir les négociations d'adhésion à l'Union européenne (UE) le 3 octobre 2005. La condition préalable de la reconnaissance de Chypre a fait grincer les dents. Les Turcs maintiennent leur opposition, et on les comprend quand la simple logique de la reconnaissance voudrait qu'ils cessassent l'occupation militaire de la petite république voisine.
Quelle que soient les termes de l'accord obtenu sur l'ouverture du processus (l'UE a finalement cédé à M. Erdogan -Ndlr), l'actualité politique pèsera sur le cours des discussions avec Ankara.
Déjà, le poids de l'opinion publique française et des citoyens européens, largement hostiles à l'entrée de la Turquie, a permis de relancer la question de l'identité européenne, après le refus de la reconaissance de l'héritrage chrétien. Sans succès considérable sans doute (le dossier montre combien la vie démocratique de l'UE est sujette à caution), mais avec l'éveil d'une résistance prometteuse.
En France, le gouvernement a concédé l'hypothèse d'un échec des négociations ; le Président a dû annoncer un référendum, certes pour 2015 ou plus, mais il en a admis le principe ; la classe politique est très divisée, au point que Jacques Chirac apparaît isolé. Le chef de l'État peine à découpler la question de l'adoption du projet de traité constitutionnel de l'adhésion turque dans l'ssprit des Français. En Allemagne, la droite CDU-CSU est totalement hostile à l'adhésion : que se passera-t-il en cas d'alternance politique ? Ou d'échec de la ratification du traité de Rome II ? Difficile de ne pas croire à une remise en cause au moins partielle d'un processus qu'on nous présente comme irréversible. Tous les rebondissements sont possibles, notamment avant la prochaine échéance annoncée d'octobre 2005, date de l'ouverture probable des négociations d'adhésion.
C'est dire combien la mobilisation citoyenne, puis parlementaire, sera déterminante.
Pour sa part, la Fondation de service politique se réjouit d'avoir réussi à mobiliser plus de 40.000 Français en moins de six semaines pour appuyer et nourrir la résistance française à la candidature d'Ankara. (À titre de comparaison, il lui avait fallu dix-huit mois pour recueillir 85.000 signatures en faveur de la reconnaissance de l'héritage chrétien.)
Pour elle, il s'agit ouvrir l'opposition à la dimension culturelle du problème politique posé. Selon Philippe de Saint-Germain, "une opposition de type politique muette sur les références culturelles de l'Europe qu'elle prétend défendre ne serait qu'un égoïsme. De même, une opposition de type religieux, par exemple en la seule faveur de la liberté religieuse, n'a guère de sens si elle ne revendique pas la nécessaire unité entre communauté politique et communauté culturelle : elle serait à son tour complice d'une exacerbation des tensions entre politique et religion."
En juin, la Fondation de service politique avait montré que la majorité des Français s'opposaient à l'entrée de la Turquie pour des raisons historiques et culturelles (sondage BVA/FSP, 11 juin 2004). Elle annoncera prochainement des initiatives pour guider la réflexion et les choix des Français, citoyens et responsables politiques.
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