"Merci pour ce moment" : une histoire moderne

Un règlement de comptes guère reluisant, mais qu’on le veuille ou non, un document. Le livre de Valérie Trierweiler est un témoignage, cru et cruel, sur les ravages du cynisme des « sans-morale » qui méprisent le mariage...

LE LIRE ? Pas le lire ? À vrai dire la question ne s’est même pas posée. Alors que Twitter annonçait la rupture de stock quelques jours après sa sortie, voici que samedi quatre exemplaires de Merci pour ce moment (Arènes) résistaient sur les étagères d’un des Relay de la Gare Montparnasse. En reste-t-il encore quelques-uns de cachés comme cela ici ou là ? Probablement. Six heures de train en tout cas pour l’avaler, cela tombait à pic !

Le bal des hypocrites

Beaucoup se sont indignés de ce livre au nombre desquels trop de femmes. Elles oublient un peu vite comme Apolline de Malherbe sur BFMTV par exemple qu’elles-mêmes pourraient bien correspondre au profil de ces femmes journalistes qu’on repère pour les broyer ensuite tellement facilement. Le passage où la jeune Massonneau est ferrée par François Mitterrand, et partant, par son premier employeur, en dit long sur la façon dont on construit ces « amazones ».

Ce livre est une véritable torpille. Faisant fonctionner à plein l’émotion, Valérie Trierweiler n’écrit pas un « roman vrai » de sa vie comme le font tant de VIP pour se protéger d’éventuels procès. Non, c’est un témoignage brut, même pas une autobiographie. Une tranche de vie. « Raconter l’histoire, la vraie. » Pas de prétentions littéraires. Aucune poésie. L’ex firstgirlfriend écrit en chroniqueuse efficace. Comme tous les journalistes publicistes. Pas mieux ni pire qu’un FOG par exemple ou qu’un médecin expert sur les futures grandes épidémies. Simplement de l’actu. « Tout ce que j’écris dans ce livre est vrai. » On est très loin de Saint-Simon évidemment, mais certaines chutes sont bien travaillées comme celle concernant l’"anecdote" (sic) Aquilino Morelle « qui s’est pris tout seul les pieds dans les lacets de ses souliers faits sur mesure. Plus personne ne viendra les lui cirer ».

On pourrait se dire que la fin d’une histoire passionnelle, c’est du rabâchage tant ces histoires-là ont déjà dit ce qu’elles avaient à dire, donné même quelquefois des chefs-d’œuvre. Des Liaisons dangereuses à Climats en passant par Dom Juan, le canevas n’est-il pas toujours le même et la catastrophe assurée ?

En réalité, si ce livre a été arraché par plus de deux cent mille lecteurs en moins de trois jours, un phénomène plus ample que celui d’Harry Potter, c’est qu’il s’y trouve la confirmation de ce que les Français pressentent depuis 2012, confirmation de la surdité, des mensonges d’un président qui avait pourtant voulu son quinquennat sous l’égide du “normal”, d’un président de gauche qui avait asséné comme sait le faire cette gauche éclairée, qu’avec elle les pauvres et les sans-grade seraient protégés, les femmes seraient libérées et les individus émancipés.

Réactions stéréotypées

Or que voit-on à la faveur de la sortie de ce livre ? De vieilles réactions stéréotypées à l’égard d’une femme à talons hauts qui prend le parti de dire qui elle est, pas celle qu’on a construite de toutes pièces par de puissantes opérations de com’. D’une femme qui refuse d’être « poupée de cire », « vestale ». D’une femme qui refuse de se taire, « soumise et transparente comme une image d’Épinal ». Le portrait de François Hollande en cruel, menteur, ambivalent, double qui en découle est dévastateur. Que ce soit un homme si libre, si représentatif de l’autonomie moderne qui agisse ainsi laisse pantois.

Ce que montre très bien le livre c’est la love story au moment où personne n’aurait misé un kopeck sur François Hollande à 3% dans les sondages, et encore, quand il y était cité ! Mariée, heureuse avec son second mari et ses enfants, Valérie Trierweiler devient la proie du premier secrétaire du Parti socialiste qui n’a aucun scrupule à détourner une femme de son mari, une mère de ses enfants, elle qui lui résiste en pleine gloire à Paris Match. Puis c’est le retournement : une fois qu’elle a abandonné sur ses pressions toute vraie carrière, et à Direct8 et à Paris Match (dans le placard du service culturel), qu’elle cède et qu’à son tour il accède au pouvoir suprême, il la piétine la forçant au silence et dans la foulée à une sacrée coupe dans ses revenus. Passion normale !

Elle compatit dans la vraie vie

Le plus pitoyable de ces révélations au vitriol reste naturellement les pages 228-231 où la famille de Valérie Trierweiler, « Sans dents », est raillée au retour d’un dîner de Noël, sous l’expression « Pas jojo ». La blessure au fer rouge est béante et ces lignes fleurant bon la vérité restent le point névralgique de la vengeance.

Cosette, fille de caissière et de grand invalide de guerre, n’a pas eu de Jean Valjean pour la tirer de l’enfer, et le vilain mot continuera longtemps de faire son mauvais œuvre. L’explication finale de l’homme blessé très tôt par une Ségolène Royal le castrant dans son envie de pouvoir n’est pas sans finesse. Mais Valérie Trierweiler n’est jamais aussi intéressante que lorsqu’elle parle du milieu d’où elle sort, de ses actions humanitaires : on sent une femme qui ne joue pas la comédie quand elle nous parle du Secours populaire, des handicapés ou des jeunes filles nigérianes enlevées. Elle compatit dans la vraie vie quand François Hollande en serpent froid se protège dans une forme de nolife.

L’incipit du livre comme l’explicit sont deux moments réussis. Les intentions de l’auteur annoncent qu’elle « va ouvrir les malles » ayant « trop besoin de vérité » comme sa résolution de ne plus revenir auprès d’un homme qui l’inonde pourtant encore de SMS. Qui dit qu’ils ne sont pas envoyés comme agissait Valmont envers la présidente de Tourvel ? François lui ment-il encore en roué quand il lui assure qu’il n’a plus de liaison avec Julie Gayet ?

Le lecteur est sensible également à un certain fair play dans un examen de conscience qui pointe çà et là : gâchis de son mariage, mal qu’elle a fait à son mari dont elle dit qu’elle est heureuse que ses enfants aient « sa classe ». Sous-entendre bien sûr que François Hollande n’en a aucune.

Malgré son état de grande faiblesse, force est de constater que la journaliste politique a trouvé la vigueur pour mener son livre jusqu’au bout, de proposer une relecture d’événements, une révision de choses vues et vécues trop vite interprétées, faits prenant une valeur politique bien réelle. Il y a un courage à saluer. On aurait aimé cependant que ce début de mise au clair sur les constructions politiques et journalistiques aille plus loin.

Le « mariage pour tous »

Prenons par exemple le « mariage pour tous » sur lequel la journaliste de Paris Match revient par deux fois. La première pour dire que les opposants à cette loi sociétale font partie de la fachosphère (sic). On tremble que l’entourage du président ait fait croire que les millions de Français descendus par trois fois dans la rue étaient des millions d’extrémistes, on tremble que l’entourage du président ait pu monter pareil mensonge et que l’exécutif soit tombé dans le piège.

À la fin du livre, Valérie Trierweiler en parle à nouveau et l’on est en droit de se demander si elle n’a pas participé elle-même au montage.

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« Je ne suis pas dupe non plus. Dans certaines circonstances, me mettre en avant l’a arrangé. Comme lors du mariage pour tous. François n’a pas reculé malgré les manifestations monstres. Il a tenu cette promesse alors qu’il n’en était pas convaincu au fond de lui, évoquant même la liberté de conscience des maires. En découvrant cette formule, je lui ai envoyé un message dans la seconde pour l’avertir que la phrase ne passerait pas. Et effectivement, devant le tollé il l’a retirée.

Dans ce combat, je suis allée en première ligne, avec son assentiment, et peut-être même à sa place. Sans doute parce qu’il voit le mariage comme une porte qui se ferme. François n’a jamais compris, sinon de manière théorique, la portée de cette réforme emblématique de la gauche qui restera peut-être sa seule marque dans l’Histoire de France. C’est un joli pied de nez du destin. Je ne doute pas que le mariage pour tous sera la dernière grande réforme de la gauche » (p. 314).

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Bien sûr, l’anecdote tend à vouloir montrer une fois encore un président roi nu, sans convictions, qui prend ses décisions on ne sait où, partout sauf en lui-même. Mais penser que le « mariage pour tous » est un emblème de gauche relève de l’ineptie. Certes, la loi Taubira a été votée sous la gauche, mais nombre de gens de gauche se sont élevés là contre. Pensons évidemment à Sylviane Agacinski ou à certains intervenants lors des « manifestations monstres » comme Jean-Jacques Rateau. De fameux fascistes, n’est-ce pas…

Non, cette loi inique, sans fondement rationnel, idéologique, bafouant tant de citoyens ne peut venir que de lieux dédouanés de la loi démocratique de représentativité du peuple, de cercles initiés sûrs de leurs positions éclairées, de cercles masculins de surcroît ayant exclu depuis tant de siècles les femmes de leurs prises de décision. Ces cercles et ces loges pour ne pas les nommer ne sont ni de droite ni de gauche. Ils sont juste secrets. Et du secret plus que du mensonge, du non-dit, du mystère, de l'ambivalence, il y en a dans ce couple déchiré.

L’on regrette donc que Valérie Trierweiler si soucieuse des enfants du Secours populaire n’ait pas voulu comprendre le mal qui va leur être fait, au nom de la loi désormais, mal que la Manif pour tous dénonçait à temps et à contretemps : faire croire que deux mères égalent un père, que deux pères égalent une mère.

Qu’il nous voie, qu’il nous écoute

Un chroniqueur disait dans C dans L’air que ce livre était pire que l’affaire des diamants de Bokassa sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Je le pense également.

Penser que le président était en pleine affaire Gayet et que Valérie Trierweiler essayait le 28 mars 2013 de savoir la vérité au moment de l’interview sur France 2 reste pathétique. Nous étions nous, manifestants de La Manif pour tous, sous les fenêtres de France Télévisions bunkerisé. Nous disions alors « On veut qu’il nous voit », « On veut qu’il nous écoute »… Ironie du moment ! Valérie ne dit pas autre chose dans son livre. Elle voulait simplement qu’il l’écoute, qu’il la voit. Son histoire c’est la nôtre, et renvoie à tant de Français niés, piétinés, dindons de la farce depuis 2012. H. B.

 

Hélène Bodenez est professeur agrégé de lettres.

 

 

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