ETUDE | Quand la laïcité rompt avec ses racines chrétiennes, elle devient un système messianique de contrefaçon, hostile à toute recherche de la vérité.
LOIN DES DEFINITIONS de dictionnaire, qu’est donc la « laïcité » concrète ? Dans l’acception positive du terme, cela correspond sans doute dans la vie civile au respect de la vie d’autrui, en particulier au respect de son « for interne » et de ses convictions (c’est-à-dire de sa liberté intérieure), restant saufs le bien de la société et spécialement celui des liens sociaux. Car ce respect s’arrête évidemment là où les croyances, dans leur exercice, mettent en danger le bien commun et font des victimes.
Ce qu’il nous faut examiner, ce n’est pas cette question du respect du bien commun (faisant intervenir des appréciations très contingentes et notamment juridiques), mais celle des fondements de l’idéal de laïcité.
La laïcité suppose l’égalité, un principe chrétien
Un tel idéal présuppose un certain sens de l’égalité fondamentale entre tous les citoyens. Or ce sens découle du christianisme. Il ne se vit et ne se voit d’ailleurs que dans les pays où l’influence chrétienne s’est fait ou se fait sentir.
La foi chrétienne révèle que tous les hommes sont sous le regard d’un même Dieu bon qui a créé chacun d’eux personnellement. Il en découle que, pour les chrétiens, le projet sociétal le meilleur est celui qui favorise pour le plus grand nombre l’accès à ce mystère de relation à Dieu, relation renouée et ouverte à nouveau par l’Esprit Saint à la suite du Christ sauveur. Le but est donc d’abord spirituel, les objectifs sociétaux en découlent ensuite : il s’agit d’organiser la vie sociale de sorte que les conditions de vie de tous soient les plus propices à ce but spirituel.
Pareil horizon ne saurait être imposé par la force : il est axé au contraire sur la conscience et la liberté, et stimule les efforts de création et de développement humain qu’on appelle « civilisations » — chrétiennes en l’occurrence.
Les contrefaçons utopistes
Tout autres sont les projets des utopies annonçant une société parfaite. S’ils sont si difficiles à conceptualiser, c’est parce qu’ils échappent fondamentalement aux analyses sociologiques ou psychologiques : ils sont avant tout des contrefaçons (postchrétiennes) de ce but spirituel. Il nous faudra recourir à une parabole évangélique pour y voir plus clair.
Pour tout croyant, la présence du mal est quelque chose d’inacceptable, que ce soit au plan personnel ou sociétal. C’est une injure (au sens étymologique du terme) faite à l’homme et à Dieu. Mais comment le mal disparaîtra-t-il ? La Révélation nous donne à croire que Dieu Lui-même interviendra en ce sens dans l’histoire — telle est la perspective de la Venue Glorieuse qui sera un Jugement. Si cette espérance s’estompe, elle est alors remplacée par des projets humains qui prétendent réaliser ce qu’on n’attend précisément plus de Dieu. Vaguement modelés sur la Révélation — au moins à l’origine —, ces projets vendent des rêves de société idéale, des « utopies ».
Or Jésus lui-même nous a prévenus de ces dangers, en particulier dans la parabole de l’ivraie et du bon grain (Mt 13, 24-43). Des ouvriers agricoles découvrent avec horreur que l’ivraie s’est mêlée au froment. Ils vont trouver le maître et lui demandent s’ils doivent arracher l’ivraie dans le champ. Le maître les en détourne car ils feraient pire que mieux : avec l’ivraie, ils arracheraient le froment. Ce n’est pas à eux de le faire : le tri sera l’œuvre des anges au Jour venu, lors de sa Venue dans la gloire.
Voilà qui prévenait toute tentation de concevoir et poursuivre une utopie sociale.
Ces utopies sont toujours au cœur des post-christianismes messianistes, apparus à la suite de la diffusion du christianisme. Elles assurent la légitimité de ceux-ci, avec les conséquences que l’on sait : que faire de ceux qui ne partagent pas le projet de société parfaite ou ne veulent pas y être soumis, sinon les éliminer (physiquement ou par « reconditionnement ») ? Henri de Lubac a montré que ce genre d’utopisme conduit aux goulags et autres camps de concentration [1].
Les messianismes sont toujours dominateurs
En d’autres termes, telle qu’elle est définie plus haut, la laïcité trouve son sens et de belles formes de réalisation sous une influence chrétienne authentique. Si cette influence disparaît au point de n’être plus que résiduelle, la société humaine est livrée à une corruption sans frein et à un mensonge organisé, voire à un chaos dramatique et meurtrier. Souvent au nom même de la « paix » ! Car la paix recouvre de son aura tous les projets de domination messianistes, qu’il s’agisse de celui qui se présente comme le « nouvel ordre mondial » ou de celui qui joue le rôle d’opposé, l’islam – ou de tout autre à une échelle mineure.
Dans tous les cas, un groupe humain déterminé se place au-dessus des autres hommes à des fins de domination. Et curieusement ces idéologies exploitent le vocabulaire des idéaux chrétiens, dont elles subvertissent le sens et qu’elles retournent ensuite contre le christianisme — selon le processus entrevu par Chesterton dans sa célèbre formule évoquant des « vérités chrétiennes devenues folles ».
En Occident, la liberté est devenue le « droit » de vivre contre les lois de Dieu, le rappel de certaines d’entre elles étant désormais criminalisé (ou en cours de criminalisation). L’égalité implique la destruction des structures sociales et psychologiques, pour faire place à une masse d’individus isolés et informes que l’argent met en concurrence planétaire les uns avec les autres ; quant à la fraternité (un mot qui apparaît de moins en moins souvent dans le discours médiatique), elle n’est plus qu’un code de reconnaissance entre membres d’un même système mafieux et l’expression d’un mépris pour les autres hommes.
La religion de la République
C’est dans un tel contexte qu’il faut considérer l’acception sémantique actuelle du terme de « laïcité ». Dans son inspiration chrétienne, il qualifiait des systèmes politico-culturels favorisant les débats et l’émergence d’éléments de vérité. Aujourd’hui, le sens du mot est inversé. Définie comme « religion de la République », la laïcité est un système où tout message peut se répandre — essentiellement par la puissance de médias planétaires capables de façonner les émotions de la population — mais à l’exclusion de tout débat et de toute recherche de vérité. C’est la religion creuse de l’argent et du pouvoir arrogants.
Faut-il s’étonner si, employé de cette manière, le terme soit désormais à géométrie variable et désigne une politique de promotion de l’islam wahhabite (politique à laquelle les pétrodollars ne sont pas étrangers) aussi bien qu’un antichristianisme acharné ? On se voit ici bien loin de la Déclaration des droits de l’homme de 1948.
Mais cette déclaration pouvait-elle empêcher l’inversion du sens de la laïcité ? Elle présentait une grosse faiblesse, hormis le fait que les pays musulmans ne l’ont jamais ratifiée [2]. Son principal auteur, Jacques Maritain, avait en tête une « nouvelle chrétienté » laïque à venir, qui assurerait la convivialité entre les hommes ; il voyait évidemment ses fondements dans les idéaux chrétiens [3]. Mais de tels idéaux peuvent-ils exister universellement et surtout sans le support d’une foi annoncée et de son influence ? Sur quoi d’autre fonder les « droits de l’homme » ? On a cru pouvoir tourner la difficulté en se référant à une « morale naturelle », mais en vain : l’homme moderne, façonné par les post-christianismes, n’a plus ni ne peut plus avoir accès à ce que les sagesses antiques ont pu offrir de mieux.
L’influence chrétienne se situe aujourd’hui surtout en creux. Si le monde médiatique porte tant d’attention aux paroles prononcées par les papes, c’est pour y relever certes des propos « religieusement conformes » à ses attentes ou, à l’inverse, afin d’y trouver matière à condamnation — et, dans les deux cas, les propos sont souvent tronqués. Cependant, une telle attention ne révèle-t-elle pas a contrario une peur, celle de la puissance de la parole inspirée par l’Esprit et l’Évangile, qui a le pouvoir de pulvériser le mensonge ?
La laïcité avec ou sans l’Évangile ?
Malheureusement, un tel prophétisme semble très éloigné des préoccupations des responsables chrétiens occidentaux, dont l’idéal unique est devenu la recherche de la « convivialité » universelle. Comme si celle-ci dépendait simplement de la bonne volonté des chrétiens et que Jésus l’avait annoncée ! La paix qu’il a dit apporter, c’est la paix intérieure (shlama en araméen, shalom en hébreu), et justement pas une paix extérieure faite d’ententes (shayna en araméen) [4], et il n’a pas chargé ses disciples d’établir celle-ci sur la terre.
Au reste, l’établissement d’une telle paix supposerait d’éliminer le Mal ou tout au moins ses emprises sur le monde humain, ce qui n’est à portée ni humaine ni même angélique. Et dans ce qu’on a appelé les « béatitudes », Jésus évoque ceux qui seront les « servants de la paix-shlama » (Matthieu 5,9). En revanche, ce qui dépend des hommes, c’est l’Annonce (Évangile en grec), dont les effets secondaires au plan sociétal pourront être un surcroît de convivialité, de sens du bien commun, de sens du travail, d’honnêteté, etc. Cette possibilité se réalise assez souvent, certes, mais toujours partiellement, dans des contextes limités et sans garantie de perpétuité.
En tout cas, la condition, c’est l’Annonce. Aurait-on renoncé à celle-ci, en particulier face aux millions de « migrants » qui sont arrivés en Europe depuis 1960 ? Dans un monde façonné par les post-christianismes, on lui préfère les projets humains. Pour l’Annonce aux migrants, il n’y a jamais ni moyens humains, ni moyens financiers, ni outils adaptés. Il est même quasiment interdit au nom de la laïcité mal comprise de prier pour qu’ils trouvent sur leur chemin des chrétiens qui aient la capacité (et le temps) pour cette Annonce.
Le nouveau « dogme de foi » occidental, inspiré et relayé par les médias, c’est que toutes les convictions se valent et que le travail du chrétien se résume à dialoguer humblement avec les admirables utopies qui égarent et oppriment les populations : de la sorte, tout le monde s’entendra merveilleusement bien ! Autant dire que le résultat est inverse. Car en accordant une légitimité aux rêves messianistes et aux systèmes de pouvoir qui leur sont associés, on ne fait qu’encourager leurs pires penchants et leur violence, qui envahissent alors la société (jusque dans les écoles).
Comme chrétiens, faut-il avoir peur de la « laïcité » inversée présente dans de nombreux cercles politiques ? Moins sans doute que de celle qui inspire certains milieux chrétiens. Jésus a mis en garde : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes » (Mt 5,13). Parole prophétique qui décrit la situation prévalant en Occident, où la foi a perdu toute crédibilité. Mais les chrétiens ne sont ni seulement, ni même majoritairement européens ou américains.
P. Édouard-Maire Gallez
Illustration : Le Tribut à César, par Valentin de Boulogne (Château de Versailles).
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[1] La limite de son étude est le point de départ choisi : un moine du XIIe siècle (Henri de Lubac, La Postérité spirituelle de Joachim de Flore, Paris-Namur, Lethielleux, 1978-81, 2 t.). Ce type de pensée messianiste est évidemment largement antérieur et remonte en fait aux débuts du IIe siècle de notre ère (cf. http://www.eecho.fr/le-christianisme-et-les-religions).
[2] La non-ratification de la Déclaration de droits de l’homme par l’Arabie Saoudite ne l’a pas empêchée de devenir membre de la commission des droits de l’homme de l’ONU, en novembre 2015 ! Cf. rfi.fr/moyen-orient/20131113-conseil-droits-homme-onu-arabie-saoudite-pyromane-chef-pompiers.
[3] En 1937 déjà, Jacques Maritain écrivait dans Humanisme intégral (V, 1) : « Nous pensons que l’idéal historique d’une nouvelle chrétienté, d’un nouveau régime temporel chrétien, tout en se fondant sur les mêmes principes (mais d’application analogique) que celui de la chrétienté médiévale, comporterait une conception profane chrétienne et non pas sacrale chrétienne du temporel. » Cette citation, qui situe un des fondements de la pensée de Maritain sur la laïcité, pose question : l’inspiration de la « chrétienté médiévale » aurait-elle été davantage sacrale qu’évangélique ? C’est douteux : à cette époque, l’aspect sacral « du temporel » (c’est-à-dire surtout de la vie politique) est encore marginal, au contraire de ce qui adviendra peu à peu dans les siècles suivants. On peut voir là un lien avec le recul progressif de l’attente de la Venue glorieuse dans la culture. Ce recul a conduit à reporter sur le pouvoir « temporel » des attentes messianiques, et donc à le sacraliser – et à sacraliser des utopies. Le vrai problème est là.
[4] En grec, il n’y a qu’un seul mot pour dire « paix », eirènè, ce qui introduit une contradiction formelle et fictive entre ces paroles de Jésus : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix [shayna] sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée » (Matthieu 10,34 paral. Luc 12,51), et d’autre part : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix [shlama] » (Jean 14, 27).
Il faut proposer à ces bureaucrates et juges imbéciles qui interdisent les crèches de Noël dans les lieux publics qu'ils interdisent d'abord et surtout les marchés de Noël, Temple de la consommation dont Jésus aurait renversé les tables.... , marchés de Noël qui représentent, pour les Jihadistes, et malheureusement pour nous, les Chrétiens, le défi ultime à détruire...
Là, ils seraient en cohérence et protégeraient vraiment la population d'un risque bien réél à comparer à une superbe crèche isolée dans l'entrée d'un bâtiment administratif !.... et qui fait briller les yeux des enfants tout en respectant notre histoire...