La Trinité est-elle juive ? Cette question peut paraître iconoclaste. Le dogme de la Trinité et l’affirmation que Jésus est Dieu ne sont-ils pas précisément ce qui distingue le christianisme du judaïsme ? Pourtant, l’étude du judaïsme antique conduit à nuancer cette opposition confessionnelle : les idées théologiques ayant abouti à la formulation de la doctrine de la Trinité, comme la nature divine du Messie, sont acceptées par certains courants juifs de l’Antiquité avant même la naissance du christianisme.
De nombreux ouvrages aux titres sensationnalistes publiés ces dernières années, comme celui de Frédéric Lenoir, Comment Jésus est devenu Dieu, ou Le jour où Jésus devint Dieu de Richard E. Rubenstein, défendent le postulat selon lequel la divinité de Jésus, absolument inconnue des premiers chrétiens (Ier-IIe siècles), n’est progressivement admise qu’au cours du IIIe siècle et n’est pleinement théorisée qu’à l’issue du concile de Nicée (325). D’après leurs auteurs, les premiers chrétiens croyaient en un Jésus messianique ayant un lien particulier avec Dieu mais n’étant pas lui-même Dieu. Le judaïsme antique, duquel découle le christianisme primitif, se fondrait sur la croyance en l’unicité de Dieu et verrait toute prétention à décerner la divinité à un homme comme blasphématoire et idolâtrique. Les premiers chrétiens, qui étaient majoritairement juifs, ne pouvaient donc en aucun cas croire à la divinité de Jésus. Selon ces auteurs, ce n’est qu’avec l’hellénisation du christianisme que les idées de Trinité et de double nature, humaine et divine, du Christ, inspirées du paganisme (un dieu à l’apparence humaine) et de la philosophie grecque (un Dieu en trois personnes), ont pu être adoptées. Ces divers ouvrages de vulgarisation, s’ils peuvent paraître provocateurs et innovants à première vue, n’en ressassent pas moins les thèses les plus partagées et les plus discutables de la théologie libérale. La plupart du temps, ils ne font que reprendre, souvent avec moins de talent littéraire, des idées formulées dès le XIXe siècle par Ernest Renan dans son Histoire des origines du christianisme. Dans la majorité des cas, leurs auteurs ignorent les avancées de la recherche les plus récentes, non seulement sur le christianisme primitif, mais aussi sur le judaïsme antique, bien plus divers sur le plan théologique et bien moins uniforme que ces auteurs le disent.
L’idée d’une nature divine du Christ soudainement « découverte » aux IIIe-IVe siècles est en réalité contestable pour plusieurs raisons. D’une part, elle refuse de voir que les sources bibliques néotestamentaires elles-mêmes, dans de nombreuses occurrences, semblent attester la nature divine de Jésus-Christ. Le célèbre prologue de l’évangile de Jean affirme ainsi que la Parole de Dieu, assimilée à Jésus, « était avec Dieu, et […] était Dieu » (Jn. 1, 1). Plus loin, l’auteur montre que Jésus revendique pour lui-même le Nom divin (8, 58). Enfin, il relate qu’un disciple s’adresse à Jésus comme « mon Seigneur et mon Dieu » (20, 28). Dans l’épître attribuée au même apôtre, il est dit que Jésus-Christ « est le Dieu véritable, et la vie éternelle » (1 Jn. 5, 20). Et il ne s’agit pas d’un point de vue isolé. Le corpus paulinien présente lui aussi un « Christ qui est Dieu sur toutes choses, béni éternellement » (Rom. 9, 5). Ailleurs, il est écrit que Jésus, « étant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une chose à ravir d’être égal avec Dieu » (Phil. 2, 6). La présentation de « l’Église de Dieu, qu’il s’est acquise par son propre sang » (Ac. 20, 28) semble attester l’identification de Dieu au Christ crucifié. La tentative des historiens positivistes et des théologiens libéraux pour désamorcer ces versets en les faisant passer pour de simples métaphores ne convainc guère : plusieurs auteurs néotestamentaires proclament, dès le Ier siècle, la divinité de Jésus, laissant penser que celle-ci était largement admise dans les premières communautés chrétiennes.
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