Préparer la grâce d'une visite
Article rédigé par Michel Gitton*, le 16 décembre 2005

À mesure que nous nous approchons de Noël, nous passons de plus en plus de l'eschatologie future à l'avènement proche Notre Seigneur Jésus Christ. Mais ce n'est pas pour oublier la note d'espérance qui marque l'Avent.

La première venue de Notre Seigneur n'est pas un fait du passé, c'est un événement nouveau, bouleversant, inépuisable qui soulève l'ancien monde et laisse apparaître les bourgeons du monde nouveau.

C'est ainsi que nous le rapporte saint Matthieu. L'annonce à Joseph multiplie les signes eschatologiques : la Vierge qui va enfanter évoque la promesse d'un monde nouveau, le nom de Jésus est interprété comme "celui qui sauvera le peuple de ses péchés". L'enfant qui va naître est au-delà de attente, c'est pourquoi se retrouveront en lui les annonces issues de tous les points de l'Ancien Testament. Il n'est ni le libérateur militaire que laisserait entendre la référence à David, ni le Grand Prêtre chargé de purifier les péchés du peuple, il est tout cela et bien plus : il est Emmanuel, Dieu avec nous.

Il est bon, dans cette perspective, de relire le texte d'Isaïe, c'est une des références de l'annonce faite à Joseph, et d'y lire autre chose et mieux que l'espoir d'un bon roi succédant au terne Acaz. C'est pourquoi la traduction par "Vierge" au lieu de "jeune femme" s'impose, même si l'hébreu (almah) est discuté. Bien avant l'ère chrétienne, c'est ainsi que le comprenaient les juifs et une récente instruction de la Congrégation pour le culte divin a rappelé la nécessité de conformer nos traductions liturgiques à l'usage traditionnel. Attendre une telle naissance, c'est déjà manifester que l'on compte sur une intervention eschatologique de Dieu qui bouscule les lois habituelles de la génération.

Saint Paul nous aide à nous resituer face à l'avènement de l'Incarnation, dans la lumière du Seigneur qui vient. Que Jésus soit issu de la race de David est pour lui le signe de son enracinement humain, mais celui qui est ainsi situé dans le temps porte la promesse de l'intervention "puissante" de Dieu. Ce que la Résurrection manifestera un jour, c'est cette souveraineté du Christ, Fils de Dieu, qui vient renouveler le ciel et la terre. Mais la nouveauté est là dès l'origine, dès l'infime point de départ de la vie terrestre du Sauveur.

Une semaine pour préparer notre cœur

Pour le reste, je ne m'inquiète pas. Je sais que chacun fera ce qu'il faut pour préparer ses cadeaux, envoyer ses invitations, faire les préparatifs nécessaires. Peut-être un peu de bienfaisance en plus, une offrande par-ci par-là, en pensant à ceux dont le Noël risque de ne pas être bien gai. Tout cela est très bien et il n'y a rien à y redire.

Mais notre cœur, notre vie avec Jésus nouveau-né, notre Noël à nous dans le silence de la nuit, qui va les préparer, si nous n'y pensons pas un peu à l'avance ? Il y aura la messe, c'est sûr, peut-être une messe un peu plus soignée que d'habitude. Tant mieux. Mais j'ose dire que ce n'est pas suffisant. Pas suffisant parce que les impressions reçues à ce moment-là dans un cœur trop occupé des choses de ce monde seront parfaitement superficielles, et donc sans suite.

Noël, ça pourrait quand même être autre chose. Par exemple, le moment où nous essaierions de nous mesurer dans la prière avec cette Incarnation bénie, qui nous a donné le Roi du ciel dans l'enfant de Bethléem. Vous croyez que vous connaissez déjà tout cela et que vous avez fait le tour de la question ? Faites l'expérience : relisez le prologue de saint Jean (1,1-14) qui fournit l'évangile du jour de Noël et après chaque phrase arrêtez-vous et redites à Jésus, avec des mots à vous, ce que vous en avez compris, ce que cela vous dit quand vous pensez à lui. Vous ne serez sans doute pas déçus du résultat !

Noël a été inventé pour cela : pour nous faire partager la découverte que faisait l'Église à ses débuts, sa surprise de savoir son Maître à la fois si grand et si proche, si puissant et si humble. Elle savait qu'elle avait été visitée, de façon très cachée, par Celui qui reviendrait un jour, et qui ce jour-là serait en droit de demander des comptes à toute l'humanité. Elle mesurait son privilège d'Épouse comblée, elle savait qu'elle ne serait plus jamais seule.

Et nous ? Nous aussi, nous le savons. Jésus est venu une fois, c'est vrai, le Ciel a visité la Terre. Mais son passage ne s'arrête pas au jour de la Nativité d'il y a deux mille ans. Noël est la figure d'une autre naissance encore plus cachée, celle qu'il vient réaliser au fond de notre cœur, dans l'humble crèche que nous pouvons lui aménager au plus intime. Il s'agit d'y préparer une place où il lui fasse bon s'arrêter en cette nuit du 24 décembre.

Si nous ne voulons pas laisser passer la grâce de sa visite, il faut nous y mettre, avant qu'il ne soit trop tard. Il s'agit de donner à la prière, à la méditation, à l'oraison, à l'adoration, comme on voudra dire, une place grande et généreuse dans toute cette semaine. Si nous arrivons déjà fatigués et las à Noël, incapables de nous extasier, ce n'est vraiment pas la peine. Quelle joie pourrions-nous donner aux autres ?

Mais si, au contraire, notre intérieur a été illuminé par cette visite cachée du Petit Jésus, comment ne serions-nous pas à même de donner à pleines mains et à plein cœur, aux plus proches comme à ceux qui attendent à la porte ?

Une condition peut-être, à ajouter : avoir fait passer notre cœur au feu de la pénitence, principalement en faisant usage de sacrement de la réconciliation. La confession, en nous faisant mendier notre pardon, nous remettra dans l'humilité, et c'est ainsi que nous pourrons être assez petits pour accueillir Celui qui est venu comme un enfant.

*Le père Michel Gitton est le recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins. Chronique à paraître dans l'hebdomadaire http://www.france-catholique.fr/

France catholique.

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