Pas de société juste sans conversion morale et liberté religieuse
Article rédigé par Mgr André Vingt-Trois*, le 09 janvier 2007

Extrait de l'homélie de Noël à Notre-Dame par l'archevêque de Paris.

EN CETTE ANNEE 2007 qui sera une année importante pour notre pays, nous aurons d'abord à surmonter la tentation du chacun pour soi , qu'elle soit un réflexe de défense individuelle des avantages que nous avons ou une tactique de défense des différents groupes sociaux.

Une période électorale ne doit pas devenir une foire aux avantages à capter, en réalité ou en promesse. Elle doit être un temps de réflexion et de discernement entre des projets différents. Quel type de société souhaitons-nous pour la génération qui vient ?

Tous ces jours-ci on nous a beaucoup parlé des personnes qui vivent dans la rue. J'espère que cette attention soudaine est inspirée par le désir de les aider, qu'elle ne cherche pas à exploiter leur misère comme levier politique. En tout cas cette attention médiatique a le mérite de mettre en lumière une réalité que nous essayons souvent d'oublier. Mais ne réduisons pas les actions à mener pour leur rendre leur dignité à des mesures économiques dont on espère plus ou moins secrètement que l'État devrait être le seul responsable.

Les misères morales précèdent les misères économiques

C'est un travers de notre culture de vouloir expliquer toutes les misères par des causes économiques. Celles et ceux qui suivent les miséreux de notre monde savent que l'économie n'est qu'un des éléments d'explication de leur situation. Le facteur économique est aggravé, la plupart du temps, par d'autres éléments qui relèvent de la misère affective et morale, tout simplement. Les familles brisées, les enfants écartelés entre plusieurs parentés et plusieurs références éducatives, les victimes affectives de la culture libertine que nous légitimons par la loi, les handicapés à qui on reproche implicitement de n'avoir pas été éliminés à temps, tout cela que notre société autorise ou encourage relève de nos choix d'électeurs autant que les programmes économiques ou les promesses fiscales.

Mais notre responsabilité d'hommes raisonnables ne se limite pas à nos votes. Elle suppose aussi que nous acceptions de reconsidérer nos manières de vivre au quotidien. Il est plus que temps de sortir de notre lâcheté morale. Tout ne vaut pas tout et tout ce qui est possible n'est pas profitable à l'humanité. On ne peut pas construire une vie humaine raisonnable et juste en faisant l'impasse sur le jugement moral de nos actions. L'homme est un être doué d'intelligence non seulement pour réaliser de grandes choses, mais aussi pour conduire sa vie. Nous devons revoir notre attitude à l'égard de l'argent, de la consommation et des mœurs de notre vie quotidienne.

Allons-nous nous contenter de voir exhiber les misères du monde sur nos écrans, de laisser provoquer notre sensibilité, peut-être laisser solliciter notre générosité sans que rien ne change pour nous ? L'amour n'est pas un jeu télévisé virtuel, il est un acte en vérité. Que sommes-nous prêts à changer à notre vie pour que tout le monde trouve une place digne dans notre société ?

Allons-nous laisser grandir une jeunesse dans l'illusion que tout est possible et qu'il n'y a pas d'autres limites que des limites sanitaires ? Allons-nous laisser remplacer la conscience morale par la recherche exclusive de la santé et des prodiges scientifiques ? Accepterons-nous encore que la plus belle expérience de l'humanité, je veux dire l'amour d'un homme et d'une femme, soit réduite à un problème sanitaire et que la confiance de l'amour soit remplacée par le soupçon de la maladie ou, pire encore, qu'elle soit caricaturée au gré des désirs de chacun ?

Refuser l'intimidation laïciste

Enfin — mais c'est le plus important pour nous — comment devenir un peuple raisonnable, juste et religieux si la formation religieuse des enfants devient de plus en plus difficile à réaliser, quand elle n'est pas rendue impossible ou illicite ? Accepterons-nous que les croyants, les croyants de toutes les religions, soient indistinctement soupçonnés et accusés d'être des fanatiques fauteurs de violence ? Accepterons-nous que nos fêtes religieuses soient interdites d'expression publique comme ce fut le cas dans quelques pays cette année ? Accepterons-nous que le nom même de Jésus devienne un nom interdit ?

Ne nous y trompons pas : si ces mesures d'intimidation peuvent s'exprimer et trouver un écho, c'est dans la mesure où nous avons déjà implicitement accepté leurs prétentions, parce que nous avons laissé notre foi passer sournoisement à une sorte de clandestinité quotidienne.

Alors, cette nuit, je vous le demande : Jésus naissant en ce monde trouvera-t-il une place dans chacune de nos vies ? Sera-t-il exclu encore de la salle commune et devra-t-il se réfugier dans le silence d'une grotte ?

Si nous sommes prêts à porter ce regard critique, non seulement sur les grandes institutions, non seulement sur les mœurs des autres, mais d'abord chacun sur notre propre vie et celle de nos familles ; si nous sommes prêts à remettre nos vies dans le sens d'une existence raisonnable et juste, alors nous pouvons nous réjouir sans mauvaise conscience et nous laisser porter par la joie de l'enfant nouveau-né, emmailloté, couché dans une mangeoire .

Source et texte intégral :

catholique-paris.cef.fr, site du diocèse de Paris, avec son aimable autorisation.

Titre et intertitres de la rédaction.

© Photo : www.saint-hippolyte.net

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