L'esprit de 68 sur la laïcité "à la française"
Article rédigé par Roland Hureaux, le 23 janvier 2004

" La laïcité n'est pas le laïcisme. " Le message du pape au corps diplomatique, le 12 janvier, a ulcéré les partisans du projet de loi contre les signes religieux. Comment les partisans de cette laïcité " à la française ", réputée apaisée, ont-ils pu se laisser prendre aux filets de l'ignorance du fait religieux, au point de ne plus pouvoir le supporter ?

 

Ce que l'on entend par laïcisme a connu une véritable mutation historique avec l'esprit de mai 68, au point d'être rendu méconnaissable.

Jusque dans les années soixante, la laïcité s'accompagnait d'une morale laïque, qui était pour l'essentiel la morale chrétienne sans référence au dogme — ou la morale naturelle —, tout aussi exigeante que celle-ci. Jules Ferry disait à Albert de Mun : " Nous avons la même morale ! "

L'esprit libéral-libertaire qui souffle depuis trente ans en Europe récuse non seulement la foi mais cette morale. Les cours de morale dans les écoles élémentaires, véritable révolution silencieuse ont disparu en catimini entre 1970 et 1980.

On n'ose qualifier d'individualiste cet état d'esprit, comme beaucoup le font un peu facilement, car dans la morale naturelle, quand un individu prend ses aises, c'est toujours au dépens d'autres individus. Si certains individus sont gagnants — généralement les forts — d'autres — généralement les faibles — sont perdants à ces nouvelles règles du jeu (ou à cette absence de règles ).

On notera aussi que le laïcisme libertaire est beaucoup plus destructeur pour la foi et la pratique religieuses, comme pour les mœurs, que ne l'était le laïcisme de type IIIe République, dont l'impact sur la société avait été limité jusqu'en 1960.

En même temps l'esprit libertaire prive l'ordre laïque de tout argument face à la montée des intégrismes. Si le mot d'ordre suprême est " c'est mon choix ", pourquoi donc, au nom de quoi, interdire le voile dans les écoles publiques ?

On peut se demander s'il y a un lien entre la laïcisation de la sphère publique — qui date pour l'essentiel de la fin du XIXe siècle — et la remise en cause de la morale traditionnelle un siècle plus tard. Celle-ci est-elle l'effet retardé de celle-là ou bien la logique officielle et la logique sociétale sont-elles relativement indépendantes ? De cet état d'esprit, on rappellera qu'il souffle indifféremment sur les sociétés laïcisées comme la France, et sur les sociétés officiellement religieuses comme l'Angleterre, semblant tout balayer sur son passage.

Il reste qu'on peut se demander si la morale laïque — ou plus largement le laïcisme classique tel que l'Europe l'a connu pendant un siècle — constitue une molécule stable : en d'autres termes, le laïcisme peut-il résister longtemps à l'érosion du fait religieux ? N'est-il pas qu'une étape de transition dans un processus long de déchristianisation — et de déshumanisation ?

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