Défense. L'Europe militaire malade de ses incohérences
Article rédigé par Jean-Germain Salvan, le 02 mai 2003

Le 29 avril 2003, l'Allemagne, la Belgique, la France et le Luxembourg se sont réunis à Bruxelles. Le but était de donner une impulsion politique au projet de défense européenne, en faisant preuve d'une prudence de serpent, pour ne pas heurter une fois de plus les États-Unis et ceux qui donnent la priorité au soutien inconditionnel aux Américains.

La souris dont a accouché cette pseudo-montagne, c'est une triple proposition : 1/ un commandement commun (mais à quoi sert donc l'état-major du corps européen de Strasbourg ?) ; 2/ une agence européenne de l'armement : mais à quoi servent donc l'OCCAR (Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement) et le GAEO (Groupement pour l'Armement de l'UEO) ?; 3/ un collège européen de défense.

Sommes-nous bien placés pour donner des leçons ? La première remarque évidente, c'est qu'il y a vingt-cinq États membres de l'Europe, et qu'aucun des quatre participants à cette réunion ne brille par ses efforts en matière militaire. Pour ne citer que la France, son budget est certes en hausse en 2003, après quinze années de baisse. Le programme Rafale a pris neuf ans de retard par rapport aux prévisions. Nos budgets de recherche en matière de défense sont passés de 950 millions d'euros en 1997 à 578 en 2002. Rappelons que les États-Unis dépensent quatre fois plus que l'ensemble européen dans ce domaine ! Depuis 1991, le GIAT accumule les pertes – soit 4 milliards d'euros à ce jour.

Faute de pièces de rechange, 50 % du parc de nos hélicoptères est cloué au sol. Dans le domaine de l'entraînement, quand un pilote de la RAF vole 200 heures, un aviateur français n'en effectue que 180. Quand un navire de guerre britannique s'entraîne 120 jours par an en mer, un bâtiment français ne peut en faire que 90... L'effort militaire mesuré par rapport au PIB (produit intérieur brut) est de 2,27 % en Grande-Bretagne et de 1,71 en

France -- gendarmerie comprise dont 90% des tâches sont civiles.

Le point de vue britannique. Les quatre États réunis à Bruxelles ont rejeté la logique de guerre des États-Unis, appuyés par la Grande-Bretagne et huit autres nations européennes. Mais Tony Blair a bien exposé le fond des divergences entre " la bande des quatre " et les alliés inconditionnels des États-Unis. Dans un entretien au Financial Times du 8 avril, le Premier ministre britannique estime que le meilleur moyen d'empêcher l'unilatéralisme américain consiste à unir ses forces aux siennes et non pas à s'y opposer. " Certains appellent de leurs vœux un prétendu monde multipolaire comportant différents centres de pouvoir et dont je pense qu'ils se transformeront vite en centres de pouvoir rivaux... d'autres croient, et je suis de ceux-là , que nous avons besoin d'une puissance unipolaire englobant un partenariat stratégique entre l'Europe et l'Amérique... Ceux qui craignent l'unilatéralisme [...] de l'Amérique doivent comprendre que le meilleur moyen de l'avoir est de créer un pôle rival de l'Amérique. "

La Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie ont fort peu apprécié de n'être pas invitées le 29 avril : leurs diplomates y ont vu une provocation.

Que veulent les États-Unis ? Pendant que les Européens bavardent, les Américains manœuvrent pour que l'Alliance Atlantique s'engage en Irak, une fois la guerre terminée.

Dans la volonté du gouvernement français de faire enfin preuve de pragmatisme diplomatique, la décision fut prise à l'unanimité, le 16 avril, de confier à l'Alliance Atlantique le commandement de l'ISAF (Force Internationale pour la Sécurité en Afghanistan). Quel moyen la France aurait-elle demain de s'opposer à une opération de maintien de l'ordre et de sécurité en Irak sous la direction de l'OTAN ?

Pour les États-Unis, l'Alliance Atlantique et l'OTAN doivent se transformer en instrument de résolution des crises et des conflits partout dans le monde, sous direction américaine évidemment. Les palinodies du Comité des droits de l'homme de l'ONU ne vont pas réconcilier les Américains avec cette instance... Simultanément, après avoir éliminé Saddam Hussein et après avoir pris à bras le corps le problème irakien, les États-Unis ont diminué leurs effectifs en Allemagne et ils n'ont plus besoin des bases de Turquie et d'Arabie Saoudite, en particulier celles d'Incirlik et d'Al Kharg : elles servaient essentiellement à la surveillance des zones d'exclusion en Irak. Les Américains redéploient leur dispositif entre le Koweït, Bahrein, les Émirats Arabes-Unis, le Qatar, tout en conservant leurs bases d'Afghanistan et des pays du sud de la Sibérie. L'objectif est évident : dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, c'est vers le Golfe arabo-persique et l'Asie musulmane que le dispositif américain se met en place.

Une politique de défense, une stratégie n'ont de consistance que si elles sont étayées par des moyens réels, capables d'inspirer le respect des amis et la prudence des ennemis possibles. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont su se doter des moyens de politiques et stratégies crédibles : les Européens (du Continent) ont effectué d'autres choix.

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