Bioéthique : un rapport de rupture
Article rédigé par Fondation Jérôme-Lejeune, le 22 janvier 2010

La Mission d'information parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique de 2004 vient de rendre son rapport. Celui-ci marque une rupture importante par rapport à l'encadrement de la recherche sur l'embryon, non justifiée sur le plan scientifique. On y reconnaît aussi la volonté de développer toujours plus la sélection pour l'élimination des êtres atteints de trisomie 21.

Recherche sur l'embryon : la rupture
Les principales propositions du rapport relatives à la recherche sur l'embryon humain (n°43 et 44) marquent une rupture importante avec la cohérence de l'encadrement législatif de 2004 qui permettait de conserver un sens au principe de civilisation du respect de l'intégrité de l'être humain, quel que soit son stade de développement.
En effet, avec ces propositions, le principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon humain, sous couvert de son maintien symbolique, n'est plus qu'une coquille vide en raison de la suppression des deux exigences posées par la loi de 2004 :
1/ le remplacement de l'exigence d'une finalité thérapeutique majeure par une finalité médicale , qui est une contrainte faible car elle n'exclut dans les faits que les recherches relevant de la cosmétologie. Ce remplacement donnerait carte blanche à des pratiques explicitement écartées par le législateur en 2004, comme le criblage de molécules ou la modélisation de pathologies ;
2/ la suppression de la condition relative à l'absence d'alternative d'efficacité comparable qui est le minimum à exiger lorsqu'il s'agit d'autoriser le sacrifice d'êtres humains.
La suppression de cette contrainte aura comme conséquence d'autoriser des recherches sur l'embryon humain pour atteindre un objectif qui pourrait l'être par d'autres méthodes, et même plus efficacement (dans la perspective d'applications thérapeutiques, les recherches sur les cellules souches adultes ou de sang de cordon ont plusieurs longueurs d'avance sur les recherches sur les cellules souches embryonnaires, par ailleurs les cellules souches reprogrammées [iPS] surpassent les cellules souches embryonnaires en matière de criblage des molécules ou de modélisation des pathologies).
Enfin, la suppression du moratoire de cinq ans qui garantissait un caractère expérimental pour cette dérogation à l'interdiction de la recherche sur l'embryon, renforce encore davantage la libéralisation intégrale de cette pratique. En effet, inscrire à titre pérenne une dérogation équivaut à son inscription comme principe.
Pour Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune, qui a lui-même été auditionné par la mission parlementaire le 3 juin dernier, ce rapport est inquiétant :
On propose, dans les faits, d'autoriser les dérogations au principe éthique fondateur de la protection des êtres humains les plus fragiles, à partir d'exigences quasi inexistantes. C'est d'autant plus inquiétant que le dispositif proposé n'est plus expérimental, et s'inscrit de manière pérenne. Ce rapport est scandaleux au vu des propos des chercheurs auditionnés par la mission parlementaire, car on comprend qu'il s'agit en fait de donner satisfaction à des appétits économiques et financiers. Scientifiquement, et dans une perspective thérapeutique, il n'y a jamais eu moins de raison qu'aujourd'hui de déroger au respect légal de l'embryon.
La seule justification de cette rupture est purement financière et consiste à rentabiliser les millions investis sur cette recherche en vendant à des laboratoires pharmaceutiques des techniques de criblage de molécules sur cellules souches embryonnaires.
Les responsables des choix politiques de 2010 en matière de bioéthique devraient se souvenir que ceux de 2004 ont déjà fait prendre un retard considérable aux équipes françaises pour les recherches sur les cellules reprogrammées si prometteuses et pour les recherches en thérapie cellulaire à partir des cellules souches non embryonnaires, les seules à avoir des perspectives thérapeutiques réelles, et sans aucun coût éthique.
Un renforcement de la stigmatisation des trisomiques
La proposition d'ajouter la détection de la trisomie 21 au DPI (n°26) est en pleine contradiction avec la volonté de ne pas établir de liste a priori des maladies susceptibles de faire l'objet de ce diagnostic.
Avec cette proposition, la trisomie 21, déjà première maladie à faire l'objet d'un dispositif à l'échelon national de sélection pendant la grossesse, deviendra la première maladie listée pour le DPI. Or les praticiens des DPN et DPI le savent et le disent (notamment ceux auditionnés par la mission parlementaire) : le fait même de désigner une maladie comme pouvant faire l'objet d'un mode de sélection (que ce soit pendant la grossesse, par diagnostic prénatal ou par diagnostic préimplantatoire), s'impose comme obligation aux futurs parents.
Cette proposition grave marque un pas supplémentaire dans l'escalade de l'eugénisme pour deux raisons :
1/ Tout d'abord, il s'agit d'introduire un élément d'appréciation subjective dans le recours au DPI. Il ne s'agit plus de considérer le passé familial ou le handicap d'un premier enfant, au regard de l'analyse de patrimoine génétique des parents, mais de prendre en compte le rejet social de la trisomie 21. Car la trisomie, si elle est bien une maladie génétique, n'est pas héréditaire, c'est-à-dire qu'elle est imprévisible au niveau des parents et se produit accidentellement. La recherche systématique de la trisomie 21 à l'occasion d'un DPI pour maladie génétique modifie en conséquence la nature de cet examen.
À l'objectivité d'une maladie héréditaire dûment constatée et recherchée pour un couple, se substituerait la prise en considération de données étrangères à la situation du couple concerné. Si celui-ci court le risque de transmettre telle maladie génétique qui justifie le DPI, il n'a pas plus de risque que le reste de la population de donner naissance à un enfant trisomique. Pourquoi donc rendre cette recherche nécessaire ? Ce qui va justifier la recherche de la
trisomie, c'est seulement le regard d'exclusion posé a priori sur les porteurs de cette affection, exclusion déjà créée, entretenue et financée par l'Etat à travers sa politique eugénique de dépistage généralisé (DPN).
2/ La deuxième raison qui rend cette proposition intolérable est qu'elle préjuge du sort réservé à l'embryon qui serait dépisté trisomique : l'élimination. Il est admis d'avance que des parents qui se soumettent au DPI pour éviter la naissance d'un enfant atteint d'une maladie héréditaire grave, déjà présente dans la famille, ne toléreraient pas non plus — par principe — la naissance d'un enfant trisomique.
La mise en œuvre de cette disposition signifie en pratique qu'un enfant trisomique conçu in vitro et soumis au DPI est présumé mort.
L'argument consistant à dire que pour le praticien, il est plus pratique de procéder à l'élimination de l'enfant trisomique au stade embryonnaire, plutôt qu'à une IMG, ne concerne que le praticien. Cet argument n'a évidemment aucune valeur éthique et n'est pas respectueux de la famille qui, seule, portera in fine ce poids sur la conscience.
Jean-Marie Le Méné relève pourtant que les dérives eugéniques subies par les enfants atteints de trisomie 21 sont un constat établi par des voix autorisées, notamment le conseil d'État, l'ancien ministre de la Santé Jean-François Mattéi ou l'ancien président du CCNE, Didier Sicard . Et il s'indigne :
Les responsables politiques actuels n'ont-ils à proposer que le renforcement de la sélection pour l'élimination de ces êtres humains ? Des publications scientifiques récentes [1] ont montré la pertinence des recherches qui visent à trouver un traitement pour la trisomie 21. Le choix collectif en 2009 doit il rester celui de leur élimination ?
Pour en savoir plus :
www.fondationlejeune.org
De Jean-Marie Le Méné :
Nascituri te salutant ! La crise de conscience bioéthique, Salvator, novembre 2009.
La trisomie est une tragédie grecque, Salvator, janvier 2009.

 

 

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