Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 17 septembre 2010
Le perfectionnement des tests de diagnostic prénatal pourrait exposer les enfants à naître à un contrôle qualité sans précédent. Les industriels du biotech cherchent en effet à mettre au point une méthode fiable de routine permettant de détecter la plupart des anomalies génétiques et chromosomiques humaines à partir d'une simple prise de sang chez la mère. L'eugénisme a de beaux jours devant lui.
Avec la promulgation de l'arrêté du 23 juin 2009, le dépistage prénatal de la trisomie 21 est passé à la vitesse supérieure, et ce en l'absence de tout débat démocratique [1]. Le nouveau dépistage intègre désormais la réalisation d'une échographie et le dosage des marqueurs sériques maternels avant la fin du troisième mois de grossesse. Parmi les 800.000 femmes enceintes chaque année, pas une n'y échappera, les médecins ayant l'obligation réglementaire de le proposer systématiquement.
Cependant, le dépistage n'est ici qu'un calcul statistique : si le risque est supérieur à 1 sur 250, il faut le confirmer ou l'infirmer par une choriocentèse possible dès le premier trimestre (biopsie des villosités choriales ou futur placenta) ou une amniocentèse (prélèvement de liquide amniotique) réalisable au second. Seuls ces examens invasifs permettent de récolter des cellules fœtales afin d'établir un diagnostic cytogénétique précis. Dans ce système, les étapes du dépistage et du diagnostic sont encore indépendantes.
Labos sur le pied de guerre
Cette stratégie unique au monde pose bien sûr la question de l'eugénisme. La mission d'information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique fait état de chiffres qui se passent de commentaires : 92% des cas de trisomie 21 sont détectés, contre 70 % en moyenne européenne et 96 % des cas identifiés donnent lieu à une interruption de grossesse [2].
De son côté, le Conseil d'État a reconnu pour la première fois que si l'eugénisme pouvait être le fruit d'une politique délibérément menée par un État , il pouvait également être le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents [3] . La suppression de 96 % des enfants atteints de trisomie 21 – chiffre également cité noir sur blanc dans l'étude de la haute juridiction – rend compte de l'existence d' une pratique individuelle d'élimination presque systématique (ibid.).
Nombreux sont les acteurs des biotechnologies qui souhaitent surfer sur cette vague, grosse de juteux bénéfices. En raison de l'organisation publique et budgétisée de son système de dépistage ainsi que du nombre conséquent de grossesses annuelles, la France représente en effet un marché potentiellement très lucratif pour la commercialisation de tests prénatals toujours plus sophistiqués.
De nombreuses start-up pharmaceutiques sont sur le pied de guerre pour mettre sur le marché le diagnostic prénatal de la trisomie 21 non invasif , c'est-à-dire qui évitera de recourir à une amniocentèse ou une biopsie du trophoblaste [4]. L'enjeu technologique sous-jacent est de parvenir à une méthode fiable et utilisable en routine à partir d'un simple examen de sang prélevé chez la mère au tout début de la grossesse [5]. L'idée est bien celle-ci : faire du dépistage et du diagnostic une seule et même étape.
Deux techniques
Deux approches principales sont actuellement développées : l'analyse des cellules fœtales et/ou de l'ADN fœtal extraites du sang maternel.
La présence de cellules fœtales circulant dans le sang de la mère dès la huitième semaine de grossesse a été démontrée depuis de nombreuses années. Jusqu'à présent, l'obstacle majeur à la mise au point d'un diagnostic prénatal performant fut la rareté de ces cellules. Une méthode d'isolement originellement développée pour détecter des cellules tumorales dans le sang (ISET pour isolation by size of epithelial tumor cells) vient d'être appliquée avec succès au diagnostic anténatal de l'amyotrophie spinale et de la mucoviscidose.
Conjuguant une technique de filtrage permettant d'amplifier le taux de cellules fœtales et un séquençage de l'ADN cellulaire recueilli après microdissection, le test ISET a une sensibilité et une spécificité de 100%. Cette méthode serait applicable à n'importe quelle maladie génétique ou anomalie chromosomique selon une équipe de l'hôpital Necker-Enfants malades qui a validé la fiabilité de ce test dans le cadre du dépistage de la mucoviscidose. La responsable de l'étude, le professeur Patricia Paterlini-Bréchot, ne tarit pas d'éloges sur ce nouveau test : Non seulement le bon diagnostic (malade/non malade) a été établi dans tous les cas, mais la méthode a également distingué correctement les fœtus porteurs de la maladie (un allèle muté et un allèle normal) de ceux qui sont complètement normaux, ce qui montre son extraordinaire précision et sa spécificité.
La seconde approche est basée sur l'étude de l'ADN fœtal. Les scientifiques savent maintenant extraire de courts fragments d'ADN du sang maternel avant de les analyser grâce à des séquenceurs à haut débit. Ce sont cette fois-ci les Américains qui ont une longueur d'avance, des chercheurs de l'Université de Stanford étant passés à des essais sur de larges cohortes pour valider ce nouveau procédé à grande échelle.
Passer à l'étape industrielle
Quelle que soit la technique utilisée, les équipes sont en concurrence à travers le monde pour breveter le plus rapidement possible leurs procédés, les retombées financières étant évaluées en millions d'euros. Les spécialistes estiment d'ailleurs que la validation clinique de ces tests se fera dans des délais assez courts. Un simple prélèvement de sang ultraprécoce permettra alors de poser un diagnostic positif ou négatif pour telle ou telle pathologie, la trisomie 21 étant particulièrement dans le collimateur des labos.
Prochaine étape d'ores et déjà envisagée par de nombreuses firmes : passer à l'étape industrielle [6]. Dans cette histoire, la seule inconnue comme l'écrivait récemment Jacques Testard, est de savoir quand viendra le moment où les éthiciens paresseux s'étonneront en constatant encore une fois que la science est allée plus vite que l'éthique [7] .
C'est que l'accessibilité de l'ADN et des cellules de l'enfant à naître dans le sang de sa mère fait craindre une accélération massive de l'eugénisme anténatal. Les chercheurs prévoient déjà la mise au point de plates-formes combinant plusieurs analyses afin de cribler l'essentiel des pathologies génétiques et chromosomiques humaines. Le diagnostic prénatal ne serait plus seulement précoce, il serait amplifié et intégral. De fait, l'alliance monstrueuse entre la discrimination par le génome et l'efficience technique est porteuse d'une puissance considérable de traque des individus non conformes . Une évolution redoutable qui se greffe sur l'esprit qui a présidé à la conception et à l'organisation du dépistage actuel : aucun argument de fond ne permet de dire aujourd'hui allons seulement jusqu'à ce point mais surtout pas plus loin . Par effet de système, l'eugénisme sélectif ne peut que s'étendre, disqualifiant toujours plus les êtres humains qui ne satisfont pas les normes retenues.
Filtre qualitatif
Le concept de dignité humaine, selon lequel chacun a une valeur unique du seul fait qu'il est homme, pourrait voler en éclat. L'individu aura le sentiment d'exister uniquement parce qu'il aura franchi un filtre qualitatif choisi par d'autres (les parents, les médecins, la société,...) et non parce que sa vie avait une valeur intrinsèque.
Au cours d'une conférence remarquable donnée en février 2009 à l'occasion de 15e Assemblée générale de l'Académie pontificale pour la Vie, le juriste Roberto Andorno a évoqué les répercussions considérables de l'eugénisme sur les relations interpersonnelles [8]. Les enfants étant de moins en moins désirés pour eux-mêmes, on assisterait selon lui à une transformation progressive de l'idée même de paternité qui deviendra conditionnelle. Cette paternité sera de moins en moins un lien entre personnes mais une relation instrumentale de type maître-esclave. Dans une analyse qui donne le vertige, Adorno pense que la notion philosophique de personne pourrait à terme disparaître, les individus devenant des biens de consommation éliminés ou non selon leurs qualités.
Un sursaut des consciences est-il encore possible ? Roberto Adorno propose de revenir sans tarder à la prise en compte de la condition faillible de l'être humain : seul un monde qui permet aux hommes de vivre et d'être acceptés avec leurs propres handicaps et limites est, à long terme, un monde humain, un monde qui n'exige pas la perfection pour reconnaître le droit de vivre, un monde dans lequel la compassion et l'amour sont appelés à jouer un rôle dans les relations réciproques (p. 140). Il est plus qu'urgent d'entendre un tel discours.
[1] Arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21.
[2] Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique (MM. Alain Claeys et jean Leonetti), Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, rapport n. 2235, tome 1, janvier 2010, p. 209.
[3] Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, mai 2009, p. 40.
[4] Sandrine Cabut, La trisomie 21 bientôt dépistée par un test sanguin , Le Figaro, 16 octobre 2008.
[5] B. Simon-Bouy, E. Mornet. Le diagnostic prénatal non invasif : est-ce pour demain? Quelles conséquences pour notre pratique ?, Gynécologie Obstétrique & Fertilité 38 (2010) 435-438.
[6] Jean-Michel Bader, Un test sanguin pour détecter les anomalies fœtales , Le Figaro, 11 août 2009.
[7] Jacques Testard, La pente glissante de l'eugénisme , Libération, 10 décembre 2009.
[8] Roberto Andorno, Fondements philosophiques et culturels de l'eugénisme sélectif, in Jean Laffitte et Ignacio Carrasco de Paula (dir.), La génétique, au risque de l'eugénisme ?, Actes de la 15e assemblée générale de l'Académie pontificale pour la Vie, 20-21 février 2009, Mame-Edifa, p. 129-141.
***